Les choses pourraient-elles s’améliorer enfin pour les sardiniers dans les ports de la zone de la Méditerranée? Ces ports sont quotidiennement le théâtre de scènes de désarroi lorsque les bateaux, à cause des attaques du dauphin noir, communément appelés «Negro», reviennent avec des filets complètement détruits. Depuis plusieurs années, ce gros poisson attaque leurs filets. Les eaux de la région en regorgent toujours, mais les solutions proposées font polémique.
Plus de cinq mois après la signature d’une convention, par la quelle il a été décidé d’allouer sur deux ans, une aide financière de 90 millions de dirhams pour l’acquisition de filets anti-Dauphin noir au profit des professionnels de la pêche sardinière exerçant dans la zone de la Méditerranée, une réunion technique a été tenue le 15 novembre à Tanger. Objectif : présenter les caractéristiques techniques du nouveau filet et boucler la liste finale des armateurs intéressés par le nouveau filet.
Selon des sources du ministère, dés que cette liste sera finalisée, des appels d’offres seront lancés pour sélectionner les sociétés qui seront chargées de la fabrication des nouveaux filets de pêche plus robustes, en remplacement des filets actuels pour protéger les marins-pêcheurs du dauphin noir qui continue d’inquiéter dans la Méditerranée.
Au cours de cette rencontre, un ultimatum de 15 jours a été donné aux professionnels pour déposer leur demande afin de bénéficier de ce projet.
Mais le problème n’est pas pour autant résolu. Car si les professionnels de certains ports (Nador, Cap d’eau, Cala Iris, Jebha, Hoiceima) ont déjà déposé leur demande pour profiter du projet, d’autres sont plus sceptiques et ont exprimé leur rejet catégorique du nouvel engin de pêche.
Il s’agit notamment des professionnels du port de M’diq où une vague de mécontentement submerge depuis quelques jours les milieux des sardiniers. Des sources proches du dossier ont fait savoir que les professionnels de ce port ont demandé une rencontre avec la secrétaire d’Etat Zakia Driouich pour lui exposer leur point de vue sur le sujet. Pour l’instant, aucune date n’est encore fixée
Le sujet est complexe et attend en tout cas l’intervention de la nouvelle responsable du département de la pêche, Zakia Driouch, surtout que les attaques du dauphin noir restent toujours très fréquentes, concèdent des voix professionnelles dans la zone nord du pays où la pêche sardinière demeure une activité principale pour plus de 3000 marins-pêcheurs, soit quelque 15.000 emplois indirects, selon les mêmes sources.
Les critiques des professionnels…
Suite à la réunion du 15 novembre, les pêcheurs du port de M’diq ont ainsi acté leur refus du nouveau filet proposé par l’Institut national de la recherche halieutique (INRH). «Il semble que l’on veut mettre en œuvre ce projet à n’importe quel prix. Ce que nous refusons. Si nous avons manifesté notre refus de ce projet, c’est que nous sommes conscients du fait qu’il sera très difficile d’utiliser le nouveau filet», déclare à Le Reporter ce mercredi 19 novembre l’armateur Karim Lemrabet, membre de la Chambre de pêche maritime de la Méditerranée. Ses arguments : «les caractéristiques techniques du nouveau filet ne sont pas adaptées à nos bateaux et ne sont pas conformes», déplore cet armateur, également président du comité de la pêche pélagique au sein de la Chambre.
Dans un entretien téléphonique, ce dernier souligne que les professionnels de ce port ne peuvent accepter que les subventions allouées à ce projet soient dépensées pour l’acquisition de filets qui ne leur conviennent pas et qui ne vont pas être utilisés. «C’est de la perte d’argent», dit-il.
«En nous donnant un ultimatum de 15 jours, on veut faire pression sur nous pour accepter le nouvel engin de pêche. Mais ils n’ont pas compris que ce filet ne va pas dans l’intérêt de notre activité. Le projet doit en principe se faire dans les meilleures conditions possibles pour garantir la poursuite de la pêche dans ces zones où, depuis maintenant de longues années, les professionnel souffrent de ce cauchemar qu’est le negro», explique encore ce professionnel.
Ce que les professionnels contestent également c’est le délai de livraison. «Même si nous étions d’accord sur les caractéristiques du filet, il y a lieu de signaler un autre problème. Nous devrions attendre très longtemps avant de recevoir l’engin en question. Le représentant de l’INRH a d’ailleurs fait savoir que la société sélectionnée ne pourra livrer que deux ou trois filets par mois. Sachant que la convention s’étale sur deux ans. Nous n’avons plus la patience d’attendre encore tout ce temps après plus de sept ans d’attente», explique Lemrabet, également président de l’Union professionnelle des armateurs de la pêche côtière au port de M’diq
Pour sa part, Mustapha Chabak, président de l’Association nationale des marins pêcheurs ajoute certaines critiques de ce filet anti-Dauphin noir.
«Les nouveaux filets sont très lourds par rapport aux anciens. Ils s’adaptent plus avec les grands bateaux. Sur un sardinier, par exemple, on n’a pas un triller comme celui dont disposent les grand bateaux. Ils sont d’une longueur de 600 mètres, alors que l’engin avec lequel nous avons toujours travaillé pour capturer le poisson est d’une longueur 900 mètres. Les nouveaux filets sont donc courts et on ne peut pas les utiliser sur un bateau sardinier», explique Mustapha Chabak, également patron de pêche au port de M’diq.
Et celui-ci d’ajouter : «Le représentant de l’INRH a fait savoir que le nouveau filet sera livré avec 10 nappes de filets. Ces nappes vont être utilisées pour les réparations quand le filet sera déchiré par le negro. Mais le problème est que l’on ne pourra pas les trouver sur le marché quand on en aura besoin. A ce moment là, va-t-on recourir au ministère ou à l’Institut ? Va-t-on lancer de nouveaux appels d’offres? On ne sait pas ».
Notre interlocuteur déplore au passage que les remarques et les recommandations des opérateurs ne soient pas prises en compte par l’Institut et s’interroge sur «l’intérêt d’acquérir des filets qui ne vont pas être utilisés ». « En été 2018, l’Institut a entamé les premiers essais d’un filet conçu par une société française. Mais il n’a pas pris en compte les critiques formulées par les patrons de pêche concernant les filets ayant été testés par certains bateaux en 2018 », rappelle notre interlocuteur, qui dit ne pas comprendre que jusqu’à présent, aucune étude n’a été réalisée sur les filets tournants utilisés dans la pêche sardinière.
Autre contestation…
Au total, selon les données officielles, 58 bateaux sont concernés par le projet, dont 18 opèrent au port de M’diq. Une quarantaine d’armateurs auraient déjà déposé leur demande pour bénéficier du projet, selon une source administrative, précisant que ces armateurs exercent dans les ports d’Al Hoceima, Nador, Jebha, Cap d’eau et Cala Iris.
Ce que conteste l’armateur Karim Lemrabet. « Dire que 40 armateurs ont déjà déposé leur demande pour profiter du projet, ce n’est pas vrai… », souligne notre interlocuteur, assurant que beaucoup de bateaux ont quitté ces zones pour aller exercer dans d’autres ports, comme Kenitra, Larache et Mohammedia, en raison de la baisse drastique de la ressource et du problème du « Negro ». Selon lui, les 2/3 des navires n’exercent plus dans la zone de la Méditerrannée.
« Ces gens là, on va les dénoncer très prochainement. On va révéler toute la vérité concernant ces gens qui n’exercent plus dans la zone. Dans les ports d’Al Hoceima, Nador, Jebha, Cap d’eau et Cala Iris, il n’y a que 25 sardiniers et non pas 40. Beaucoup sont partis ailleurs car il n’y a plus de poisson dans ces zones. Une simple visite sur place prouvera d’ailleurs que le port d’Al Hoceima compte seulement trois bateaux, dont un en arrêt et un en activité. Au port de Nador il y a six sardiniers. Celui de Jebha totalise actuellement quatre bateaux, trois bateaux à Cala Iris et trois bateaux à Cap d’eau», souligne Karim Lemrabet, lequel poursuit «Nous avons d’ailleurs diffusé un communiqué à ce sujet et informé le ministère via un écrit sur ce dossier».
Notons qu’en 2017, le gouvernement marocain a commencé à s’emparer de ce sujet complexe. En effet, il a été décidé que les professionnels de la pêche côtière soient dédommagés à hauteur de 100% (800.000 DH pour chaque bateau). C’est ce qui a permis à quelque 122 bateaux d’acquérir un nouvel engin de pêche de poissons pélagiques.
Mais, les choses ne vont pas s’améliorer pour autant. Aujourd’hui, il ne reste que 58 sardiniers dans toute la zone de la Méditerranée. Car la ressource va connaitre une baisse drastique et les frappes du dauphin noir ne vont pas s’arrêter. «La situation est difficile pour les pêcheurs. Beaucoup d’armateurs ont des dettes et sont menacés de faillite voire même de prison. Les bancs de poisson sont complètement anéantis dans ces zones. Quand on sort en mer, on revient sans rien à cause des attaques du negro. C’est pourquoi plusieurs armateurs ont quitté pour aller travailler dans d’autres ports. Et franchement l’idée commence à hanter également les esprits au port de M’diq, comme dans les autres zones de la Méditerranée», regrette l’armateur Karim Lemrabet, lequel demande «que les professionnels puissent profiter d’une aide financière en attendant de concevoir un filet avec les caractéristiques techniques qui conviennent aux professionnels».
Naima Cherii