Écoles privées-Parents d’élèves : Polémique, bras de fer et tribunal

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Sit-in, pétitions, courriers, les parents d’élèves continuent le pressing contre le comportement -qualifié d’«irresponsable»- de certains établissements privés qui réclament le paiement des frais de scolarité des mois d’avril, mai et juin, malgré la fermeture des écoles depuis le 16 mars.

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Les parents d’élèves des écoles privées au Maroc sont déboussolés. Les pro-
priétaires des établissements d’enseignement privé demandent aux parents et tuteurs d’élèves de s’acquitter des mensualités du 3ème trimestre (avril, mai et juin), malgré l’arrêt des cours présentiels.
Alors que certaines institutions ont fina-
lement concédé une baisse de 30 à 50%,
d’autres réclament, quant à elle, 100% des frais de scolarité. La demande continue de provoquer, à travers le pays, l’indignation des familles concernées, lesquelles refusent de payer sans une prestation fournie en contrepartie.
Redouane Rochdi fait partie des parents
d’élèves mobilisés à Casablanca, depuis
le début du confinement pour demander, à coup de campagnes sur les réseaux sociaux, une baisse des frais du troisième trimestre.  “Mes enfants n’ont pas eu un soutien effectif. L’enseignement à distance assuré par l’école, durant ce confinement, prévoit de simples consignes et quelques exercices”, souligne Redouane Rochdi, parent d’élèves à Casablanca.
Il ajoute: “Cela ne peut justifier la demande de l’école de s’acquitter de la totalité des frais de scolarité”. D’autant, dit-il, que des dépenses supplémentaires étaient nécessaires pour maintenir l’enseignement à distance: «J’ai dû acheter des téléphones portables, installer la fibre optique pour ne pas avoir des problèmes de connexion. Pourquoi devrais-je payer pour un service que je n’ai pas eu”, dit-il.

Celui-ci ne mâche pas ses mots. “Aucun effort n’a été réalisé. L’établissement s’est contenté de créer des groupes sur WhatsApp,sans concertation avec les
parents”, précise ce parent, ajoutant que la durée de l’enseignement a été réduit à deux heures.
Mon enfant, qui est en 2ème année du collège, est inscrit sur un groupe de WhatsApp qui compte 90 élèves, soit trois classes, poursuit-il. “Imaginez 90 élèves qui doivent communiquer avec leur enseignant en même temps. Ce n’est pas normal”, dit-il.  “Je paie, précise ce parent, pour mes deux enfants 5.000 DH par mois pour des journées entières d’enseignement et des activités parascolaires”, précise notre interlocuteur.
Cette crise économique liée au virus de Covid-19 a mis les parents d’élèves en situation difficile sur le plan financier, dit Redouane Rochdi, qui refuse d’«être mis devant le fait accompli». Pourtant, ajoutera-t-il, il faudra débourser
les montants considérables que représentent aujourd’hui les frais de scolarité pour les parents d’élèves.
Tout comme Redouane, ils sont nombreux, les parents et tuteurs d’élèves qui ont réclamé, dès le 20 mai, date de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, une baisse des frais de scolarité du troisième trimestre, qui varient d’une école à une autre.

Problème national…

Malgré la médiation du ministre de l’Education nationale, Saaïd Amzazi, dans le litige qui oppose les parents d’élèves et les établissements d’enseignement privés, le bras de fer entre les deux parties continue dans plusieurs régions du pays.
“Le problème est national. Dans certaines zones, un accord a été conclu entre les parents et les écoles, qui ont réduit les frais de scolarité de 35 à 50%. Mais le problème persiste encore”, souligne Mohamed Mghafri, président d’une association de protection des consommateurs à Casablanca. Il regrette que certaines institutions n’ont pas réalisé même 30% de ce qui devrait être fait. “Il est donc normal que les parents d’élèves ne veuillent pas payer un service non rendu”, pointe Mghafri.
Ceci étant, certaines écoles pourraient perdre des dizaines d’élèves. Depuis quelques jours, le nombre des plaintes déposées contre les propriétaires des écoles privées pour services non rendus ne cessent d’ailleurs d’augmenter.
Pour marquer le coup, d’autres sont montés au créneau en organisant des sit-in de colère, malgré l’état d’urgence sanitaire, instauré dans le pays pour limiter la progression du virus de Covid-19. Une façon de continuer à montrer une détermination sans faille pour s’opposer à la demande des écoles privées.
“Adirassa 10%, wa aladaâ 100%”, “Hada
3ar, hada 3ar, Adirassa fi khatar”, “Swa
alyaoum swa ghada, attadamoun wa
laboudda”, “hada 3ar, oulidatna fi khatar”,
scandaient, ce lundi 8 juin, des dizaines
de parents d’élèves, qui manifestaient leur colère contre ce qu’ils qualifient d”abus”,
devant l’institution “Gauss” à Kénitra.
Ce mouvement de protestation fait suite à plusieurs courriers adressés aux différentes instances pour faire entendre les doléances des parents d’élèves, en ces temps de Coronavirus, indique-t-on, ce lundi 8 juin,  à la Fédération marocaine de protection des consommateurs.
Son président, Bouazza Kherrati, affirme
que la Fédération a répercuté la préoc-
cupation des parents au Comité de veille
économique (CVE).  “Nous avons inscrit cette question à l’ordre du jour de la Fédération. Nous avons demandé au CVE d’intervenir dans ce dossier. Car certains établissements scolaires privés harcèlent les parents d’élèves pour le paiement de services non accomplis. Et, le ministère concerné continue à faire la sourde oreille devant les requêtes des consommateurs”, nous a déclaré le président de cette Fédération.
“A la Fédération, on ne cesse de collecter chaque jour, les témoignages et les plaintes, afin de les relayer aux instances concernées”, nous dit-il.
Plusieurs parents ont reçu des lettres de
menaces, déplore Kherrati. Dans ces courriers, dit-il, les patrons de ces écoles privées accordent un délai aux parents pour le paiement du troisième trimestre, sinon ils menacent de mettre leurs enfants dehors”, fustige le président de la Fédération.
Une chose est sûre. A en croire des associations de parents d’élèves, le conflit risque de s’exacerber dans les prochains jours. Pour manifester leur colère, un millier de parents d’élèves, à Rhamna cette fois-ci, ont appelé, cette semaine, à un rassemblement contre les propriétaires de ces écoles pour services non rendus, apprend-on mardi 9 juin. Ils prévoyaient de le tenir incessamment, mais aux dernières informations, les contestataires ont d’abord préféré adresser des courriers aux autorités locales et au délégué provincial de l’éducation nationale à Rhamna, avant de hausser le ton. Un dossier à suivre.■

Naîma Cherii

Point de vue de Abderahim Razouk
Avocat membre du Barreau de Fès

 «Le contrat, même tacite, ne prévoit
pas des cours à distance»

Les parents et tuteurs d’élèves doivent-ils s’acquitter des frais de scolarité réclamés par les patrons d’écoles privés? Ces derniers doivent-ils demander le paiement du troisième trimestre, alors même que
les écoles ont été fermées durant cette période de confinement?
La question est soulevée et revient en force depuis l’annonce par le ministre de l’éducation nationale de l’ouverture des écoles en septembre prochain.
Craignant que les institutions privées re-
fusent de leur remettre les dossiers scolaires de leurs enfants, s’ils décident de quitter l’école, le bulletin du 2ème trimestre et celui du passage, certains parents se préparent déjà au pire. On apprend d’ailleurs que des dizaines de parents ont fait appel à des avocats pour déposer une plainte devant la justice, si, d’ici fin juin, aucun accord n’est conclu avec les écoles en question. “Certains établissements ont menacé les parents de ne pas leur remettre le dossier de leurs enfants. Ce comportement n’est pas basé sur des règles juridiques”, explique l’avocat Abderahim Razouk, qui accompagne plus de 300 parents d’élèves à Fès dans leur démarche judiciaire. Selon maître Razouk, une centaine de ses clients auraient déjà pris la décision de se réorienter vers l’école publique. “Le nombre des parents qui pourraient quitter l’école privée pourrait encore grimper”, avance notre interlocuteur. Car, dit-il, plusieurs parents se disent abandonnés et ne comprennent pas le comportement irresponsable des propriétaires de ces écoles, en ces temps de crise sanitaire. “Ces parents sont harcelés par des courriers adressés par ces écoles, qui leur demandent de payer des prestations qui n’ont même pas eu lieu comme prévu dans le contrat, même moral, qui lie les deux parties”, explique l’avocat. Il poursuit: “ Conformément à ce contrat, les élèves doivent en fait bénéficier d’un enseignement pédagogique, un encadrement, un accompagnement et de plusieurs autres activités parascolaires. Or, dans le contexte actuel cela n’a pas été possible.
Sachant que le contrat, même tacite, ne
prévoit pas des cours à distance”.
En plus, les parents, ajoute Me Razouk,
“n’ont pas été consultés pour savoir s’ils
étaient oui ou non d’accord pour cet en-
seignement à distance”. Ils peuvent de ce fait ne pas payer, d’autant que les services attendus n’ont pas été réellement rendus par l’école. D’ailleurs, conclut l’avocat, l’arti-
cle 235 du droit des obligations et contrats stipule que si l’une des deux parties a failli à ses obligations, l’autre partie peut refuser de s’acquitter de la contrepartie. ■

N.C

 

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