Le grand tremblement survenu lundi 6 février en Turquie et en Syrie est un avertissement pour le Maroc, pays exposé au risque de séisme. Il doit tirer des enseignements de ce qui est arrivé en Turquie où les bâtiments effondrés se comptent par milliers, au moins 5000, selon les chiffres officiels. Les professionnels tirent la sonnette sur de grands risques!
Le tremblement de terre survenu le 6 février en Turquie et en Syrie a été particulièrement dramatique avec un bilan grimpant ce jeudi 16 février à près de 40.000 morts. Un bilan loin d’être définitif et qui pourrait doubler, selon les chiffres officiels. La plupart des décès sont dus à des effondrements d’immeubles résidentiels. Les bâtiments effondrés se comptent par milliers, au moins 5000 en Turquie.
Des normes et des règles non respectées par les promoteurs. C’est la réaction au mécontentement provoqué par l’effondrement des édifices, qui confirme la médiocre construction des entrepreneurs pointés pour leur mauvais savoir-faire et l’utilisation de matériaux bon marché et le non respect des normes sismiques. Plusieurs personnes ont déjà été interpellées, dont deux promoteurs qui tentaient de s’échapper ce lundi 12 février à l’étranger.
Ce séisme est un avertissement pour le Maroc, pays également exposé au risque de séisme. Il doit tirer des leçons de ce qui est arrivé en Turquie, et voir ce qu’il peut améliorer au niveau de tout ce qui se construit surtout dans les zones qui connaissent une activité sismique croissante, comme l’ont souligné des professionnels, qui remettent de nouveau la question de la sécurité des bâtiments sous le feu des projecteurs.
Leur constat est inquiétant. Approchés cette semaine par Le Reporter, des architectes, des urbanistes et des ingénieurs alertent sur le danger lié «au manque de sécurité de nos bâtiments dus à la corruption et au problème des inspections des chantiers qui n’ont pas lieu». Souvent, expliquent-ils, quand il y a un tremblement de terre d’une forte amplitude comme celui de la Turquie et de la Syrie, «on détecte de graves défauts matériels. Les bâtiments sont complètement effondrés. Mais on peut juger la mauvaise qualité des matériaux utilisés».
Au Maroc, précisent nos professionnels, le secteur de la construction est organisé par des lois mais qui sont peu ou pas du tout appliquées, critiquent-ils. «Le secteur de la construction est un secteur où les lois sont oubliées, aussitôt promulguées. Ces lois ont pourtant pour but de protéger la vie des citoyens», souligne Azeddine Nekmouch, ancien président du Conseil national de l’Ordre des architectes. Il en est ainsi du Règlement de construction parasismique (RPS 2000) entré en vigueur en 2002 et actualisé en 2011.
Il faut rappeler que des normes antisismiques ont été établies et sont entrées en exécution, avant l’entrée en application du RPS 2000 dans la ville d’Agadir, après le tremblement de terre de 1960. «Ces règles antisismiques sont également obligatoires dans les villes du nord, dont El Hoceima et Tanger et leur application s’étend à d’autres villes comme Marrakech, Casablanca et Rabat», précise-t-on.
Pour un responsable d’un bureau d’ingénierie, un facteur du non-respect des normes c’est le manque de concertation entre les bureaux d’études et les architectes. Il ajoute aussi que l’un des problèmes dudit règlement réside surtout dans sa conception par des cadres de ministères et non par des professionnels du secteur. «Cela n’aide pas les ingénieurs à assurer leur travail pour l’exécution de certaines règles au niveau des bâtiments», dit-il, soulignant que «le règlement ne prend pas en considération certains aspects essentiels à introduire pour garantir la solidité de la structure du bâtiment».
RPS 2000 totalement ignorée ou presque dans beaucoup de constructions !
Cette réglementation antisismique, quand bien même le spectre du séisme d’Al Hoceima, en février 2004, est encore présent dans les esprits, est aujourd’hui totalement ignorée ou presque dans beaucoup de constructions, confie sous anonymat un architecte à Casablanca. «Aujourd’hui, il faut voir ce qu’on peut améliorer au niveau de tout ce qui se construit surtout dans les zones qui connaissent une activité sismique croissante, comme El Hoceima», conclut cette même source.
Dans la province d’El Hoceima, la terre n’arrête pas de trembler. Deux secousses telluriques ont d’ailleurs été enregistrées il y a quelques jours. En effet, une secousse tellurique de magnitude 3,8 degrés sur l’échelle de Richter a été enregistrée, dimanche 12 février, dans cette province, a annoncé l’Institut national de géophysique (ING).
Dans un bulletin d’alerte sismique, le Réseau national de surveillance et d’alerte sismique, relevant de l’ING a précisé que la secousse, dont l’épicentre est situé dans la commune d’Imrabten, s’est produite à 9 heure 36min 47sec (GMT+1). Survenue à une profondeur de 27 km, la secousse s’est produite à une latitude de 35.056°N et une longitude de 3.923°W, selon la même source.
Une première secousse tellurique de magnitude 4,3 degrés s’était produite, ce même dimanche 12 février, au niveau de la même province, tôt dans la matinée, dans la commune de Nekkour, a encore précisé la même source.
La multiplication des secousses observées à Al Hoceima doit-elle inquiéter? «Un séisme reste toujours impossible à prévoir de manière certaine. Mais quand on a vécu un séisme comme celui survenu à El Hoceima en 2004, il faut vraiment s’inquiéter. C’est vraiment une expérience terrible», lance d’emblée Mohamed Cheikh, président du Conseil régional de l’Ordre des architectes de Nador-Driouch-El Hoceima. Il ajoute: «Il y a toujours des secousses dans la région. C’est vrai, qu’elles sont de faible intensité. Mais on sait que ça tremble tout le temps. Et à partir de 3,5 degré sur l’échelle Richter, les gens sortent de leurs maisons et essaient de trouver un abri à l’extérieur».
A El Hoceima, depuis le tragique séisme survenu en 2004, les nouvelles constructions doivent se faire de manière parasismique, pour résister aux séismes. Mais ces normes sont-elles respectées dans cette province où les secousses telluriques sont devenues tout à fait normales ? Les bâtiments ont-ils les caractéristiques nécessaires pour assurer la stabilité lors d’un tremblement de terre?
«Pour les bâtiments de l’Etat, on suit à la lettre le règlement (RPS 2000). Il y a en effet l’ouverture de chantier, un cahier de chantier et un suivi de ce chantier par l’architecte et le bureau d’étude», affirme le président du Conseil régional de l’Ordre des architectes de Nador-Driouch-El Hoceima. C’est dans le privé, dit-il, qu’il y a un grand problème. Pour l’architecte Mohamed Cheikh, c’est surtout dans l’auto-construction et le clandestin où le bât blesse. Selon lui, seul 25% des chantiers réalisés dans le privé sont suivis par des architectes et des bureaux d’études. «Dans les zones qui ne sont pas couvertes par les plans d’aménagement, les gens construisent eux-mêmes sans aucune autorisation. Il n’y a aucun suivi des chantiers», alerte le président. «Et quand il y a une autorisation, l’architecte n’est pas toujours averti par le maître d’ouvrage. Et comme les provinces sont larges et grandes, on ne sait pas si ce dernier a commencé l’exécution des fondations ou pas. L’architecte ne peut pas suivre le chantier en question. Autrement, il doit revoir les plans, refaire le plan modificatif, revoir l’autorisation, etc. Je tire donc la sonnette d’alarme sur ce problème de l’auto-construction et du clandestin. Car même si nous avons sur le terrain une culture parasismique, et qu’il n’y a pas de suivi des chantiers de la part des spécialistes, on ne peut qu’être inquiet et méfiant quand à la solidité des constructions réalisées dans le privé», insiste encore notre interlocuteur.
Ce dernier évoque par ailleurs un autre problème: «Les architectes signataires». Selon le président du CNOA de Nador-Driouch-El Hoceima, certains architectes signent jusqu’à 50 projets par mois ! «Dans une zone sismique comme celle d’El Hoceima, comment voulez-vous que l’architecte puisse faire le suivi de tous les chantiers ? Un projet ne se termine que sur un an et demi. Et il est quasi impossible de faire le suivi par un seul architecte qui a dans son cabinet une équipe de quelques dessinateurs. On a limité le nombre des projets par architecte à 7 par mois. J’estime que c’est encore beaucoup. Mais c’est une solution provisoire en attendant que les textes de loi s’améliorent», souligne l’architecte Mohamed Cheikh.
N.Cherii