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Par Réda Dalil

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Cœur serré, mort dans l’âme. La Une de Jeune Afrique étale au grand jour ce que l’affect national voudrait balayer sous le tapis de l’amnésie: Born in Morocco, nés au Maroc. Le Mal, la souffrance, le meurtre, tout cela est né au Maroc. Ironie ou paradoxe : Face à la mort, ces djihadistes qui se réclament d’une oumma supranationale, mythe aveugle aux topographies frontalières, redeviennent brusquement marocains.

C’est un Marocain qui a broyé la chair vivante à bord de sa camionnette bélier. C’est un autre Marocain qui a poignardé des Finlandais à Turku et c’est dans ces instants où la honte dévore la fierté des origines qu’on aimerait nous aussi essentialiser, noyer l’identité nationale dans l’identité religieuse.

On aimerait dire : ce ne sont pas des Marocains, ce sont des intégristes, des fous de Dieu. On voudrait se planquer derrière l’amalgame occidental qui fourre, pêle-mêle, les bruns, les barbus, les rats du désert, les bicots, les bigots, les beurs, l’arabe sans visage de Camus, les indigènes, dans le même sac à clichés. Sauf qu’on aura beau essentialiser, sous le manteau des stéréotypes, respire une nationalité, et ce ne sont ni des Algériens ni des Tunisiens ni des Norvégiens qui ont déchiré des vies à la fourgonnette bélier, ce sont des Marocains, des nôtres, et il semblerait que le mal n’ait plus pour « copyright » les hirsutes, les loups solitaires, les marginaux, les takfristes. Non, observez les visages glabres et juvéniles des assassins. Ils ont de l’allure, sortent le soir, font la fête, fréquentent des « impies ». Ils sont jeunes, ils sont l’avenir et ils sont… Born in Morocco.

Cela fait mal.

Cette couverture de magazine rouge sang et drapeau est insupportable en ce qu’elle symbolise une défaite cuisante devant l’histoire. Oui, les causes du mal sont nationales, il faut se l’avouer et agir. C’est vrai, on aimerait nier les faits, mettre cela sur le dos d’une idéologie venue des éleveurs de chameaux wahhabites, tout à fait étrangère à la bonhomie marocaine et son illustre sens de l’hospitalité. Le déni essaiera de chloroformer notre lucidité, d’étouffer cet écho de vérité qui trouble notre quiétude pour répéter sans se fatiguer, comme un piston : le problème vient de nous, d’ici, il est le Frankestein, le Babadook,  la créature maléfique de décennies de yo-yo entre autoritarisme et permissivité envers les fondamentalistes. La société avait un père sévère, l’Etat, il lui fallait une mère consolante, ce sera la foi exacerbée. Il fallait anesthésier les intelligences pour équilibrer l’équation de la stabilité. Partant, les bigots ont triomphé des éclairés, les m’sid des encyclopédies, et le Marocain nouveau naquit. Examinons ce Marocain de demain comme dirait Riad Sattouf, qui est-il au juste ? A première vue, il est comme vous et moi : bien dans ses baskets, jeune, hyper-connecté, la Stan Smith aux pieds et Kendrick Lamar dans les oreilles ; mais, niché sous le plastron artificiel du swag, sommeillent les racines de l’horreur : théorie du complot, haine des femmes libres, antisémitisme, syndrome de l’élu, rejet de l’altérité, détestation de la différence, jalousie, haine des minorités et de l’ailleurs développé, réflexe ségrégationniste envers le faible et l’handicapé… Pour faire court, un ignoble gloubiboulga de bile, de chamanisme archaïque qui s’épanouit à l’aune du déclassement social et de la gouvernance molle.

Cette bile, avec le temps, a gagné en grumeaux. Elle est devenue marécageuse, visqueuse. Comme un marigot au-dessus duquel voltige un nuage de moustiques, attirés par la pourriture. Cette bile prendra possession d’un esprit vide donc consentant, lequel, alors, deviendra retors, narcissique, jusqu’à franchir le rubicond de l’inhumain et frapper, tuer, violer, poignarder, écraser, piétiner, comme on frappe, tue, viole, poignarde, écrase et piétine l’image patiemment forgée à coups d’euros et de méchouis d’un pays, le nôtre ; jusqu’à ce que Jeune Afrique  dise l’indicible, poignarde notre orgueil, braque sur nos yeux écarquillés le miroir de Stendhal, le miroir de nos laideurs inavouées ; jusqu’à ce que le château de cartes de nos illusions prenne feu.

Le Marocain sera désormais un fiché S symbolique. Il passera de sympathique danseur folklorique agitant la ficelle au bout de sa chéchia, à semeur de mort et de larmes. À cause de la bile, cette bile maudite dont rien ne présage ni la fin ni l’endiguement de la propagation ; cette bile qui coule, progresse, s’insinue dans les anfractuosités de notre univers mental, le corrompt, l’atrophie, le ronge…

Born in Morocco…

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