Omar Kettani : «Une des fautes graves commises, c’est d’avoir renoncé à la Samir et les problèmes sont structurels»

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Entretien avec Omar Kettani, Professeur d’économie à l’université Mohammed V de Rabat

 

Un autre embargo contre le pétrole raffiné de la Russie a débuté dimanche 5 février. Omar Kettani, Économiste et professeur à l’Université Mohammed V de Rabat analyse l’impact de cette nouvelle sanction sur le Maroc.

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Les pays de l’Union européenne ont annoncé de nouvelles sanctions destinées à affaiblir la Russie. Un autre embargo contre le pétrole raffiné de ce pays a débuté dimanche 5 février. Quelles sont les conséquences de ces sanctions pour le Maroc ?

On est déjà dans une situation inflationniste. On a observé qu’il y a de l’argent cash qui a augmenté d’une manière importante ces derniers temps. On sait que les gens dépensent plus et gardent moins l’argent dans les banques. Ce qui devrait avoir quelques conséquences au niveau de la fluidité et de la liquidité des banques.
Les deux tiers des comptes courants sont normalement utilisés par les banques dans les opérations de placement financier. Mais maintenant, il y a moins de liquidité car les gens dépensent plus à cause de la hausse des prix. Maintenant, est-ce que cette inflation va continuer à cause de ces sanctions et de ce grand problème d’approvisionnement au niveau du pétrole? En fait, il y a deux aspects que l’on observe. Il y a d’abord l’aspect qui montre que tant que la guerre en Ukraine continue on est impacté parce que l’essentiel de notre approvisionnement en pétrole et en gaz nous provenait des grands pays producteurs, notamment les pays du Golfe. Mais ces pays ont maintenant baissé leur production pour faire pression sur les prix. On est donc dans un engrenage. Puisqu’on subit les conséquences directes et indirectes de cette hausse des prix des hydrocarbures. Deuxième aspect à souligner, c’est que l’Etat est gagnant dans cette augmentation des prix des carburants et aussi dans les conséquences de cette hausse des prix des produits due au problème du pétrole et du gaz. D’ailleurs, lorsqu’il y a baisse sur les marchés internationaux, les baisses au Maroc ne sont pas rapides et ne sont pas significatives. L’Etat est gagnant puisqu’au niveau de la TVA, plus les prix des produits augmentent, plus les rentrées fiscales augmentent. On est donc entre l’enclume et le marteau. La société marocaine est piégée par les circonstances internationales et par une politique marocaine qui protège particulièrement les ressources de l’Etat et beaucoup moins le pouvoir d’achat des consommateurs. A noter enfin que l’une des fautes graves commises par les politiques des gouvernements au Maroc c’es le fait d’avoir renoncé à la Samir.

A votre avis, l’économie marocaine va-t-elle être affaiblie par ces nouvelles sanctions?

Il faut d’abord souligner qu’au Maroc, le problème est structurel à cause d’un double effet inflationniste. Une inflation externe et une inflation interne. Et cette inflation interne est causée par les choix, l’économie de la rente, les dépenses non utiles et l’absence d’une visibilité au niveau de l’approvisionnement en eau et la politique de l’édification des golfs dans un pays qui est menacé par la désertification. Quand on ne prévoit pas les risques de la sécheresse et quand on a, à un certain moment, un projet de construire 14 golfs, dont chacun consomme l’équivalent d’une petite ville en eau, eh bien on ne peut pas couper la voie à la montée du désert. D’autant qu’on n’a pas mené une politique de reboisement systématique.

Le problème est donc structurel. Et quels que soient les gouvernements qui se sont succédé, les responsables n’ont jamais eu une vision à moyen et à long terme. En fait, ces gouvernements qui ont un mandat de cinq ans,  empruntent et dépensent beaucoup. Ils s’engagent sur un emprunt de 15 ou 20 ans alors qu’ils vont partir au bout de cinq ans. Ils s’en fichent donc des conséquences. Mais ce qui est extraordinaire c’est que les gens qui nous gouvernent n’ont aucun sentiment de compassion et d’empathie vis-à-vis de leur société. Ils tiennent un discours qui est absolument apaisant pour calmer les gens. A la fin, ils finissent par y croire eux-mêmes. Ils finissent par croire que les choses ne sont pas trop mal. Et ça, c’est grave.

Tant qu’on n’a pas un organe qui réfléchit à long terme et qui programme sur au moins une génération surtout au niveau des besoins essentiels de l’énergie, de l’eau, de l’approvisionnement en matière des produits agricoles, etc, eh bien les conséquences on les voit maintenant. On est en train de vivre une année –par excellence- inflationniste et les conséquences on les voit, bien sûr, au niveau de la croissance économique et de l’emploi. Les statistiques ne le disent pas beaucoup, mais on a aujourd’hui un million de chômeurs. C’est dire la souffrance sociale des jeunes qui se positionnent sur le marché de l’emploi et qui sont dans une conjoncture mauvaise.

S’agissant des nouvelles sanctions et de leurs conséquences sur les pays du tiers monde, il faut dire que ces derniers sont en train d’être pénalisés par l’Europe et par la politique européenne. Ce n’est pas la responsabilité de la Russie, c’est la responsabilité de l’Europe qui est à la merci de la politique américaine. Imposer de nouvelles sanctions cela veut dire en répercuter les conséquences sur nous. Les Européens disent que la Russie est en train de créer une famine dans le tiers monde car elle ne laisse pas l’Ukraine exporter son blé. Mais l’Europe aussi -en sanctionnant la Russie- est en train de sanctionner tout le système du transport du pétrole de la Russie vers les pays du tiers monde.

Pour faire face à la hausse des carburants, le gouvernement a opté pour le recours aux subventions en faveur des transporteurs. Selon vous, le gouvernement doit-il prendre de nouvelles mesures pour minimiser l’impact de l’embargo contre le pétrole raffiné russe ?
Au Maroc, on fait ce que font les pays européens, en particulier la France et quelques pays. Mais ces subventions ne sont pas à la hauteur du coût réel des services du transport et donc, ça met en danger plusieurs sociétés de transport. Pour faire face aux conséquences de ces nouvelles sanctions contre le pétrole raffiné de la Russie, il y aura peut être des aides. Mais ces aides ne vont même pas couvrir la moitié du cout réel des dépenses. D’autant qu’on subit maintenant un multiplicateur de l’inflation. Ce qui veut dire que les gens qui subissent l’effet de l’inflation, vont la répercuter sur les produits et ces produits là vont se répercuter sur la consommation des ménages. Ce qui va se répercuter au final sur le pouvoir d’achat des citoyens ainsi que sur les revendications au niveau des salaires. On va donc rentrer dans un engrenage qui est très dangereux.

A noter que l’un des éléments majeurs qui auraient pu donner un exemple de solidarité au Maroc, c’est d’adopter une politique d’austérité des dépenses. C’est de diminuer les dépenses de fonctionnement d’une catégorie privilégiée des fonctionnaires de l’Etat. Mais le fait est que, aujourd’hui, ni le parlement ni les ministères n’ont pris des mesures pour baisser ces dépenses, ne serait-ce que pour montrer aux Marocains qu’ils se solidarisent avec la société. S’il y a une catégorie de gens qui se solidarise avec le Marocain, c’est bien les travailleurs marocains à l’étranger. Ils sont en train de se serrer la ceinture pour aider leur famille en transférant au Maroc plus de dix milliards de dollars par an. C’est incroyable !

Entretien réalisé par Naîma Cherii

 

 

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