Scandale : Ceux qui s’approprient, commercialisent, détruisent les écoles publiques

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Dégradation des écoles, pas assez de classes pour les élèves, des associations qui s’approprient des établissements scolaires «démolis» pour faire à leur place des projets commerciaux, etc. Certains sont aujourd’hui vides et à l’état de ruines. D’ici peu, ces écoles pourraient disparaitre du paysage, selon des responsables d’établissements. Reportage.

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Associatifs, enseignants et parents s’inquiètent de la disparition des établissements scolaires dans le centre-ville de Casablanca. Depuis plus d’une vingtaine d’années, la scolarité des élèves dans cette zone est rythmée par les contestations des enseignants et parents d’élèves, selon un professeur. « L’état des écoles continue de se détériorer ». « On a l’impression qu’on ne mise plus sur l’enseignement public », se désole ce professeur. L’infrastructure est terrible, dit-il. Enseignants et élèves paient le prix de cette situation. « Lorsque nous entrons, nous trouvons des fenêtres et des portes qui sont cassées, on est toujours dans les courants d’air », déplore-t-il. « Pas de terrain de sport, ni de vestiaire…», poursuit cette même source, qui ne mâche pas ses mots.

La situation est particulièrement dégradée dans certains quartiers de la capitale économique, où le ministère de tutelle, responsable des bâtiments, « n’intervient pas », juge un associatif, militant pour la défense de l’école publique au niveau de la préfecture d’Anfa. « Des dizaines d’établissements sont laissés à l’abandon sans que des travaux ne soient effectués », et cet associatif d’ajouter à ce sujet que des classes seront supprimées à la prochaine rentrée dans la préfecture d’Anfa.

Des responsables d’établissements scolaires confirment les dires de cet associatif. Ils affirment que la capacité d’accueil a été réduite dans certaines écoles. « Tous les établissements, qui tournent au ralenti, vont être fermés », assure un ancien directeur d’école, ajoutant que chaque année une ou deux écoles sont fermées. « Il y a vingt ans, la préfecture de Casa-Anfa, par exemple, comptait une cinquantaine d’établissements publics (primaire, collège et lycée). Actuellement, cette préfecture n’en totalise qu’une trentaine seulement », regrette ce responsable retraité, sous anonymat. Il ajoute, non sans désolation, que plusieurs écoles ayant été fermées ont été démolies et remplacées par des projets. « Des écoles publiques sont classées patrimoines urbanistiques, mais elles ont pourtant disparu », dit-il, précisant que les explications avancées sont que ces écoles menacent ruine ou que les élèves quittent pour s’inscrire dans le privé.

Pourquoi est-on arrivé à cette situation ?

À Casablanca, des dizaines d’écoles publiques ont disparu du paysage. Elles sont passées entre les mains d’investisseurs ou d’associations. D’autres, vu leur état de vétusté très avancé, risquent aussi de l’être dans les prochaines années. « Tous les établissements fermés et détruits sont ciblés par un lobby de promoteurs immobiliers et d’investisseurs et ce, particulièrement au centre-ville où le mètre carré avoisine les 25.000 dirhams voire plus », avancent des associatifs, ce qui menace, disent-ils, toutes les écoles publiques de cette zone de la capitale économique. On essaie aussi de diminuer les effectifs des classes existantes – et donc des élèves- pour justifier la fermeture des écoles, poursuivent les mêmes sources. « Parmi les établissements démolis, certains ont été transformés en projets au profit d’associations qui n’ont rien avec l’enseignement », lancent des représentants d’ONG, qui pointent aussi certains responsables au ministère de l’éducation, qu’ils qualifient de « généraux d’enseignement ».

Rien qu’au niveau de la Préfecture de Casa-Anfa, des dizaines d’écoles ont déjà connu le même sort. La majeure partie d’entre elles ont été construites pendant le protectorat. Ces écoles, d’une grande superficie, ont été déclarées bonnes à démolir après qu’elles ont été laissées à l’abandon. Elles sont passées dans des conditions parfois troubles à des associations qui se présentent comme étant actives dans le développement durable ou dans la promotion du sport, souligne notre associatif, militant pour la défense de l’école publique à Anfa. Celui-ci connaît bien ces écoles. Au fil des années, il a repéré bon nombre d’entre-elles passer entre les mains d’associations. Pour lui, cette situation désastreuse des écoles dans ce périmètre du centre-ville est à mettre au bilan de la politique menée pour évacuer les habitants de toute la zone concernée par le projet de l’Avenue royale qui se trouve aujourd’hui dans l’impasse. Plusieurs d’entre-eux, ayant été obligés d’être évacué de leur maison, vivent aujourd’hui dans l’l’école Ziraoui. Ils y sont depuis une décennie, selon les habitants riverains!

Lobby à la recherche d’écoles publiques en délabrement ?

Le Reporter s’est rendu lundi 27 juin, dans cette zone et le constat était on ne peut plus inquiétant. Avec notre interlocuteur associatif, nous avons parcouru les rues de Tazarine, Maréchal Fayolle, Goulmima, Guercif, Bordeaux, Ziraoui, Taourirt, Indochine, Driss El Jai, etc. Ces zones forment une partie du projet de l’aménagement de l’Avenue royale. Elles ont été le théâtre de la plus grande opération de démolition d’établissements scolaires dont le patrimoine de certains d’entre eux remonte aux années 20 du siècle dernier.

C’est par exemple le cas du collège Moulay Youssef, qui s’appelait aussi École de la Ferme Blanche. Connu communément sous le nom de « Madrasat El Kobba » (école de la coupole), cet établissement, d’une grande superficie donnant sur la rue Goulmima et boulevard Ziraoui, était la première école qui disposait d’une branche consacrée à la formation professionnelle. Malheureusement, cette école située à proximité de la Mosquée Hassan II, a été détruite il y a plus d’une vingtaine d’années. Sur les lieux, on trouve aujourd’hui une mosquée, des terrains de foot, un restaurant, un café et un conteneur pour congeler le poisson. Des caméras de vidéosurveillance ont été installées sur les lieux.

Sur les documents, et dans le cadre d’un partenariat inscrit dans l’INDH, l’Association Attawassoul était censée gérer un terrain de proximité pendant une durée limitée, mais le fait est que cela devient un vrai projet d’investissement, explique notre source, non sans colère. « C’est une vraie mafia qui cible les écoles publiques. Elle cherche à mettre la main sur ces établissements qui sont d’une grande superficie. Pour cela, on essaie de faire croire que ces écoles menacent ruine pour procéder à leur fermeture avant de passer à l’action », selon lui.

C’est aussi le cas, à deux pas de l’école de Madrassat El Kobba, de l’école El Hariri. Cette école, qui donne sur la rue de Maréchal Fayolle et boulevard Ziraoui, figure parmi les premières démolitions d’écoles publiques à Casa-Anfa. Cette école accueillait plus de 2.000 élèves, il y a encore quelques années, regrette notre interlocuteur.

On voit des terrains de sport qui ont été réalisés à la place de la défunte école. «Normalement, il était question de gérer -pendant une durée limitée- un terrain de proximité à des prix très symboliques au profit des enfants de la zone. Mais, l’Association chargée des lieux, Club Rahal de foot, a conclu plusieurs conventions avec de grandes entreprises de la place pour louer les terrains à 600 dirhams l’heure. En plus de contrats annuels qui avoisinent 30.000 dirhams», déplore la même source. Et de poursuivre : « En détruisant ces écoles, on a empêché plusieurs générations de poursuivre leur scolarisation. La déperdition scolaire, c’est ici qu’elle a commencé. Pendant ce temps, des hommes d’affaires vont laisser leur business pour venir s’activer dans les services de proximité au profit des enfants. Mais ce n’est pas vrai. Ils ne cherchent que le gain ».

Dans la même zone, selon notre accompagnateur, en plus de ces écoles qui sont démolies et passées entre les mains d’associations, d’autres, par contre, ont été fermées et sont rendues inaccessibles aux élèves. C’est le cas de l’école Al Kindi, fermée depuis maintenant plus d’une décennie, raconte cet associatif. Le résultat de plusieurs années d’abandon est sans appel, dit-il. L’état de cette école est plus qu’inquiétant : le bâtiment est, en effet, dans un état de total abandon, ouvert à tous les vents, a-t-on constaté lors de notre reportage. L’école est sinistrée. Il a fallu attendre le délabrement de l’édifice pour que l’on réagisse, lance notre associatif, ajoutant qu’un partenariat a été signé pour transformer l’école en un institut de formation en entreprenariat.

Sur la même rue, ironie du sort, l’état délabré d’un autre établissement, l’école Ibn Baja, était tel qu’il a entraîné sa fermeture, ajoute toujours notre accompagnateur. Dans le cadre d’un partenariat, cet établissement a été confié à la fondation Jaouda qui a procédé à sa rénovation pour en faire une école du préscolaire dédiée à la deuxième chance. « On détruit une école, où l’élève trouve sa première chance de scolarisation, pour en faire une autre de 2è chance ! On devait d’abord améliorer la qualité de l’enseignement public de la première chance », a lancé l’associatif, non sans moquerie.

Sur la rue Guercif, se trouve le lycée Omar El Khiyam, dont la superficie est très grande. Il est également ciblé. Pour l’heure, souligne notre accompagnateur, l’établissement sert de refuge pour les étudiants de l’enseignement traditionnel. Une partie de ce lycée est réservée à l’enseignement couturier ainsi qu’à d’autres activités, ajoute la même source, précisant que deux Associations occupent actuellement le lycée. « C’est justement le but de toutes ces opérations qui est de réduire l’effectif des classes », dit notre associatif. Il poursuit : « Ce n’est qu’une question de temps. Mais un jour, à sa place naîtra un immeuble de standing, comme ceux que vous voyez là ». Dans cette zone, des immeubles de standing étaient en finalisation de construction, a-t-on constaté lors de notre reportage.

Dans le même secteur, notre accompagnateur a proposé de nous montrer un autre cas d’école, qui, selon lui, ne devrait pas fermer : collège El Ouafa, qui a été construit à l’époque du protectorat. Il explique que ce collège, donnant sur la rue Dindochine, est concerné par un partenariat avec le privé. « Je pense que cet établissement ne devrait pas connaître le même sort que les autres. L’idée de faire des conventions avec le privé pour améliorer la qualité de l’enseignement, c’est un modèle réussi de partenariat. D’ailleurs, on n’y a pas réduit les classes et on a gardé les élèves » dit-il, ajoutant que le partenariat porte, entre autres, sur la mise à niveau du terrain de sport de l’établissement.

Face à ce collège, lequel est doté d’un laboratoire et d’un théâtre mais dont l’état s’est détérioré avec le temps, se trouve le lycée Lyautey qui semble assumer fièrement son titre d’institution de l’enseignement français au Maroc. Tout comme ce dernier, le lycée israélite Maïmonide, situé également dans la même rue, témoigne d’un intérêt particulier accordé à l’amélioration de l’infrastructure de cet établissement.

« Pourquoi le ministère de l’éducation ne fait-il pas la même chose pour entretenir ses bâtiments ?», s’interroge l’associatif. «Nos écoles sont laissées en l’état de délabrement. Comment expliquer un tel état d’abandon ?», juge-t-il. « Ces établissements scolaires relèvent de la propriété du ministère de l’éducation ». Cette phrase, l’associatif qui nous a accompagnés lors de notre reportage dans le centre-ville, la répète plusieurs fois.

Dans la société civile, dit-il, le cas d’une autre école, Abdelwahed El Marrakchi, en révolte plus d’un.  Située sur la rue Driss El Jai, cette école a été fermée et rendue inaccessible aux élèves depuis plusieurs années. Elle est concernée par un projet de formation des arts culinaires dans le cadre de l’INDH. Le président de l’Association « Créativité, éducation et formation » a confié le projet à un gérant qui aurait été impliqué dans une affaire de diplômes falsifiés, selon les dires de notre interlocuteur, ajoutant que « les diplômes délivrés n’ont pas un statut légal ». L’établissement est concerné par un autre projet d’école pour la deuxième chance et ce, dans le cadre d’un partenariat conclu entre l’Académie régionale de l’éducation et l’Association Sidi Belyout, laquelle est également chargée d’un terrain de proximité dans le cadre de l’INDH.

Dans les rangs des ONG de la place, l’incompréhension est totale. Même l’espace se trouvant devant l’école Abdelwahed El Marrakchi a été exploité par cette Association, dont le président est un proche de l’ancien président de l’Arrondissement de Sidi Belyout, déplore l’associatif. Il y a ouvert des commerces, dit-il. L’autre partie de cet espace est occupée par l’annexe des fêtes relevant de l’Arrondissement de Sidi Belyout, a-t-on constaté. De l’extérieur, on ne voit plus l’école Abdelwahed El Marrakchi. On ne voit que l’annexe des fêtes et les commerces qui occupent l’espace se trouvant devant l’école.

Tous les projets, qui ont ouvert au niveau de ces écoles reprises par des associations, auront encore plusieurs années d’exploitation avant que des lobbies ne mettent la main sur ces bâtiments, souligne la même source. Selon un élu à l’arrondissement de Sidi Belyout, les projets de commerce ont été créés sans autorisation et auraient rapporté des millions d’argent « en toute opacité », dit-il. « Si on avait utilisé cet argent pour le projet de l’aménagement de l’Avenue royale on aurait pu le faire aboutir depuis longtemps», juge ce même élu. On apprend aussi d’une source au Conseil de la ville que ces associations ne paient pas l’eau et l’électricité. C’est la Commune qui paie pour elles, alors que les projets de commerce créés par ces associations font rentrer beaucoup d’argent et ce, depuis plus de 15 ans», précise la même source.

Peut-on encore sauver ce qu’il en reste à sauver de ces écoles en délabrement dans le centre-ville ? C’est peut-être trop tard, répond, sous anonymat, notre source au Conseil de la ville. « On part avec un retard considérable. Ça va prendre du temps. Mais c’est sûr qu’en investissant plus que jamais, on va pouvoir sauver ce qu’il en reste pour les prochaines générations », conclut-il.

Un optimiste que ne partage pas des directeurs d’écoles que nous avons approchés cette semaine.  « Plusieurs écoles sont dans le collimateur à Casablanca. Chawki, Abou Inane, Collège Anfa, Ben Habbous ou encore Moulay Slimane, tous ces établissements scolaires vont disparaître d’ici quelques années. D’ailleurs, le nombre des élèves, qui y sont inscrits, diminue d’années en années », disent-ils.
Il y aurait donc péril en la demeure, du moins pour certaines écoles.

Reportage réalisé par Naîma Cherii

 

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