Puits illégaux : La chasse aux «cavités de la mort» commence !

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Combien de puits illégaux, non déclarés, utilisés ou à l’abandon existe-t-ils actuellement au Maroc? Combien de fermes agricoles dissimulent des puits illégaux, utilisés pour capter illégalement les eaux souterraines? Pour l’heure, il n’y a pas encore une liste exhaustive des puits clandestins qui pullulent à travers le pays. Mais le sujet inquiète au plus haut niveau et devrait encore être  à l’ordre du jour dans les prochaines semaines.

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Selon la direction de la recherche et de la planification de l’eau  au ministère de l’Equipement et de l’Eau, les Agences des bassins hydrauliques procéderont à un recensement complet des puits clandestins représentant un danger pour la sécurité publique. Des mesures d’accompagnement seront également prises pour faire aboutir cette opération de recensement des puits abandonnés, précise-t-on auprès de la même source. Les services centraux du département de l’Eau préparent actuellement une circulaire conjointe avec le ministère de l’Intérieur pour mettre en application cette opération et fixer les procédures d’accompagnement.

Des cavités de 60 mètres abandonnées sans être rebouchées !

Si la tragédie du petit Rayan, un enfant de cinq ans tombé dans un puits de 32 mètres dans le village d’Ighrane à Chefchaoun, a réuni les Marocains dans un élan unanime, elle a aussi braqué les projecteurs sur la prolifération de puits illégaux au Maroc. Il aura fallu que l’enfant Rayan décède pour que l’on prenne conscience du phénomène des puits clandestins qui mettent en danger des vies humaines à travers le pays.

Depuis quelques jours, les autorités concernées ont enchainé les réunions pour organiser la chasse aux puits abandonnés dans plusieurs provinces. C’est désormais le cas à Tinghir, où les autorités  s’organisent, depuis lundi 7 février, au niveau local pour mener une campagne de contrôle auprès des propriétaires de puits et fermer les puits laissés à l’abandon, selon des associatifs locaux à Tinghir. Le nombre des puits illégaux et abandonnés serait très important dans cette région connue pour son déficit hydrique, constatent les mêmes sources, ajoutant que cette région compterait des milliers de cavités dites «Sanda». Ces puits, forés à la sondeuse, comporte un tubage de faible diamètre, soit de 10-20 cm, explique-t-on.

Dans la Commune d’Iknioune, une des 25 communes de la province de Tinghir, il existerait plus de 2000 puits illégaux «Sanda», selon nos associatifs qui opèrent dans le développement durable. «Ces cavités très étroites sont creusées dans pratiquement toutes les communes de la région, laquelle connait un manque d’eau. Les gens ont besoin de l’eau pour boire. C’est pourquoi, ils creusent des puits qui sont de plus en plus nombreux, tiennent à signaler nos associatifs. Et d’ajouter: «On peut creuser jusqu’à 7 puits avant de tomber sur une zone où il y a de l’eau. Le plus souvent, quand le forage n’a pas permis de trouver d’eau, les cavités de 60 mètres sont abandonnées sans être rebouchées».

Vaste opération à Chtouka Ait Baha

Dans le même temps, une vaste opération similaire a été déclenchée cette semaine à Chtouka Ait Baha, apprend-on de sources bien informées. Les services concernés de chtouka Ait Baha, également connue pour son déficit  hydrique, procéderont dans les tout prochains jours à un dénombrement complet des puits illégaux présentant un danger pour autrui. Les mêmes sources  soulignent que des instructions ont été données pour entamer -dans les plus brefs délais- cette opération de recensement des puits creusés clandestinement dans cette province. Une réunion a été tenue mercredi 9 février à ce sujet pour accélérer les choses, selon nos sources proches du dossier, qui soufflent que la province totaliserait encore des milliers de puits laissés à l’abandon sur son territoire. Dès que la liste officielle de puits illégaux dans la région sera prête, l’information pourra ensuite être communiquée aux communes pour qu’elles procèdent au scellement des cavités avec du béton, précise-t-on.

Dans les milieux associatifs, on se veut alarmant. «Un nombre très important de puits ont été creusés dans la région depuis maintenant plusieurs décennies. Beaucoup de ces puits ne sont plus utilisés et sont ainsi laissés à l’abandon. Ils se trouvent près de la mosquée ou juste à côté de l’école. Dans certains villages on trouve parfois jusqu’à 7 ou 8 puits qui ne sont pas fermés. C’est dire le danger que constituent ces cavités pour les vies dans ces villages, où les femmes ont d’ailleurs commencé –depuis le décès du petit Rayan- à accompagner leurs enfants à l’école de peur qu’ils tombent dans l’un de ces puits», témoigne Lahcen Bendaouch, président de l’Union des associations «Tanfalit», qui regroupe 45 associations opérant dans la commune rurale Aouguenz à Chtouka Ait Baha. Les accidents parfois mortels de puits sont fréquents dans cette région, affirme un autre associatif qui a requis l’anonymat. «Le problème c’est que certains puits inexploités ne sont pas fermés pour éviter des drames. Des enfants mais aussi des animaux, tombent fréquemment dans les puits, qu’ils soient laissés à l’abandon ou encore utilisés», précise-t-il.

Il faut de l’eau potable pour les zones rurales et leurs écoles…

Alors que le nombre exact des puits illégaux au Maroc reste inconnu, les ONG telle que Youth For Climate Maroc ont affirmé que leur nombre serait énorme. Certaines d’entre ces ONG évoquent des centaines de milliers de puits illégaux à travers le Royaume.

Les puits creusés illégalement serviraient aussi à irriguer les cultures. Dans certaines régions, des propriétaires de fermes agricoles sont pointés pour des extractions d’eau via des infrastructures illégales, alors que ces régions sont les plus exposées aux risques de sécheresse liés au réchauffement climatique, comme nous l’a souligné Abdeslame Hasnaoui, membre de Yout For Climate Maroc.

Pour cet associatif, également chercheur en développement, plusieurs régions connaissent ce fléau de puits clandestins et abandonnés, surtout celles qui sont touchées par le manque d’eau. «Cette question doit figurer parmi les priorités de nos élus. Il faut de l’eau potable pour les zones rurales et leurs écoles. Car si les gens creusent des puits dans nos campagnes, c’est surtout  pour l’approvisionnement en eau», dit-il, évoquant que les citoyens ont vécu un grand cauchemar dans la région de Midelt, le jour de l’Aid Al Adha 2021. «Alors qu’ils s’apprêtaient à célébrer la fête religieuse de l’Aid El Kébir, les gens ont été surpris par des coupures d’eau. Ils n’ont pas eu la possibilité d’accomplir convenablement le rituel de cette fête religieuse à cause justement de ce problème de manque d’eau», déplore le chercheur, Abdeslame Hasnaoui, originaire de Midelt. Et de poursuivre: «Ce problème de puits laissés à l’abandon touche plusieurs zones de Midelt, en particulier les anciens ksour. On réalise des fourrages de manière anarchique. Aucune étude n’est effectuée avant le creusement des puits». Le chercheur en développement évoque également des cas où certains propriétaires, à la recherche d’eau, mènent plusieurs essais de creusement de puits, avant de trouver de l’eau.  «Les gens procèdent à des forages sur plusieurs sites. Ils peuvent parfois creuser jusqu’à 8 puits dits «Sanda» avant de trouver enfin un puits où il y a de l’eau. Ce qui laisse des fosses pas du tout sécurisées, augmentant ainsi le risque d’accidents parfois mortels», regrette notre interlocuteur.

Les «cavités de la mort» inquiétaient déjà les hydrogéologues !

Après le décès tragique du petit Rayan, associatifs et citoyens  ont dénoncé sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter,..), les puits clandestins laissés à l’abandon ou encore exploités mais sans protection. Certains d’entre eux ont posté des photos des puits qu’ils ont détectés et estiment dangereux pour les promeneurs. Comment expliquer les infractions qu’il y a dans ce domaine de forage ? Qu’en est-il de la loi qui régit les creusements de puits au Maroc ? Au département de l’Eau, on se veut ferme. Le creusement des puits et la réalisation des forages sont soumis à autorisation. «La loi n°36-15 relative à l’eau décline une liste d’infractions et prévoit plusieurs sanctions relatives au creusement des puits, notamment la fermeture des ouvrages réalisés sans autorisation assortie d’amendes. Tout propriétaire ou exploitant doit d’abord demander une autorisation auprès des autorités compétentes, à savoir les agences de bassins hydrauliques ou, le cas échéant, l’autorité en charge de l’eau de la région. Aussi, le propriétaire doit signer une déclaration sur l’honneur, incluse dans la demande d’autorisation, à travers laquelle le propriétaire s’engage à entourer le puits d’une barrière de protection afin d’éviter les accidents et préserver l’eau contre les risques de pollution», explique-t-on au département de l’eau.

Néanmoins, sur le terrain, la loi n’est pas toujours respectée, comme nous l’a confirmé Mohamed Azhimi, hydrogéologue, spécialiste de l’exploration et de la prospection des eaux souterraines. Pour cet expert, le sujet inquiétait déjà bien avant le drame du petit Rayan. Dans un entretien téléphonique avec Le Reporter, cet hydrogéologue a tiré la sonnette d’alarme sur l’état des lieux des puits illégaux qu’il qualifie de grave. «Des forages de puits réalisés par des gens non spécialisés, sans autorisation et sans être déclarés, des puits sauvages et abandonnés, des puits qui sont creusés de manière aléatoire, partout on retrouve ces puits qui souvent ne sont pas soumis aux procédures légales en vigueur. On peut parfois trouver une dizaine de puits dans un seul lot de terrain», alerte l’hydrogéologue Mohamed Azhimi, qui pointe la complicité de certains agents d’autorités.

«Ces puits illégaux ne sont un secret pour personne. Le problème de ces cavités de la mort comme celle de 32 mètres de profondeur dans lequel le corps de Rayan à été retrouvé le 5 février continuera de se poser pour les populations, en particulier celles habitant dans les régions où il y a un manque d’eau», dit-il. Ces «cavités de la mort», poursuit notre expert, sont utilisées à des fins de consommation d’eau potable. Elles sont aussi creusées par les propriétaires de fermes agricoles pour pomper clandestinement les eaux souterraines, déplore-t-il. Un phénomène qui, selon lui, aurait pris de l’ampleur depuis le lancement du Plan Maroc Vert. Dans une vidéo, postée sur son compte facebook, le 24 décembre 2021, l’hydrogéologue Mohamed Azihimi a averti contre des milliers de cavités non déclarées et de puits clandestins qui mettent en danger des vies. «Le fléau des puits illégaux a déjà fait plusieurs victimes et va continuer de faire de nouvelles victimes si aucune action effective n’est prise par le gouvernement», prévenait-il dans cette vidéo, qu’il a réalisés dans le cadre de son émission intitulée «Investigations scientifiques».

Un dossier à suivre.

Naîma Cherii

 

 

 

 

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