Rachid Benali : «C’est pratiquement la quatrième année où le Maroc connaît une sécheresse»

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Rachid Benali, Président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER)

 

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Comment se porte aujourd’hui le secteur de l’agriculture ? Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de la campagne agricole dans ce contexte de chaleur?

C’est assez mitigé. Il y a des choses qui dépendent à 100% de la pluviométrie et qui se portent mal, malheureusement. On avait pourtant un bon démarrage de la campane jusqu’au début mars. Mais depuis le début de mars jusqu’à maintenant on a eu un départ définitif de la pluie. On n’est pas les seuls dans cette situation. Il y a la France, l’Espagne, l’Italie, etc. Ces pays sont tous dans la même situation. Et cette situation est catastrophique. En France, par exemple, on parle de situation chaotique. Il y a un sérieux problème.
Mais il n’y a pas que la pluie qui manque. Il y a également la chaleur qui est vraiment anormale. On a eu des pics de plus de 34 °C durant le mois de mars. Aujourd’hui (mardi 18 avril), il fait 37° à Fès et 38°C dans la région du Saïss. Or ce n’est pas le moment. On est à peine à la mi-avril. En plus, il y a eu des vents de chergui qui terminent le reste. S’il y avait au moins une petite douceur, le blé aurait terminé son cycle certes assez difficile mais assez normal. Mais là, il est en train de souffrir. Tout ce qui est céréaliculture souffre énormément.
Il y a des agriculteurs qui ont commencé carrément la récolte avec -c’est sûr- des rendements qui seront catastrophiques. C’est pratiquement la quatrième année qui connait une sécheresse. On parle de manque de pluies mais aussi de changements climatiques avec en général des pics de températures dans des périodes où on ne s’y attend pas du tout.
On ne voit pas venir de pluies. D’ailleurs, les prévisions ne donnent pas de pluies dans les dix prochains jours. Ce qui veut dire qu’il n’y a plus rien pour tout ce qui est produit en bour. Maintenant s’il pleut après ce sera même carrément mauvais pour les céréales, les légumineuses et les oléagineux. Mais tout ce qui est irrigué jusqu’à présent, se porte bien et il n’y a pas de problème. Idem pour ce qui est des arbres fruitiers et l’olivier, pour l’instant il n’y a pas de problème. Tout se porte bien.
Quant à l’élevage il est très différent d’une région à l’autre. Il y a des régions où il y a encore un peu de pâturage, mais il y a des zones où il n’y a pas de pâturage du tout. Dans le Moyen Atlas par exemple, on a eu une bonne pluie mais après il y a eu cette chaleur et ce vent de chergui et il n’y a presque pas de poussée d’herbe.
On ne peut donc pas espérer grand-chose pour le pâturage. Les éleveurs vont se rabattre automatiquement sur l’aliment composé, ce qui va leur coûter très cher. Franchement c’est la dernière chose qu’on souhaitait voir

Ces quatre dernières années ont été marquées par un déficit hydrique et une sécheresse, comment les producteurs marocains ont-ils fait face à cette situation?

Tant bien que mal. On est en train de survivre tout simplement. Je sais qu’on a de sérieux problèmes même au niveau de la France où les agricultures sont en difficulté. Il y a des gens qui abandonnent carrément leurs fermes. Au Maroc, on n’a pas de chiffres pour l’instant. Mais ce qui est certain c’est que les assurances vont payer des sommes colossales pour la quatrième année consécutive. L’année dernière, par exemple, on a payé un milliard de dirhams. Et cette année encore ça va se chiffrer énormément. Il n’y a pas que ça. Il y a 40% de la population qui vit dans le rural. Près de 80% d’entre eux vivent directement de l’agriculture.

Comment se positionnent actuellement les exportations marocaines sur les marchés internationaux

Après un blocage très sévère des exportations de la tomate qui a duré quelques semaines, il y a maintenant une reprise de la tomate. On n’est plus à la période de 10.000 tonnes par jour. Mais il y a une légère reprise. On est aux alentours de 900 tonnes par jour qui sortent aujourd’hui vers le marché européen, en particulier le marché anglais. C’est un marché qui est très important pour le Maroc. Les britanniques étaient très satisfaits. Sauf que ces derniers temps, avec les blocages des exportations des tomates, ils n’ont pas pu être livrés. C’est tout à fait normal. C’est difficile de faire passer ces blocages. On risque d’avoir des problèmes. On n’a pas arrêté de dire qu’il faut maintenir une cadence à l’export comme ça on n’est pas pénalisé par la suite. On fait beaucoup pour avoir un marché et pour le garder ce n’est pas facile non plus.

Est-ce à dire que le Maroc a perdu des marchés après ces blocages?

Il va sûrement en perdre. On ne sait pas maintenant qu’est-ce que ça va donner ? Il faut attendre que la crise passe et on verra est-ce qu’on aura encore de la demande. Il y aura sûrement des acheteurs qui vont annuler leur contrat définitivement.  Parce que lorsqu’on a un acheteur qui vous achète autant et un jour vous lui dites je ne peux pas vous livrer, c’est difficile de le reprendre après. On risque d’avoir des problèmes.

Le prix final des produits agricoles a connu depuis plusieurs mois une augmentation importante notamment en ce qui concerne l’oignon, les tomates et les pommes de terre. Comment expliquez-vous toutes ces hausses. Le prix des intrants et les intermédiaires expliquent-ils à eux seuls ces augmentations ?

Il y a un tout. Il n’y a pas qu’un seul facteur. Il y a un manque d’eau, il y a les surfaces qui ont baissé avec la pénurie d’eau et il y a également le problème des intrants qui sont devenus trop chers. Sachant que lorsqu’on a les prix des intrants qui sont élevés, on cultive moins et on a donc une production plus faible.

A ce problème, s’ajoute celui du financement. Nos coûts sont élevés et le fonds de roulement avec lequel l’agriculteur tournait n’est plus le même puisqu’il a baissé. On peut enfin citer le problème des intermédiaires qui est effectivement l’une des raisons qui expliquent la hausse des prix.

Ceci étant dit, je pense que maintenant on revient -sur pas mal de produits-  à la normale. Le seul produit qui reste aujourd’hui élevé c’est l’oignon classique. Mais en général, on commence à revenir à la normale. Ainsi, aujourd’hui (Mardi 18 avril), la tomate est à 5-6 dirhams, la pomme de terre à 7 dirhams. C’est l’oignon qui est assez cher.

Au niveau des producteurs, est-ce qu’on prévoit encore des baisses de prix?

On est en train de faire toute la pression notamment sur l’agriculteur. On est en train de voir les prix qui vont baisser. Comme je l’ai souligné, les prix commencent déjà à baisser mais ils vont encore baisser. Ils vont se stabiliser à des prix assez normaux. Ce n’est pas le cas en Europe, par exemple. Jusqu’à présent, les informations que nous avons c’est que les prix ne baissent pas en Europe et ils ne vont pas baisser. Les prix s’y sont envolés et sont restés là. Ce n’est pas notre cas au Maroc.

A noter enfin que l’on a aussi un phénomène assez spécial, c’est le Ramadan. C’est une période où il y a une forte demande sur beaucoup de produits. Et Ramadan passé, on va se stabiliser à un niveau assez normal.

On parle de l’agrégation qui n’a pas marché très bien dans l’agriculture alors qu’elle pourrait être une solution parmi d’autres pour baisser les prix…

C’est en effet une grande solution. Mais ce n’est pas que ça n’a pas marché. Le fait est qu’au début on ne voyait pas l’intérêt de l’agrégation. C’est pour ça qu’il n’y avait pas d’agrégation et que ça n’a pas bien marché. Mais maintenant on en voit vraiment l’intérêt surtout avec la nouvelle loi 37- 21. Je pense que les gens vont s’y mettre. C’est sûr qu’il y aura des retombées sur les prix.

Pour sa 15 ème édition, le Salon international de l’Agriculture se tient sous la thématique «Génération Green, pour une souveraineté alimentaire durable».  Pour plusieurs observateurs, le secteur marocain doit se métamorphoser en profondeur pour répondre aux nouveaux défis notamment ceux liés à la sécurité alimentaire. Qu’en dites-vous ?

C’est très simple, on peut tout faire si on a les moyens de le faire. S’il n’y a pas d’eau on ne peut rien faire. Mais il faut déjà préserver au moins ce qu’on a maintenant. Avoir cet acquis c’est déjà une bonne chose. Car franchement, si on n’a pas d’eau on peut dire qu’on va changer le système mais on ne changera rien du tout. On ne peut rien faire ! Si on n’a pas d’eau et on a des changements climatiques avec des températures élevées comme celles enregistrées ces derniers jours on ne peut rien faire réellement. Avec toute la volonté du monde et tous les moyens du monde qu’on peut mettre, on ne peut vraiment rien changer si on manque d’eau même avec le dessalement. Car, disons-le, il y a des limites pour le dessalement.

Entretien réalisé par Naîma Cherii

 

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