Interview avec Karim Sbai, Président de l’Ordre des architectes du Centre

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« Il faut arrêter de prendre l’architecte en tant que responsable unique dès qu’il y a une défaillance »

Alors qu’une loi, plus exigeante en matière de qualité des constructions, est en cours de préparation, Karim Sbai, président de l’Ordre des architectes du Centre, revient sur certaines mesures de ce texte -encore au stade de l’avant-projet- et continue de défendre la position de la profession. Très inquiet sur certaines mesures, l’Ordre du Centre, à travers son président, propose notamment la révision de plusieurs dispositions de ce texte.

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Le gouvernement vient de déposer un projet de loi sur les infractions au Secrétariat Général du gouvernement. Quelle lecture faites-vous de ce projet de loi?

C’est un projet de loi qui a toute sa place dans le contexte actuel marocain. Car dans le secteur de l’immobilier, et surtout dans le domaine de la construction, il y a un grand flou. Particulièrement au niveau des différentes responsabilités des intervenants dans le cadre bâti. Sachant que dès qu’il y a un problème quelque part, on responsabilise le maître d’œuvre qui est l’architecte. Dès qu’il y a un sinistre quelconque, on incrimine tout de suite l’architecte, vu que c’est le maître d’œuvre.

Maintenant cette loi est venue pour nuancer les responsabilités par rapport aux différents intervenants dans la construction: l’architecte, les bureaux d’étude, les bureaux de contrôle, les entreprises, etc. Cette nouvelle loi a fait la part des choses par rapport aux différents intervenants. Chacun sera donc responsable de l’acte qu’il aura fait dans le bâtiment. C’est cela la nouveauté et c’est ce qui est le plus important dans un premier temps.

Ainsi, une entreprise qui pose, par exemple, une menuiserie aluminium sur un balcon et que par la suite cette menuiserie pose un problème, on ne va pas incriminer l’architecte seul. C’est cette entreprise là qu’on doit incriminer en premier. Pareille pour la construction. Si une dalle est mal coulée, on va appeler l’ingénieur et vérifier si les calculs qu’il a prévu sont corrects ou non. On doit aussi vérifier le travail du bureau de contrôle. Est-ce qu’il a validé ou non le travail de l’ingénieur et par la suite voir si la défaillance vient de l’entreprise elle-même qui a exécuté.

Bref, il faut arrêter à chaque fois de prendre l’architecte en tant que responsable unique dès qu’il y a une défaillance quelque part.

L’annonce de ce projet de loi, il y a déjà trois ans de cela, avait soulevé un tollé au sein de la profession. Quelles étaient vos réserves concernant ce projet ? En avez-vous toujours ?

Oui. Les réserves, encore une fois, c’est le manque de concertation avec les professionnels et avec l’ordre des architectes en général. Les réserves aussi que nous avons, c’est par rapport à tout ce qui est pénal. En effet, quand il y a une infraction, par exemple, l’architecte est obligé de la dénoncer auprès de l’administration. Sinon, il est passible d’amende au même titre que le maître d’ouvrage. Ça, ce sont des choses qu’on déplore quand même.

L’administration n’a qu’à faire son travail. Je ne vois pas pourquoi, moi architecte, j’irai dénoncer quelque chose alors qu’il y a une police de construction qui doit remplir son rôle et faire son travail. Je n’ai pas à me substituer à la police de construction pour dénoncer quoi que ce soit. Bien sûr, s’il y a une infraction, je vais arrêter mon chantier, mais c’est tout. Et ça ne doit pas aller au-delà. C’est donc au niveau des infractions que c’est un peu contraignant. Je pense que c’est un peu exagéré quand même.

Quelles sont vos propositions pour améliorer le texte ?

C’est déjà revoir tous les articles concernant les amendes et les peines d’emprisonnement par rapport aux infractions. Et c’est aussi élargir le spectre des différents intervenants. Car il n’est pas suffisamment explicite. Est-il à souligner, le second oeuvre est très grand. Il y a une multitude d’intervenant dans le second œuvre qu’on doit aussi mettre dans ce texte.

Il y a aussi une chose qui est importante. Aujourd’hui, il n’y a pas un Ordre des bureaux d’études. Ce que nous demandons, c’est d’avoir des bureaux d’études agréés et qu’ils soient reconnus par l’Etat.  Pareil au niveau des entreprises. Aujourd’hui, nous n’avons pas une liste d’entreprises qualifiées avec qui on peut travailler dans la sérénité qui se doit.

Selon vous, cette loi va-t-elle changer quelque chose sur le terrain?

Certainement, cette loi va changer des choses.  En tout cas, on n’aura plus le cafouillage qu’on avait auparavant. Maintenant, ça dépend de l’état de conscience de tout un chacun. Encore une fois, on revient toujours à l’humain. Et l’humain s’il n’a pas la conscience qu’il faut on a beau mettre les meilleurs textes qui puissent exister, ça ne changera pas grand-chose. Personnellement, je reste quand même confiant par rapport à ce texte dans sa globalité.

Seulement, il ne faut pas qu’il y ait deux poids deux mesures. Cette question de corruption, par exemple, nous n’avons pas les outils pour la maîtriser. Ceci dit, je pense qu’il faut donner à ce texte sa chance, le mettre un peu en expérimentation et faire l’évaluation des choses après un an.

Parmi les choses qui sont déplorées dans le secteur de la construction c’est, entre autres, l’utilisation de matériaux de construction non «certifiés» et non conformes aux normes. D’ailleurs, le nouveau texte impose au propriétaire du projet de s’assurer que les matériaux à utiliser ne sont pas interdits. Qu’en dites-vous ?

Vous savez, à Casablanca et au Maroc, en général, on a de tout. On a des matériaux qui sont «certifiés»,  c’est à dire des matériaux qui sortent d’usine et qui sont garantis. Mais nous avons aussi beaucoup de matériaux qui viennent notamment de Chine et d’ailleurs. Ces matériaux ne correspondent pas aux normes.

Malheureusement, les promoteurs immobiliers utilisent ces matériaux dans les chantiers. A noter qu’il est très difficile pour un promoteur de s’assurer que les matériaux qu’il achète sont certifiés ou non. Ce sont l’architecte et les bureaux d’études qui doivent veiller sur ça. Sachant que jusque-là on n’a pas un organisme qui est censé veiller sur cette question. Il faudrait donc qu’il y ait un organisme qui veille à contrôler si les matériaux qui rentrent chez nous correspondent vraiment aux normes. Comme ça se passe ailleurs. Car, Aujourd’hui, à travers le port, on fait rentrer du n’importe quoi, tous les matériaux de la finition, ou de la construction qui, malheureusement, ne sont pas vraiment conformes aux normes.

Selon vous, les techniques de construction sont-elles dans les normes ?

Il faut dire qu’à Casablanca, en tout cas, il y a une grande amélioration par rapport aux techniques de la construction. Aujourd’hui, on travaille avec des techniques qui sont dans les normes. Il y a une grande évolution par rapport à cette question. Côté infraction, il y a moins d’infractions. Parce que, avant de faire une infraction, aujourd’hui, les promoteurs pensent aux permis d’habiter. Ils savent que l’architecte ne va jamais leur délivrer l’attestation de conformité si les travaux ne sont pas conformes à son plan.

Interview réalisée par Naîma Cherii

 

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