Entretien avec Abderrahim Ksiri, Coordinateur national de l’Alliance marocaine pour le climat

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Politique des Barrages, économie de l’eau, dessalement… Le Maroc a-t-il tout bien géré ? Éléments de réponses dans cet entretien avec Abderrahim Ksiri, Coordinateur national de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCD) et Président de l’Association des Enseignants des sciences de la Vie et de la Terre du Maroc (AESVT Maroc).) (ouvre un nouvel onglet)

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Malgré sa politique des barrages, le Maroc fait face à une réelle problématique de pénurie de l’eau liée à la sécheresse. Où se trouve la difficulté?

Sur les dix bassins hydrauliques qu’on a, les barrages ont permis, sur un nombre limité de rivières et dans un pays qui est semi-aride à aride jusqu’à 90% de sa superficie, d’avoir une capacité de mobilisation assez élevée. On est à 19 milliards de mètres cubes d’eau qui peut être stockée dans les 146 grands barrages et les 136 moyens et petits barrages en plus des barrages collinaires. Cette capacité énorme c’est elle qui a permis l’addiction d’eau potable à 100% dans les villes et à plus de 87% dans les zones rurales.

La politique des barrages est donc une très bonne politique. Jusqu’à maintenant et, pour l’avenir, elle restera une stratégie vraiment correcte. Mais la difficulté se trouve dans le fait que cette politique n’a pas été complétée par d’autres types d’actions qui permettent d’abord de la sécuriser, de la consolider, mais aussi de ne pas perdre ce qu’on a déjà gagné côté mobilisation dont la partie utilisation et consommation d’eau. Et d’ailleurs c’est ce qui s’est passé. Il y a eu un grand gaspillage des ressources hydrauliques dans l’agriculture qui consomme 85% d’eau, à cause des types de cultures qui sont choisis, mais aussi à cause des usages excessifs au niveau des nappes et des eaux souterraines. La surexploitation de cette ressource vitale était énorme. Alors que le potentiel naturel renouvelable est de 4 milliards de m3, on est en train d’exploiter 5 milliards de mètres cubes par an. C’est ce qui a provoqué un déficit de 1 milliard de m3 au niveau des nappes phréatiques.

Chaque année, on perd énormément d’eau. Le problème va encore s’aggraver surtout que le climat a changé de manière très rapide. Les scientifiques et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’arrêtent pas d’élaborer des rapports scientifiques à ce sujet. Et ces rapports sont reconnus par les gouvernements.
La société civile environnementale au Maroc, y compris l’Association des Enseignants des sciences de la Vie et de la Terre du Maroc (AESVT Maroc) et l’alliance marocaine pour le climat et le développement (AMCD), fait partie de la dynamique internationale et de plusieurs réseaux œuvrant dans le domaine de l’eau, de l’environnement et du développement durable. On n’arrête pas de dire que ce qui va venir sera vraiment beaucoup plus difficile à gérer. Car nous assistons à une progression exponentielle. La température du globe a maintenant dépassé la moyenne de 1,2 de degrés alors qu’on doit maîtriser cette température à 2 degrés jusqu’à l’an 2100. Cette situation menace et impacte forcément tous les flux de l’air et tous les flux d’eau au niveau des océans. Le climat va donc changer et changera trop rapidement. Le Maroc figure parmi les pays les plus exposés aux changements climatiques. On est le 23ème pays le plus exposé à la rareté de l’eau. On est donc dans une situation très difficile car cette sécheresse n’est pas conjoncturelle mais elle est structurelle. Et il est important que tous les ministères intègrent ce dérèglement climatique dans leur programme, stratégies et projets.

Que faire pour faire face à cette problématique de l’eau?

Le Discours Royal est un discours stratégique qui reprend et enrichit tout ce qu’on a dit en tant qu’acteurs de la société civile et environnemental et en tant qu’experts scientifiques dans le domaine de l’eau et du climat et développement durable. On n’a cessé de répéter que pour bien gérer l’eau on doit agir sur trois volets. D’abord la mobilisation de l’eau, et c’est ce qu’a fait l’État grâce aux barrages.

Pour faire face au manque d’eau, l’État doit aussi recourir au dessalement de l’eau de mer. Cette opération coûte très cher. 60 % de son coût va à l’énergie. D’ici 2030, une vingtaine de stations de dessalement seront réalisées et vont produire 1 milliard de mètres cubes. Mais il faut aussi agir sur les volets de l’économie de l’eau et de la dépollution de l’eau.

Par ailleurs, les collectivités locales et les citoyens doivent revenir à certains réflexes. Avant, on creusait des «Matfiyates» pour y stocker de l’eau. Les «Matfiyates» étaient partout, dans chaque maison, même dans les villes. Mais on les a délaissées parce que l’État a pris le relais grâce à l’addiction d’eau potable. Mais avec cette sécheresse, il faut y revenir. On a de bons exemples au niveau du monde rural. Comme cet exploitant qui a creusé un grand fossé dans son exploitation agricole. Il a permis de remplir 3 millions de mètres cubes d’eau. Il a donc un stock pour trois ans pour irriguer ses champs. Ce qu’a fait cet homme, on peut le faire partout. D’autant que ça coûte beaucoup moins cher que les barrages. On a aujourd’hui les moyens pour creuser et collecter toutes les eaux de pluie. Le pays compte quelque 33 milles douars. On peut creuser des « Matfiyates » au niveau de chaque douar pour accumuler cette ressource vitale, au lieu de construire un barrage dont la réalisation et l’entretien coûtent très cher à l’État.

Il y a aussi les nappes phréatiques. On peut les recharger. On a parfois jusqu’à 50 milliards de mètres cubes d’eau par an. Mais une grande partie de cette eau passe au-dessus des nappes. On a une centaine de nappes qui s’étalent sur des centaines de kilomètres carrés et ces nappes-là peuvent stocker de l’eau. Mais d’abord- et ça a été dit dans le Discours Royal –il faut empêcher les creusements illicites. Il faut appliquer la loi 36-15. Chaque fois qu’il y a quelqu’un qui veut creuser, il doit mettre en place un compteur et doit payer cette eau. Car, disons-le, l’eau n’est pas payée au Maroc.

Pour lutter contre la problématique, on doit multiplier les sites de rétention, de collecte et de stockage d’eau, mais en même temps –et ça a été souligné également dans le Discours Royal- il faut multiplier les manières d’économiser l’eau. Car l’une des solutions pour gérer de manière efficace les ressources en eau et limiter les abus et l’usage excessif des ressources c’est d’édifier «une base de données» de toutes les richesses hydrauliques dans le pays. Une économie extraordinaire peut être faite dans les exploitations agricoles grâce à des systèmes informatisés.

Cette technologie est-elle utilisée au Maroc ?

Certains exploitants utilisent cette technologie, mais ce n’est pas encore généralisé. Car tout l’investissement va vers les barrages. Alors qu’une partie de cet investissement doit porter sur l’économie de l’eau. On doit avoir un système d’information dynamique et actualisé qui nous donne déjà l’information. Car le point de départ c’est connaître ce qu’on a et comment ça évolue. Pour chaque région, on doit connaître les nappes disponibles en y faisant pousser des cultures appropriées et adaptées pour les sols de cette région et en fonction de ses ressources hydrauliques.

Sur la base de ces données, on pourrait alors prendre la décision adaptée à chaque situation. Ainsi quand la moitié de l’eau emmagasinée est consommée, automatiquement, on doit prendre la décision de stopper la consommation pour la laisser pour les trois ou quatre prochaines années. Il faut toujours supposer qu’il y aura une sécheresse. On doit supposer le scénario pessimiste et non pas le scénario optimisé comme ce qu’on a fait dans le passé. Ceux qui gèrent le domaine de l’eau le font de manière optimiste. Ils supposent qu’il y aura de la pluie, mais la pluie n’est pas tombée. Résultat: des nappes et des barrages vides. Or, il faut toujours garder dans les barrages et les nappes phréatiques une certaine quantité d’eau qui peut servir pour les trois prochaines années.

Certaines cultures très consommatrices d’eau sont pointées du doigt. L’État a décidé, il y a quelques semaines, d’arrêter la subvention à ce type de cultures. Mais plusieurs voix demandent l’interdiction de ces cultures ? Qu’en dites-vous ?

Les exploitants agricoles concernés par ce genre de cultures utilisent une ressource qui appartient à tous les Marocains, aux générations actuelles et aux générations futures. C’est un bien commun et on ne peut pas se permettre de laisser ces exploitants faire n’importe quoi. Sachant que c’est la quantité d’eau disponible qui doit en principe fixer ce qu’on peut produire ? A combien d’hectares ? Et pendant combien de temps ? Si la quantité des ressources diminue on doit arrêter rapidement la culture. Cette lutte contre l’usage irrationnel des exploitants des ressources en eau se doit d’être accompagnée par un système de veille, d’information et de contrôle. Tant que ces systèmes ne sont pas encore mis en place, eh bien ça ne marchera jamais.

Le Maroc ne doit normalement pas avoir de problèmes si on a bien géré ce domaine de l’eau. Le renforcement du contrôle et de la surveillance de ces exploitants devient obligatoire. Aujourd’hui, il faut aller dans le contrôle, dans l’économie de l’eau mais aussi dans la diminution de la pollution et que les pollueurs paient. C’est ce qui a été souligné dans le Discours Royal qui a aussi parlé de la tarification de l’eau. Faut-il le souligner, jusqu’à présent, on ne connaît pas encore le prix réel de l’eau au Maroc. On ignore toujours le prix que ce soit pour stocker, transférer, ou pour dépolluer l’eau.

Selon vous, le Maroc est-il assez avancé dans le domaine des technologies utilisées pour le dessalement de l’eau de mer ?

Pour l’instant, on n’a pas encore la technologie ni l’expertise pour le dessalement. La technologie utilisée pour le traitement de cette eau est importée. On doit développer notre propre expertise dans ce domaine. Car ça n’a aucun sens que les marocains, pour la gestion de leurs déchets, recourent à des sociétés internationales. Il faut qu’il y ait un travail entre les ministères de l’industrie, de l’énergie et de l’eau afin d’accompagner les universités, les centres de recherche et les industriels marocains qui peuvent créer ces stations de dessalement.

Le dessalement de l’eau de mer ne pose-t-il pas de problèmes sur le plan écologique pour l’écosystème marin ?

Vous avez parfaitement raison. Le recours au dessalement entraîne en fait une augmentation de concentration des sels. Ce qui déséquilibre complètement l’écosystème marin. Sans compter que parfois on ne trouve pas où mettre ces sels. Mais le recours au dessalement doit être exceptionnel. On ne doit pas mettre tout l’investissement sur le dessalement comme ce qu’on a fait pour les barrages.Une grande partie de cet investissement doit plutôt porter sur l’efficacité hydrique, l’économie de l’eau, les stations d’épuration et sur les autres types de stockage de l’eau de pluie.

Entretien réalisé par Naîma Cherii

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