Drame de Tanger : On commence à y voir plus clair dans les responsabilités

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L’affaire de « l’usine de la mort » à Tanger continue à défrayer la chronique. Selon des sources à la Wilaya de cette région, tous les dossiers relatifs aux unités et ateliers de la ville ont été consultés, il y a quelques jours, lors d’une réunion organisée au sein de cette wilaya. Les pouvoirs publics iront-ils plus loin dans cette affaire ?

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Pour l’heure aucune décision n’est encore prise pour procéder à la fermeture de toutes les unités similaires à la cave-fabrique textile dans laquelle 29 travailleurs ont trouvé la mort lors d’une inondation, le 8 février dernier, assurent des sources proches du dossier.

Mais des sources syndicales à Tanger avancent que plusieurs propriétaires ont, eux-mêmes, fermé leur fabriques textiles, « clandestines », en attendant que les choses se calment après cette tragédie qui a particulièrement ému l’opinion, indiquent nos syndicalistes, affirmant qu’il n’y a pas un quartier de cette ville qui ne soit pas investi par ces usines illégales.

A noter que quelques jours après le drame, les autorités sécuritaires et locales de la ville ont mis sous scellés la fabrique de la mort, dont le propriétaire a été arrêté ce lundi 15 février et entendu par les agents en charge de l’enquête sur l’affaire, au siège de la brigade préfectorale de la police judiciaire, à Tanger.

Le propriétaire, qui fait partie des rescapés hospitalisés de ce drame, a comparu devant le procureur général du Roi à la Cour d’appel de Tanger ce mercredi 17 février.

Dès que son état l’a permis, le mis en cause a été transféré au siège de la préfecture de police de Tanger, pour y être entendu dans le cadre de l’enquête lancée sous la supervision du parquet pour élucider les circonstances de la tragédie et déterminer les responsabilités de chacun des acteurs responsables de la mort de 29 travailleurs et travailleuses, nous a-t-on assuré, lundi 15 février. Depuis mercredi 17 février, il est incarcéré.

On a par ailleurs appris que les inspecteurs de la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) et le service préfectoral de la police judiciaire de Tanger ont débarqué à l’administration communale d’El Mers à Tanger. Ils ont examiné des dossiers et ont notamment interrogé les responsables à la Commune ayant un lien avec les autorisations d’investissements pour faire toute la lumière sur ce drame et déterminer les responsabilités. Les limiers ont également débarqué dans les locaux d’Amendis Tanger.

Toujours dans le cadre de cette enquête, plusieurs travailleurs survivants ainsi que des membres des familles des victimes ont également été auditionnés par la police judiciaire, révèle une source sécuritaire.

 Les responsables de la tragédie !

Alors que l’affaire est en cours d’instruction, plusieurs ONG et syndicats demandent des comptes après la tragédie ayant conduit à la mort de 29 personnes, dans un atelier de textile dédié à la confection de chemises de marques internationales. «Cette unité n’était pas clandestine, car tout le monde savait qu’elle existait. Les responsables doivent être sanctionnés», martèle Jamal Asri, membre du bureau provincial de la CDT. Et celui-ci ajouter: «Cette tragédie confirme le laisser-aller et le laxisme des autorités de contrôle, particulièrement celles du Travail, de l’industrie et de l’Intérieur».

L’atelier «clandestin» est situé dans une zone résidentielle où il est pourtant interdit d’établir des unités industrielles, dit notre syndicaliste. Il s’interroge: «Comment est-ce que le propriétaire a donc pu avoir l’autorisation d’exercer son activité au sein d’un atelier au sous-sol d’une villa ?». Et comment expliquer qu’il a pu installer des machines textile à haute tension (380 volts) ? Cette installation était nécessaire à ce confectionneur pour exercer son activité industrielle, et elle a bien été installée par la société d’Amendis Tanger, affirme le syndicaliste Jamal Asri, qui pointe les responsables des autorisations à la Commune et ceux de la société délégataire.

Notre interlocuteur pointe aussi le non respect du code de travail dans ces usines. «Après ce drame, en tant que syndicalistes, on s’interroge sur la mise en vigueur du code de travail de 2003 dans les usines. Les employeurs transgressent les dispositions de ce code. D’ailleurs, si les lois régissant le travail étaient respectées dans cette cave-fabrique, on n’aurait pas assisté à cette tragédie qui a coûté la vie à 29 personnes», constate notre syndicaliste.

Les dispositions du code de travail prévoient que pour chaque usine qui emploie 50 travailleurs, un contrôle doit être effectué dans cette usine par le comité  d’hygiène et de sécurité», dit-il, rappelant que l’atelier « clandestin » ayant été inondé ce lundi 8 février emploie plus de 140 personnes, travaillant en système de rotation par équipes.

« Pour cette cave-fabrique meurtrière, aucun comité n’y a effectué un contrôle. Autrement, on aurait pu se prémunir contre ce drame et préserver la vie des travailleurs et travailleuses, lesquels, malheureusement, travaillaient dans un lieu où aucune règle de sécurité n’était respectée », dénonce Jamal Asri, également membre du bureau politique du Parti socialiste unifié (PSU).

L’Organisation démocratique du travail (ODT) demande également de garantir la protection sociale des ouvriers et ouvrières et de leur assurer un environnement qui respecte toutes les conditions de santé et de sécurité au travail.

Le SG de ce syndicat, Ali Lotfi n’y va pas par quatre chemins. «C’est une réalité, et ce n’est pas seulement cette usine qu’il faut déplorer. Il y a des milliers d’ateliers similaires qui sont autorisés par les autorités locales. Ils sont connus des inspections de travail dans les grandes villes. Le drame de Tanger vient pour interpeller encore une fois les pouvoirs publics. Certains départements sont d’ailleurs directement concernés par ce problème», dit-il, catégorique.

Pour Ali Lotfi, la première responsabilité incombe d’abord au département de l’emploi et de l’insertion professionnelle. «Ce sont les inspecteurs du travail qui doivent d’abord respecter le code de travail. Ils ont la charge d’inspecter ce genre d’ateliers qui embauchent – dans des conditions humaines inacceptables- des femmes, des hommes et parfois même des enfants. C’est le cas d’ailleurs de cet atelier de la mort, établi dans une cave où il semblerait qu’aucun inspecteur de travail n’a fait son travail pour éviter que ce drame se produise», dit ce responsable syndical.

Et le SG de l’ODT d’ajouter: «L’employeur était pourtant obligé de respecter la sécurité et la santé de ses salariés, sinon il devait être poursuivi en justice. Les textes sont clairs à ce sujet. Ce qui nous manque ce ne sont donc pas les textes. C’est surtout l’application de ces textes (Code du travail de 2003, conventions internationales concernant la santé et la sécurité au travail, en particulier la convention 155 et 185 de l’organisation internationale du travail…). Mais est-ce qu’on va appliquer ces dispositions ? Le gouvernement ira-t-il plus loin pour assurer la sécurité et la santé des salariés notamment dans le secteur informel ?».

Le responsable syndical rappelle par ailleurs qu’un plan national d’amélioration de la santé et la sécurité dans les entreprises a pourtant vu le jour au Maroc, mais il est resté lettre morte, regrette Ali Lotfi.

Selon lui, des milliers d’entreprises similaires à l’atelier clandestin de la mort tangérois évoluent dans des conditions difficiles, sans respect des normes de sécurité.  Il pointe, lui aussi, l’absence d’un comité d’hygiène et de sécurité dans ces unités non structurées. «On a ce problème même dans les grandes entreprises structurées. D’ailleurs, seules 34 % d’entre ces sociétés respectent la loi et les dispositifs relatifs à la santé et la sécurité au travail. Ce qui veut dire que la majorité de ces entreprises ne respectent pas les textes en vigueur», déplore Ali Lotfi.

De prestigieuses enseignes d’habillement  internationales pointées aussi !

Ce drame a relancé le débat sur la légalité de l’exploitation d’un tel atelier textile où les mesures concernant la préservation de la santé et de la sécurité ne sont pas respectées, ce qui met en danger la vie des travailleurs qui acceptent de travailler dans des conditions très difficiles.
D’après des sources concordantes, «la ville de Tanger abrite une multitude d’ateliers textiles». Les clients sont de prestigieuses enseignes d’habillement  internationales. Des milliers d’ouvriers et ouvrières y travaillent dans le total irrespect des normes de sécurité imposées par le code du travail», avancent les mêmes sources.

Le phénomène des caves fabriques a pris de l’ampleur en 2008 avec la crise financière internationale. Plusieurs entreprises de textile espagnoles ont délocalisé leur activité à Tanger, affirme le responsable syndical, Jamal Asri. « Ces entreprises avaient besoin de faire appel à des sous-traitants parmi les entreprises marocaines. Mais ces dernières, vu le nombre des commandes qui ne cessaient d’augmenter, ne pouvaient pas les prendre toutes. Elles ont alors fait appel à ces fabriques informelles », explique le syndicaliste, Jamal Asri.

Pour ce dernier, ce sont donc ces entreprises qui ont aidé à l’apparition de ces ateliers clandestins. « Ce sont des personnes travaillant dans ces mêmes entreprises qui louent des garages ou des caves. Les propriétaires de ces fabriques, qui louent ces lieux, doivent rendre des comptes. Car l’autorisation leur a été délivrée pour habitat et non pas pour une activité industrielle », précise ce syndicaliste.

Depuis plusieurs années, conclut-il, nous avons tiré la sonnette d’alarme sur les conditions difficiles dans lesquelles était fabriquée, dans ces unités non structurées, une bonne partie de la production textile de ces unités qui sous-traitent pour différentes marques internationales. Un dossier à suivre.

Naima Cherii

 

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