Dakhla : Quand l’activité s’arrête à Lassargua! (Reportage)

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Doutes, barques brûlées, poulpiers non réglementaires…Les problèmes de la pêche artisanale à la veille du lancement officiel de la saison hivernale !

Profitant d’un séjour à Dakhla, nous sommes allés auprès des pêcheurs pour savoir où en est la situation de lancement de la campagne du poulpe. Mercredi 7 décembre 2022, il est moins de 17 heures, à Lassargua, grand village de pêche au Maroc, à 10 km de la ville de Dakhla, la vie semblait avoir quitté les lieux. Les pêcheurs avaient disparu à l’exception de quelques personnes qui vivent dans des petites baraques d’infortune. Les pêcheurs les appellent «Tchaboula » où ils passent la période de la saison de la pêche au poulpe avant de retourner « au bled ». Mais depuis huit mois, ces «Tchaboula» ne sont plus habitées. Très peu d’entre elles sont encore occupées par des marins-pêcheurs qui attendent le lancement de la campagne ou encore « Lassafra », comme on l’appelle ici.

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Le village ne dispose pas d’une infrastructure de base équipée en eau, électricité, etc. Trop de déchets jonchent le sol parmi les filets et les quelques 1272 barques de pêche qui sont stationnées sur le sable et attendent le feu vert du département de la pêche pour prendre le large après un arrêt d’activité de plus de huit mois.

Au centre du village, nous avons rencontré un des vingt gardiens qui assurent encore la sécurité du matériel des pêcheurs. Il indique – sous anonymat- qu’ « en temps d’activité, Lassargua accueille jusqu’à 5000 personnes, chaque jour, entre pêcheurs et autres qui viennent y travailler ».

En cette période de l’année, dans ce village, l’activité est intense. Les pêcheurs s’attèlent à finaliser les derniers préparatifs pour l’ouverture de la saison hivernale, précise-il. Plusieurs d’entre eux, poursuit-il, ont voulu accéder au site Lassargua pour préparer le matériel et procéder à la peinture de leurs barques restées à sec pendant un arrêt de huit mois. Mais, dit-il, ils en ont été empêchés par les forces auxiliaires.

A Lassargua, on explique ce refus par l’opération qui devait y être exécutée, lundi 5 décembre. Quelque 556 barques non réglementaires ont été brûlées ici. C’est ce qui explique que les pêcheurs n’ont pas été autorisés à entamer leurs préparatifs pour le lancement de la campagne du poulpe, indique-t-on à Lassargua.

Suspens sur le lancement officiel de la saison

Quelles conséquences de cet arrêt d’activité ? En chiffres, le manque à gagner pour les caisses de l’État est énorme. Des professionnels –interrogés sur le sujet- parlent d’un montant qui avoisine les 64 millions de dirhams pour le seul site de Lassargua. Ils indiquent au passage que pour les quatre villages de pêche (Imotlan, N’tirifit, Lbouirda et Lassargua) que compte la région, les prélèvements effectués sur les débarquements des pêcheurs atteignent un montant de plus de 193 millions de dirhams.

« Nous payons toutes nos taxes à l’ONP, mais le village manque de tout. On ne fait rien pour améliorer les conditions de travail dans ce village. La situation y est précaire. On ne dispose pas d’eau, ni de glace, ni d’éclairage…etc. Le marché est à 1,5 km. On paie pour transporter notre marchandise à la halle au poisson. Normalement, c’est l’Office qui doit s’en charger », regrette le même professionnel à Lassargue. Celui-ci, rencontré au centre-ville de Dakhla, affirme à l’occasion que ce mercredi 7 décembre, aucune décision n’a encore été annoncée sur le lancement de la saison hivernale. « Le doute plane encore sur la campagne », lance-t-il.

La conséquence de la fermeture de la pêche au poulpe a été dramatique pour les familles de pêcheurs, mais aussi pour des centaines de personnes, dit Abdelghani, un habitant du village, rencontré sur place. Il y en a beaucoup qui ont leur gagne-pain dans ce village et j’en fais partie, fait savoir Abdelghani. À 60 ans, je me retrouve au chômage. «Je fais quoi ?», interroge-t-il. Depuis que l’activité de la pêche artisanale est en arrêt, Abdelghani dit venir ici chaque jour pour y pêcher à la ligne.

La pêche artisanale fait vivre des milliers de personnes, dit-il. « Entre les transporteurs de poulpe au marché, les gens qui transportent le matériel des pêcheurs, ceux qui poussent les moteurs et barques, les marins pêcheurs ; et jusqu’aux femmes mendiantes qui viennent dans ce village pour demander de l’aumône… Tout ce monde gagnait sa vie dans ce village de pêche qui fait marcher l’économie de la ville », détaille Abdelghani.

Des centaines de femmes, poursuit-il, viennent dans la région pour travailler dans des unités industrielles et frigorifiques. Mais avec cet arrêt, ces femmes n’ont plus aucun revenu, se désole Abdelghani. « C’est vous dire que tous ces gens attendent que la campagne au poulpe soit lancée et que les barques de la pêche artisanale reprennent leur activité », poursuit-t-il.

Le département de la pêche arguera-t-il de la question de la baisse des ressources halieutiques en reportant pour la deuxième fois la date de la reprise de l’activité ?  Dans les milieux de la pêche artisanale, au lendemain de notre reportage (Jeudi 8 décembre) de gros doutes pesaient encore sur cette question. « En principe, l’ouverture de la campagne devrait avoir lieu le 15 décembre, soit d’ici une semaine. Or, l’entretien des barques est nécessaire avant de sortir en mer. Et on a besoin de 15 jours pour le faire », tient à souligner un pêcheur exerçant à Lassargua. Celui-ci regrette, au passage, que la décision d’arrêt concerne aussi la sépia et le calamar que les pêcheurs de la pêche artisanale capturent pendant le repos biologique. « On ne comprend pas pourquoi on nous interdit de pêcher ces deux espèces, alors que d’autres catégories sont autorisées », lance notre pêcheur.

Interrogés par nos soins, plusieurs professionnels de la pêche artisanale indiquent qu’en cette période, de nombreuses espèces de poisson passent par les eaux de la zone et que la situation ne serait pas critique pour les pêcheurs opérant dans la pêche artisanale comme on le laisse croire, disent-ils. Un professionnel de la pêche côtière -un palangrier- nous déclare aussi -sous anonymat- que la ressource est disponible et que les pêcheurs ont constaté que le poulpe remonte dans leurs filets. « On constate aussi que d’autres espèces comme le calamar ou le sépia ont vu leur stock augmenter », dit-il.

Des centaines des barques non réglementaires…

Les préoccupations des pêcheurs ne s’arrêtent pas au lancement de la campagne au poulpe. Au cœur de leurs inquiétudes : Les barques non réglementaires. L’opération de recensement des barques légales et illégales a révélé l’existence de quelques 1131 barques non réglementaires dont 556 à Lassargua.

Un professionnel, exerçant à Lassargua depuis plus de vingt ans, souligne –sous anonymat- que l’année dernière elles seraient environ un millier qui sortirait en mer sans autorisation de pêche à Lassargua. Selon lui, ces barques seraient fabriquées de manière clandestine dans certaines zones de la région, précisant à l’occasion que malgré le dispositif des puces ayant été installées sur les barques autorisées, celles non réglementaires pouvaient toujours s’adonner à la contrebande au vu et au su de tous, ajoute-t-il. Ces barques, dit-il, étaient aussi utilisées par les mafias de l’immigration clandestine qui sévissaient la nuit dans ce village de pêche. «Les barques illégales qui ont été recensées ne sont pas tombées du ciel. L’année dernière, quand on travaillait, on voyait 15 à 20 barques non réglementaires arriver chaque jour », confie cette même source.

A Lassargua, mais aussi dans les autres villages de pêche que compte la région, le phénomène de la contrebande de poulpe aurait pris ces dernières années de l’ampleur. L’interdiction de la pêche dans ces sites était nécessaire pour la préservation de la ressource, souffle cette même source.

La décision – tombée en juillet dernier- concerne 222 bateaux de pêche hauturière et quelque 4500 barques de la pêche artisanales opérant dans la zone dite « stock C », laquelle se trouve au sud de Sidi El Ghazi (Boujdour, Laayoune, Dakhla). L’activité ne doit reprendre que lorsque le recensement de toutes les barques légales et illégales soit finalisé.

« Maintenant que le recensement officiel a été finalisé et que les barques non réglementaires ont été brûlées au niveau de tous les sites, on attend de reprendre notre activité », dit le même pêcheur, que nous avons rencontré au centre ville de Dakhla. D’autant que « les choses sont rentrées dans l’ordre », estime-t-il. « On peut constater sur le terrain qu’aucune barque ne peut plus sortir en mer, surtout après le renforcement du contrôle et l’intervention de la marine royale, de l’armée et du ministère de l’Intérieur durant ces derniers mois », précise ce même professionnel, ajoutant que « ce qui a encouragé le phénomène des barques non réglementaire c’est que depuis cinq ans l’opération de pointage des barques ne se fait plus à la veille de l’ouverture de la saison de poulpe »

Et le problème des poulpiers

Rencontré sur le site, un jeune homme qui occupe l’une des « Tchaboula » confie – sous anonymat- qu’il y a encore neuf mois « c’était l’anarchie dans le village de pêche Lassargua ». « Une mafia très forte avait la haute main sur le trafic de poulpe. Mais, hamdoulillah, les choses commencent à rentrer dans l’ordre », dit ce jeune homme, qui évoque un autre problème, celui des poulpiers prohibés.

Il affirme que des poulpiers non réglementaires sont utilisés pour la pêche au poulpe. Ce que nous avons d’ailleurs constaté sur place. Des milliers de grands pots bleus, noirs, ou blancs sont posés sur le sol, a-t-on constaté lors de notre reportage. « Ce matériel de pêche est interdit mais il est pourtant utilisé depuis plusieurs années et c’est même posé sur le sol au vu et au su de tout le monde », explique notre interlocuteur. « Il y a même de grands pots qui contenaient des phytosanitaires et que l’on ramenait d’Agadir. C’est inacceptable », s’indigne-t-il. De quoi inquiéter quant au danger de ce matériel de pêche sur l’écosystème et le poulpe, une espèce très prisée à l’international.

Reportage réalisé au village de pêche de Lassargua à Dakhla par Naîma Cherii

 

 

 

 

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