Politique monétaire: Quand Abdellatif Jouahri déconstruit la polémique…

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A la veille de la deuxième réunion trimestrielle du Conseil de Bank Al-Maghrib pour l’année 2023, la polémique enflait dans plusieurs cercles (financiers, investisseurs, politiques, médiatiques et réseaux sociaux). Elle était alimentée par deux grands débats, distincts mais interdépendants.

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Le premier portait sur la pertinence de relever, baisser, ou maintenir inchangé, le taux directeur, dans la conjoncture actuelle. Le second, plus global, concernait l’efficacité de l’utilisation même de cet instrument qu’est le resserrement de la politique monétaire pour maîtriser l’inflation et relancer l’économie. Or, débats et polémique, qui pointent la Banque Centrale, interpellent (voire visent) d’abord et surtout celui qui la dirige, Abdellatif Jouahri. La réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib du mardi 20 juin (2023) était donc attendue avec impatience et dans un certain climat de suspense…

Si le Conseil a tranché en ce qui concerne le Taux directeur et publié les explications officielles de sa décision, c’est au cours de la conférence de presse, que tient systématiquement Abdellatif Jouahri à l’issue de chaque Conseil, que les réponses à la polémique sont tombées, sans langue de bois !

Le Wali Jouahri étant l’un des rares responsables à maintenir un rendez-vous régulier avec la presse et à lui livrer informations et éclairages francs, utiles et souvent même faisant œuvre pédagogique. Jamais en effet, avant la crise Covid, la politique monétaire et le taux directeur n’avaient autant intéressé le large public qui, débats et polémiques aidant, a fini par en saisir l’impact sur l’économie réelle et même sur le panier de la ménagère.

La politique monétaire, le taux directeur, c’était l’affaire des milieux financiers, des investisseurs et des médias spécialisés… Aujourd’hui, il n’est plus de citoyen qui n’ait son mot à dire à ce sujet…

Le Conseil de Bank Al-Maghrib qui devait se réunir mardi 20 juin a ainsi été précédé de nombreuses analyses, projections… Voire, injonctions adressées à la Banque Centrale afin que le taux directeur reste inchangé (à son taux actuel de 3%). De même que certaines critiques –désormais récurrentes- ont relancé la polémique sur l’efficacité du resserrement de la politique monétaire face à la pression inflationniste inédite que connaît le monde et le Maroc avec…

D’abord, le taux directeur…

La décision concernant le taux directeur, qui est au cœur de toutes les spéculations précédant les réunions du Conseil de la Banque Centrale, est ce qui est le plus attendu et scruté en premier dans le communiqué que publie systématiquement la Banque, aussitôt la réunion du Conseil terminée.

Mardi 20 juin, le suspense planait… Les avis étaient divergents. Selon une enquête du mois de juin de Attijari Global Research (AGR) sur les anticipations des investisseurs concernant l’évolution du taux directeur, «le consensus des investisseurs financiers ressort en faveur d’une hausse de 25 points de base (Pbs) du taux directeur de BAM». Dans le «Research Report-Strategy de AGR», qui a livré les résultats de cette enquête le 16 juin, «le sondage a été réalisé auprès d’un échantillon de 35 acteurs financiers considérés parmi les plus influents du marché financier marocain». Ce n’est pas peu !
De son côté, la CGEM, par la voix de son Président Chakib Alj, dans une déclaration à la presse, exprimait un avis contraire, estimant que l’actuelle conjoncture impactait déjà négativement l’activité économique et qu’une hausse du taux directeur ne serait pas opportune.

Un avis partagé à CDG Capital. Intervenant le 14 juin, lors de la 1ère conférence du Cycle de webinaires annuel sur les résultats et perspectives des sociétés cotées, organisé par la Bourse de Casablanca et l’Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB), l’économiste en chef à CDG Capital, Ahmed Zhani, estimait que BAM devrait maintenir son taux directeur inchangé, expliquant cela «notamment, par la fragilité de la reprise économique, sous l’effet de la sécheresse et de la baisse de la demande étrangère et de la consommation des ménages».

Hausse du taux directeur d’au moins 25 points de base, ou son maintien inchangé ? Le Conseil a tranché pour le maintien inchangé !
Et, recevant la presse juste après la réunion du Conseil, Abdellatif Jouahri en a donné les raisons retenues par BAM. Le Wali a ainsi expliqué que le Conseil de BAM, dont il venait de présider la réunion, a analysé l’évolution et les perspectives de l’économie mondiale, lesquelles «restent entourées de fortes incertitudes en lien notamment avec les implications du conflit en Ukraine». Qu’il a «relevé en particulier que l’inflation dans les principales économies avancées connait une baisse graduelle, tirée par le recul des cours des produits énergétiques et alimentaires, mais qu’elle continue toutefois d’évoluer largement au-dessus des cibles des banques centrales».

Au niveau national, «le Conseil a passé en revue les développements récents relatifs à la conjoncture économique et a examiné les projections macroéconomiques de la Banque à moyen terme». Il a noté «qu’après un taux de 6,6% en 2022, l’inflation a continué de s’accélérer pour atteindre un pic de 10,1% en février 2023. Depuis, elle s’est inscrite en décélération, mais reste à des niveaux élevés en lien avec le renchérissement des produits alimentaires frais, revenant à 8,2% en mars, à 7,8% en avril puis à 7,1% en mai. Tenant compte de ces données, l’inflation devrait ressortir à 6,2% en moyenne cette année et à 3,8% en 2024. Sa composante sous-jacente devrait connaitre une trajectoire similaire, passant de 6,6% en 2022 à 6,1% cette année puis à 2,9% en 2024».
Wali Bank Al-Maghrib donne alors lecture du paragraphe le plus attendu du communiqué du Conseil. «Au regard de ces évolutions et en prenant en compte les délais de transmission de ses décisions à l’économie réelle, le Conseil a décidé, après trois hausses successives du taux directeur d’un total de 150 points de base, de marquer une pause dans le cycle de resserrement de la politique monétaire, maintenant ainsi le taux directeur inchangé à 3%».

Sous le feu des questions des journalistes présents à la conférence de presse (les autres l’ont suivie à distance, ou en ont visionné l’enregistrement, mais ne pouvaient rater le franc-parler du Wali), Abdellatif Jouahri n’a pas manqué de réagir à la polémique. A ceux qui avancent qu’une hausse du taux directeur entraverait l’investissement, il répond: «Est-ce que 50 points de base peuvent dissuader quelqu’un de faire un investissement ? Je suis étonné. Ou alors, c’est un mauvais investissement… Un bon peut supporter…». Pour lui, «L’opérateur a d’abord besoin de confiance, de visibilité… Après viennent les conditions de financement». S’interrogeant: «Et quand le taux était de 1,5% pourquoi ces gens-là ne se bousculaient-ils pas pour investir ?». Et de lancer son argument imparable: «La BCE (Banque centrale européenne) a même accepté une récession pour revenir rapidement à la situation normale !».

Et la polémique de l’efficacité…

Les polémiques, Abdellatif Jouahri les balaie d’un revers de main. «A chaque réunion du Conseil, il y a toujours des analystes, des professeurs, qui donnent leur avis, leurs arguments… Il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui sont au milieu…», plaisante-t-il.

Pour autant, il ne manque pas d’y répondre… Et avec force arguments. Est-ce que le taux directeur est le meilleur instrument? Le Wali de BAM rétorque: «Dans le monde entier, il n’y a que ça et les réserves obligatoires ! Pourquoi ? Parce que cet instrument influence les conditions appliquées par le système bancaire et impacte l’opérateur économique et donc l’économie réelle». Il explique: «Nous sommes dans le domaine d’une science inexacte. Il faut faire preuve d’humilité… Nous essayons de prendre la bonne décision, ou la moins mauvaise… Nous avons une réunion mensuelle avec le ministère des Finances.

Nous demandons quelles sont les anticipations d’inflation. Nous essayons d’avoir tous les avis… Il faut éviter le désencrage des anticipations d’inflation. Le désencrage est un cercle non-vertueux…». Continuant de déconstruire la polémique, il lance: «On ne fait pas l’art pour l’art, on remplit une mission pour la finalité, vu la mission fondamentale qui nous est confiée… Ça ne veut pas dire que la voie est toujours facile pour prendre une décision… On essaie de prendre la décision la plus opportune possible…».

Mais cette politique monétaire est-elle efficace ? A-t-elle un impact sur la maîtrise de l’inflation, sur la stabilité des prix ? Quels sont ses effets sur l’économie réelle ? Ce sont toutes ces questions qui alimentent la polémique, ou qu’évoquent tout simplement des analystes aussi sérieux que l’économiste en chef de CDG Capital, qui constate «un faible impact de la politique monétaire sur la stabilité des prix, compte tenu de la nature des tensions inflationnistes et de la faiblesse du canal des anticipations chez les ménages marocains»…
Abdellatif Jouahri répond: «Pour savoir quels sont les effets sur l’économie réelle, nous avons 2 indices. L’évolution des taux débiteurs et l’analyse de l’offre et de la demande de crédit».

Pour évaluer l’efficacité, le wali de BAM estime qu’il faut le temps du recul. Dans son communiqué du 20 juin, le Conseil de BAM a d’ailleurs précisé que ses prochaines décisions «tiendront compte notamment de l’évaluation approfondie et actualisée des effets cumulés de ses hausses de taux et de l’impact des différentes mesures mises en place par le Gouvernement pour soutenir certaines activités économiques et le pouvoir d’achat des ménages».

Le Wali estime cependant que la politique monétaire et la politique budgétaire sont indissociables. «La politique budgétaire et les réformes structurelles doivent accompagner la politique monétaire… Et inversement… Je pense que lorsqu’on a les équilibres macro-économiques, la politique monétaire est plus facile à mener… Les deux à la fois concourent à la stabilité financière du pays».

Pour le patron de la Banque Centrale, exit les polémiques. Le taux directeur est inchangé. «On fait une pause. On marque le recul… Et on voit les conséquences des mesures prises par le Gouvernement (les 10 milliards de rallonge budgétaire et les 10 milliards du plan anti-sécheresse pour le soutien du monde agricole). La meilleure manière de conduire les choses est celle-là», conclut-il.

B. Amrani

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Conseil de Bank Al-Maghrib
Où en est l’économie marocaine ?

«Au niveau national, la succession de deux années de sécheresse conjuguée à un environnement externe globalement défavorable continuent de peser sur l’activité économique.
Avec une production céréalière estimée par le Département de l’Agriculture à 55,1 millions de quintaux, la croissance de la valeur ajoutée agricole devrait se limiter à 1,6% en 2023 après une contraction de 12,9% un an auparavant.
En 2024, elle devrait, sous l’hypothèse d’une récolte céréalière de 70 millions de quintaux, croitre de 5,5%.

Pour les secteurs non agricoles, la progression de leur valeur ajoutée ralentirait de 3% en 2022 à 2,5% en 2023 avant de s’accélérer à 3,2% en 2024.

Au total, après le rebond de 8% en 2021 et la décélération à 1,3% en 2022, la croissance de l’économie nationale devrait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, s’établir à 2,4% cette année puis s’améliorer à 3,3% en 2024.

Sur le plan des comptes extérieurs, après la dynamique enregistrée en 2022, les échanges de biens devraient ressortir en baisse cette année. Ainsi, les exportations reculeraient de 2,8%, reflétant essentiellement le repli des ventes de phosphate et dérivés, avant de s’accroitre de 6% en 2024, portées par la hausse des expéditions du secteur automobile. En parallèle, les importations diminueraient de 2,2%, sous l’effet notamment de l’allégement de la facture énergétique, et afficheraient une augmentation de 2,9% en 2024, en lien principalement avec l’accroissement prévu des achats de produits finis de consommation et de biens d’équipement.

Par ailleurs, avec la poursuite attendue de la reprise de l’activité touristique, les recettes voyages devraient progresser de 14,9% à 107,6 milliards de dirhams en 2023, et connaitre une quasi-stabilité en 2024. Concernant les transferts des MRE, leur évolution reste entourée de fortes incertitudes, mais les données les plus récentes laissent présager une dynamique positive à moyen terme, avec des hausses annuelles autour de 3,5% pour atteindre un montant de 114,7 milliards de dirhams en 2023 et de 118,7 milliards en 2024.

Dans ces conditions, le déficit du compte courant avoisinerait 2,5% du PIB en 2023 et en 2024 après 3,5% en 2022.
En matière d’IDE, les recettes se situeraient à hauteur de 3,3% du PIB sur l’horizon des projections. Au total, et tenant compte des financements extérieurs prévisionnels du Trésor, les avoirs officiels de réserve s’établiraient à 361,2 milliards de dirhams à fin 2023 puis à 357,9 milliards à fin 2024, représentant une couverture autour de 5 mois et demi d’importations de biens et services.

Sur le volet des finances publiques, l’exécution budgétaire au titre des cinq premiers mois de 2023 fait ressortir une amélioration de 4,2% des recettes ordinaires portée par l’augmentation des rentrées fiscales. En parallèle, les dépenses globales se sont alourdies de 6,8% reflétant en particulier la hausse de celles d’investissement et des charges en intérêts de la dette extérieure.

Tenant compte de l’effort supplémentaire consenti pour le soutien du pouvoir d’achat des ménages, le déficit budgétaire devrait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, atteindre 5% du PIB en 2023 avant de revenir à 4,3% du PIB en 2024, en lien notamment avec la baisse programmée de la charge de compensation et la progression prévue des rentrées non fiscales».

 

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