Réhabilitation de la Médina de Casablanca : Les élus dénoncent des irrégularités et réclament une enquête

- Publicité -

Le programme de réhabilitation de la médina de Casablanca n’en finit pas d’alimenter les discussions. Des élus de la majorité au Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout appellent le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit à ouvrir une enquête sur ce programme au regard «des irrégularités» qui l’ont accompagné. Ces élus alertent aussi contre un lobby qui s’active depuis plusieurs années à acquérir des habitations menaçant ruine à des prix très bas dans ce quartier historique.  Les détails.

- Publicité -

Que se passe-t-il dans l’ancienne médina de Casablanca ? Depuis plusieurs jours, la situation serait devenue très tendue, selon des sources locales. En cause, des décisions de démolition de 792 constructions qui risqueraient de s’effondrer dans cette zone où les autorités locales mènent depuis une semaine une grande opération bulldozer pour vider les habitations de leurs occupants. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs élevé la voix mercredi 31 janvier pour demander au Wali de la région, Mohamed Mhidia -qui était en visite dans l’ancienne médina- de «revoir cette décision et de ne pas les expulser de leur habitation sans aucune alternative». Ces démolitions interviennent après que le nouveau Wali, investi depuis plus de trois mois, ait donné des consignes strictes afin de faire avancer ce dossier des constructions menaçant ruine de l’ancienne médina, soulignent des sources proches du dossier. Le Wali aurait également donné ses ordres pour mettre en application l’ensemble des décisions de démolition prises par l’arrondissement, selon nos sources. Celles-ci expliquent que les mesures nécessaires pour entamer ces démolitions ont été prises, il y a un mois.

Des décisions «illégales» ?

Mais pourquoi ces décisions suscitent autant de polémiques ? Des associatifs locaux et même des élus de la majorité ont rapporté que les autorités ont commencé la semaine dernière le processus de démolition de ces bâtiments qui risqueraient de s’effondrer sans en avoir informé les habitants et sans avoir fixé un délai de 10 jours avant de vider les constructions comme le stipule la loi 94-12 relative aux constructions menaçant ruine, ce qui n’a pas manqué de susciter la colère des populations de la Médina, disent encore nos sources, estimant que les décisions en question seraient «illégales».

Le sujet était d’ailleurs à l’ordre du jour des travaux de la session ordinaire de janvier 2024 du Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout, laquelle était prévue ce jeudi 1er février. Mais, cette réunion a, pour la 7ème fois, tourné au vinaigre, selon des élus de la majorité, dont les différentes composantes seraient actuellement en total opposition sur le sujet. In fine, ladite session a été reportée à lundi 5 février 2024. Les mêmes sources précisent que la session n’a pas été ouverte et ses travaux n’ont pas été entamés à cause de l’absence de la présidente, Kenza Chraibi.

«La situation n’est pas simple. Les gens concernés par ces décisions ont forcément de la frustration. Nous essayons de faire en sorte que les habitants puissent d’abord avoir ces décisions avant tout. D’ailleurs, c’est pourquoi on souhaitait la présence de la présidente lors de cette session», commente l’élu Said Sbiti, ajoutant que le dossier des constructions menaçant ruine doit être géré dans l’urgence. «C’est une première dans l’histoire des communes au Maroc. C’est pour la 7ème fois que la session ordinaire de janvier a été ajournée. Nous avons demandé la présence de la présidente du Conseil ainsi que celle de tous les intervenants dans ce dossier de réhabilitation de l’ancienne médina, mais tous n’ont pas répondu présent», déclare ce jeudi 1er février Moussa Sirajeddine, élu de la majorité au Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout. Celui-ci, également associatif dans l’ancienne médina, a aussi exprimé sa surprise face aux dernières décisions de démolir les habitations des habitants. «On ne comprend pas comment des décisions comme celles-ci soient mises à exécution, alors que les gens n’ont pas été avertis comme le stipule la loi, qui leur donne le droit, dans un délai de dix jours, de recourir à la justice pour la réalisation d’une contre-expertise», lance-t-il.

Il n’exclut pas l’escalade de la protestation lors de la session contre ces décisions d’expulsion, et l’exclusion des gens de l’opération de recensement pour bénéficier d’un logement. Notre interlocuteur ne mâche pas ses mots. «La médina de Casablanca est concernée par un programme de réhabilitation. Elle a fait l’objet de huit visites Royales et SM le Roi Mohammed VI a donné ses instructions pour réussir les objectifs de ce programme. Mais voilà que les populations de cette zone sont déplacées sans même qu’elles soient au courant des décisions de démolition les concernant. Pourtant, la convention ayant été signée dans le cadre de ce programme parle d’une réhabilitation et d’une restauration des constructions vétustes dans cette zone. Les gens doivent bénéficier d’un logement adéquat ou une compensation pour louer un appartement», rappelle Sirajeddine, lequel critique «une mauvaise gestion de ce dossier de réhabilitation de l’ancienne médina». Cette réhabilitation, rappelons-le, a été entamée en 2010. Quelque 33 milliards de centimes ont été dépensés dans le cadre de ce premier programme de mise à niveau finalisé en 2013. Une convention a également été signée en avril 2014 devant le Souverain dans le but d’améliorer les conditions de vie et d’habitat des habitants et aussi de redynamiser l’activité commerciale, artisanale et touristique dans cette zone. Pour un budget de 300MDH, ce deuxième programme porte aussi sur la valorisation d’édifices à caractère architecturale et patrimoniale.

On pensait que les choses allaient enfin «bouger» dans ce quartier historique pour y régler le problème des bâtisses menaçant ruine et des familles qui vivent dans des conditions déplorables. Mais une décennie après, la situation serait toujours grave. Joints par nos soins, des associatifs disent qu’ils ne croient plus à ce genre de programme. Il suffit de revenir à l’actualité de ces dix dernières années pour constater que pendant chaque hiver des effondrements continuent de se produire de façon régulière dans plusieurs quartiers de la médina, se désolent les associatifs. «Le Souverain a donné ses instructions pour donner la priorité au relogement des familles occupant des habitations appelées à être restaurées ou démolies. Mais dans plusieurs zones de la médina, des constructions sont encore dans un état de délabrement très avancé et peuvent s’effondrer à tout moment. Et pourtant rien n’est fait pour les démolir ou les rénover. On ne comprend plus rien», disent-ils. Selon un rapport établi par LPEE en 2012, ces constructions nécessitent un entretien spécial. Or, concrètement, rien n’a été fait pour le renforcement des structures de ces constructions, selon les mêmes sources. Celles-ci critiquent dans ce cadre le fait que les matières utilisées dans le processus de restauration ne sont pas identiques aux matières d’origine. Ils s’étonnent de la manière dont les travaux de restauration ont été faits alors qu’il s’agit d’un quartier historique qui requiert un traitement spécial.

Lobby et solution facile : la démolition !

Au Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout, on reconnait aussi que le projet de réhabilitation de l’ancienne médina va à un rythme très lent. «Nous demandons au ministre de l’Intérieur d’ouvrir une enquête sur ce programme au regard des irrégularités qui l’ont accompagné», lance l’élu M. Sirajeddine. Il ajoute : «on ne fait plus de la réhabilitation. On cherche désormais la solution facile: la démolition». Un avis que partage également l’élu Said Sbiti. «Bon nombre de constructions étaient concernées par une démolition partielle. Mais bizarrement, du jour au lendemain, cette démolition partielle s’est transformée en une démolition totale. Ce n’est pas normal. Les constructions ne peuvent pas se dégrader en une journée. Si on voulait vraiment préserver la sécurité des citoyens et éviter les risques que peuvent engendrer ce genre de constructions, on devait les reloger dans un appartement de location pendant trois mois en attendant que leur logement soit restauré. Nous avons toujours déploré la gravité de la situation. Il faut lancer une grande enquête sur ce dossier de l’ancienne médina», dit-il.

Pourquoi la machine de la réhabilitation de l’ancienne médina de Casablanca serait-il en panne, malgré les Directives Royales? Dans plusieurs quartiers de la médina, on assure en tout cas que «c’est le retard dans le relogement des ménages qui a causé des drames surtout que plusieurs d’entre les habitations n’ont pas cessé de se dégrader à cause des eaux pluviales qui s’infiltrent sous les bâtiments», témoigne un habitant. Il ajoute «qu’un nombre important de ces logements ont été vidées de leurs occupants, mais ils ne sont pas encore démolis». Nos sources soufflent qu’un lobby, qui s’active dans la zone, veut s’emparer de ces constructions, avec l’aide de certains agents d’autorité corrompus. Ce lobby, présidé par un ancien membre de l’ancien Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout, cherche à acquérir des habitations vétustes dans ce quartier historique à des prix très bas. «C’est cet ancien membre de la commune qui est derrière la création des associations de Commerçants. Un simple examen de la situation de ces associations montre que la majorité des membres ne résident pas à la médina. Ce sont ces associations qui s’emparent de ces constructions menaçant ruine, soufflent encore nos sources. Celles-ci ajoutent, non sans exacerbation, «alors que les habitants ne sont pas autorisés d’entreprendre des travaux d’entretien au niveau de leurs logements, ces «nouveaux acquéreurs » procèdent à des restaurations sans aucun problème».

Enquête réalisée par N. Cherii

 

 

- Publicité -

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here