Entretien : Khalid Bounajma, président de l’ASCAM (Association des conditionneurs marocains)

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«Voilà les problèmes qui font que les mandarines sont jetées !»

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Comment s’annonce aujourd’hui la situation du secteur?

La situation est très compliquée. En 2015, nous avions mené une étude sur la capacité du conditionnement au Maroc. Cette étude, que nous avons d’ailleurs publiée, a montré que la capacité du conditionnement du Maroc ne répond qu’à 25% au potentiel de production des vergers pour les mois de novembre, décembre et janvier. C’est sur la base de cette étude que, d’ailleurs, le contrat programme 2017-2021 a été initié par le ministère, lequel a répondu aux demandes des professionnels.

Il a programmé d’accompagner 22 nouvelles unités d’agrumes, pour augmenter la capacité de conditionnement. Une subvention de 30% a ainsi été donnée aux industriels.

Pour expliquer aux producteurs la problématique, l’ASCAM a organisé, en 2016, un séminaire dans la région de Béni Mellal, là où il y a les bassins qui produisent plus de 420.000 tonnes d’agrumes. En tant qu’ASCAM, nous avons expliqué aux grands producteurs qu’il faut se rassembler à deux ou trois producteurs. Et en tant qu’expertise métier, nous étions prêts à les accompagner, en plus, bien évidemment, de la subvention de l’Etat qui est de 30% pour la construction d’une unité. Cela est nécessaire, car la capacité nationale est incapable d’absorber tout ce volume de 420.000 tonnes d’agrumes. A noter qu’à Béni Mellal, on peut construire dix nouvelles unités, soit une capacité de 200.000 tonnes. Surtout que les gens ont bénéficié de terrains et d’une subvention pour faire de nouvelles unités. Mais cela n’a pas été fait. Aujourd’hui, sur les 22 unités, seules trois ont été réalisées au Maroc. Ce n’est pas assez. Autre problème: il y a une capacité de 15.000 tonnes d’écrasement des jus non utilisée au Maroc. En septembre dernier, le problème a d’ailleurs été soulevé lors d’une rencontre qui a réuni l’ensemble des conditionneurs. Les industriels des jus se sont mis d’accord sur le fait de s’engager sur un prix et sur une régularité de livraison, pour faire tourner les usines avec un rythme régulier. Malheureusement, personne n’a voulu s’engager pour garantir un bon prix pour le producteur, l’industriel et pour tout le monde, en fait. Je pense que les objectifs du contrat-programme n’ont pas abouti.

Depuis quelques jours, on voit circuler des vidéos qui montrent des camionnettes jetant de la mandarine dans les champs. Comment expliquer cette situation? Et quelle solution pour éviter cette situation?

On peut l’expliquer par l’offre et la demande. Il faut souligner que, lorsque le marché de l’export absorbait toute la production, le problème ne faisait pas surface. Mais, maintenant que la capacité pour sortir à l’export est limitée, il faut attaquer les autres débouchés (export, jus et marché local).

Je rappelle qu’en 2015-2016, il y avait le même problème de jet de mandarines. Déjà à cette époque, on avait sensibilisé les gens sur la nécessité de se réunir et de créer de nouvelles unités. Ceci dit, nous assistons au jet de la clémentine parce que le marché est fermé. Lorsqu’un consommateur achète un kilo à 4 DH, on bloque la vente. Nous sommes sur un marché qui n’est pas ouvert. Avec l’actuel process, les intermédiaires qu’il y a et l’absence de la chaîne de froid, tout cela fait qu’il y a beaucoup de perte du produit. Au final, ce sont les consommateurs qui supportent les erreurs. Les industriels, les producteurs et les conditionneurs, quant à eux, ne captent pas la valeur. La solution à ce problème, c’est de se  mettre en collectif. Les gens doivent se réunir en créant des collectifs et des stations et diminuer l’offre à travers l’export.

On parle aussi d’un lobbying…

Oui. Il y a un lobbying dans les marchés de gros qui bloque la commercialisation sur le marché local. L’obligation de passer par le marché de gros est une erreur monumentale. Il faut  changer les procédures et la méthode adoptée jusqu’ici dans ces marchés. Car, la marchandise reste à l’air libre et est laissée sous le soleil pendant longtemps. C’est ce qui fait qu’il y a une dégradation de la marchandise. Cette méthode est dépassée. Un fruit comme la clémentine doit entrer dans la chaîne de froid, pour ne pas perdre de sa qualité; sachant que, lorsqu’il y a dégradation de la qualité, il y a automatiquement baisse du prix. Aujourd’hui, il faut changer les procédures suivis jusqu’ici, afin de permettre aux stations de conditionnement et aux producteurs de vendre directement leurs produits aux supermarchés et dans les marchés de gros, au lieu de passer par les intermédiaires.

Dois-je le souligner, on a des stations qui coûtent des milliards et on n’a pas le droit de vendre aux GMS (grandes et moyennes surfaces) marocaines. Quand on y va, on trouve une marchandise qui ne répond pas à l’image du Maroc et aux avancées qu’on a aux USA et au Canada. On y trouve une marchandise qui ne répond pas aux normes internationales. C’est malheureux. Alors que nous sommes des champions, nous avons écarté l’Espagne du Canada et l’Espagne de l’Angleterre. Le consommateur marocain, lui, ne peut pas acheter une marchandise comme celle qui se vend en Europe, avec un prix compétitif. La réalité du marché national est que, lorsqu’on va aux marchés (GMS), au lieu de trouver un produit de qualité et de haute gamme, on trouve des produits destinés à l’écrasement au prix de 1,50 DH. Un produit que l’on ne peut pas acheter…

Quelle solution, selon vous, à la problématique de la guerre des prix sur le marché national? Peut-on voir un jour un prix référentiel au Maroc?

Je dois dire que, pour le marché local, le process est ancien. C’est un process qui est inadmissible. Comment expliquer que l’on jette la clémentine et le consommateur l’achète à 4 dirhams? Il n’y a pas de prix référentiel. Les professionnels doivent donc bouger et travailler pour mettre un prix de référence.

Qui sont ces gens qui jettent leurs mandarines?

Ce sont surtout des gens qui ne sont pas intégrés dans une coopérative.  Je dois souligner que plus de 50% des producteurs marocains ont l’habitude de vendre sur pied et ne s’inquiètent pas de savoir ce qui est derrière la vente. Ils n’ont pas de destination et n’ont pas de certificat pour exporter. En fait, c’est cette catégorie qui souffre le plus. Par contre, les gens qui sont intégrés et ont une visibilité et une unité de conditionnement, ce n’est pas aussi dramatique, même si, eux aussi, ont leurs problèmes!

Propos recueillis par Naîma Cherii

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