Entretien exclusif : Le Président de la Fédération des Chambres des pêches maritimes, Larbi Mhidi, aborde tous les sujets sensibles de la pêche

Larbi Mhidi, Président de la Fédération des Chambres des pêches maritimes
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Déclin de la ressource, poulpe de contrebande, flambée du prix du gasoil,…etc. Dans cet entretien exclusif, le Président de la Fédération des Chambres des pêches maritimes, Larbi Mhidi, aborde tous les sujets sensibles de la pêche.

Comment se porte aujourd’hui le secteur?
Pour commencer, je tiens d’abord à souligner que beaucoup de Marocains ne connaissaient pas l’importance du secteur de la pêche. Cette importance, ils l’ont remarqué avec la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Les gens de mer étaient en premières ligne. Ils étaient des travailleurs-clés durant cette pandémie. Les marins-pêcheurs ont risqué leur vie pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Ils pouvaient pourtant rester chez eux et toucher des indemnités de 2000 dirhams à la CNSS. Mais ils ont choisi de continuer à sortir en mer malgré les risques de contamination. D’autant que dans un bateau de pêche côtier on trouve 12 à 16 marins-pêcheurs qui travaillent -et dorment- dans un espace de seulement 16 mètres carrés. Ils se trouvaient donc au centre d’une équation délicate : préserver leur santé dans des conditions particulières de leur travail, qui intervient dans un espace très étroit et favorable à la progression du virus. Cette question, nous l’avons soulevée récemment lors d’une rencontre avec le ministre de la pêche. Nous lui avons demandé de revoir la circulaire de la construction des bateaux de pêche au Maroc.
Pour ce qui est de l’état des lieux du secteur de la pêche maritime, il faut dire que le secteur connaît actuellement plusieurs problématiques qui entravent son développement. On cite notamment un déclin de la ressource. Certaines zones arrivent à s’en sortir malgré tout. Mais d’autres zones ne s’en sortent pas. Elles sont même considérées comme zones sinistrées. C’est le cas de la zone située dans la méditerranée. En dehors de quelques barques de la pêche artisanale qui travaillent sur un peu de thon rouge, de l’espadon ou encore sur le poulpe durant la campagne des céphalopodes, à part ces quelques barques, il y a le problème du Negro qui préoccupe beaucoup. D’ailleurs, 90% des bateaux opérant dans la pêche pélagique ont quitté la zone. Une partie de ces bateaux est allée au port de Tanger ou à Larache alors que la majorité d’entre ces navires opèrent aujourd’hui à Mehdia.
Il convient de signaler une autre zone qui est également touchée par cette baisse du poisson pélagique, c’est celle se trouvant entre Larache et Mohammedia. Dans cette zone, les stocks en pélagique ont diminué de 70 à 80%.

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Quelles sont, selon vous,  les raisons de cette baisse ?
Dans la zone nord du pays, les professionnels de la pêche pélagique traversent une situation difficile à cause des frappes du dauphin noir qui se sont accentuées ces dernières années. Mais la zone située entre Larache et Mohammedia est, quant à elle, concernée par un autre problème. Nous pensons qu’il s’agit d’un problème d’oxygène et de pollution. Les études de l’’Institut national de la recherche halieutique (INRH) vont certainement le confirmer. La baisse de la ressource dans cette zone est liée à une activité d’élevage de thon rouge et aux grandes quantités de poissons qui sont déversées, chaque jour, dans des bassins pour engraisser le thon rouge. Nous sommes convaincus que la pollution des eaux est à l’origine de la baisse de la sardine et de l’anchois. C’est ce qui a fait que cette zone est sinistrée. Il y a encore quelques années, les eaux de Mehdia étaient très poissonneuses. Ce port occupait la première place en ce qui concerne les débarquements d’anchois. Il était même très connu chez les européens qui aimaient tant les anchois de ce port. Aujourd’hui, on n’en trouve plus dans la zone. Sachant que l’anchois est un poisson qui est très sensible. S’il trouve que les eaux sont polluées, eh bien il quitte la zone. Ce qui est le cas aujourd’hui pour toute la région située entre Larache et Mohammedia. Une dure réalité qui frappe les opérateurs du secteur de la pêche côtière et artisanale. La seule espèce que continuent encore de capturer les pêcheurs à Mehdia est le petit maquereau.

Est-ce à dire que cette situation de baisse de la ressource pourrait avoir des conséquences sur le poisson mis en vente sur nos marchés intérieurs?
Par rapport à 2021 et à 2019, il y a en effet une baisse d’environ 15 et 20%. La valeur est élevée mais de point de vue tonnage les chiffres montrent qu’il y a effectivement une diminution. Ce qui va certainement être confirmé par le Conseil d’administration de l’ONP qui va se tenir très prochainement.

Vous avez été a élu il y a prés de deux mois au poste de président de la fédération des chambres des pêches maritimes, quelles sont vos priorités?
Nous avons approuvé à l’unanimité un plan d’action qui a pour but d’atteindre les objectifs de la Fédération. Il s’agit d’un plan qui propose également d’organiser des manifestations et des journées d’étude sur le secteur de pêche. Au cœur de nos priorités figurent entre autres le dossier de la préservation de la ressource, la lutte contre la contrebande et la formation des marins-pêcheurs, des patrons de pêche, des mécaniciens, des seconds mécaniciens et des seconds patrons de pêche. C’est là un dossier très important sur le quel nous allons travailler. Car aujourd’hui, le secteur connait un manque des effectifs des bateaux de pêche. 40 à 50% de la flotte des palangriers sont actuellement en arrêt à cause justement de ce problème de pénurie de main d’œuvre. Et 90% des patrons de pêche exerçant dans la pêche côtière ont des licences de type A. Ils n’ont donc pas le droit de sortir avec des bateaux qui ont une puissance de plus de 300 CV. Or 90% de nos bateaux dépassent 300 CV. Pour naviguer à bord d’un navire qui a une puissance de 400 ou de 600 CV, le patron de pêche doit avoir une licence de type B. Or pour avoir cette licence il faut des centres dédiés à cette  formation. Mais ces centres n’existent que dans certains ports du pays. Résultat de cette situation : 90% de la flotte travaille actuellement avec des dérogations. Ce qui n’est pas normal. Ce dossier de la formation est un dossier très important pour nous. On prévoit d’ailleurs de débattre de ce sujet lors d’une rencontre très prochaine avec le nouveau directeur de la formation au ministère de la pêche.

Plusieurs secteurs continuent de subir les conséquences de la crise de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Qu’en est-il pour le secteur de la pêche ?
Le secteur de la pêche maritime a déjà subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire. Et depuis maintenant plusieurs mois, on continue de subir les effets de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Cette guerre, il n’y a pas un citoyen marocain qui ne l’a pas ressentie. Tous les produits ont vu leur prix augmenter de 25%. La profession de la pêche a vu exploser le prix du gasoil détaxé. Aujourd’hui, le prix de ce carburant a atteint 13.000 dirhams la tonne, au lieu de 6000 dirhams, il y a encore quelques mois. C’est énorme. On n’arrive plus à gérer cette flambée du prix du gasoil. Notre chiffre d’affaires a diminué et chaque sortie en mer connait une hausse de 300%. Le sujet est on ne peut inquiétant. 75% des ventes globales vont au carburant, sans compter les autres dépenses liées aux taxes prélevées (17,1%) sur les ventes des produits en mer. Ces charges sont très lourdes aussi bien pour les armateurs que pour les patrons de pêche et marins-pêcheurs. Tous subissent cette flambée du gasoil. Dois-je le souligner, dans la pêche côtière, les petits bateaux ont une puissance moyenne de 300 CV, alors qu’un grand bateau pélagique ou chalutier a une puissance de plus de 640 CV.  Ces bateaux, pour naviguer, nécessitent beaucoup de gasoil. Chaque jour, un chalutier a besoin d’au moins une tonne de gasoil. Soit 13.000 dirhams rien que pour le gasoil. En plus du carburant, il y a lieu de noter également la hausse des prix de la glace et de l’huile pour faire tourner le moteur du bateau.

Qu’attendez-vous de l’Exécutif pour atténuer la flambée des prix du gasoil ? Quelles solutions proposez-vous à la fédération ?
Nous avons appelé à la création d’un fonds de garantie qui fixe un plafond des prix du carburant. L’avantage de ce fonds c’est que lorsque les prix du carburant augmentent, l’Etat soutient la profession et quand les prix diminuent et qu’il est inférieur au plafond, les professionnels continuent de s’acquitter du même prix, et la différence est versée au fonds de garantie. Mais rien n’a été fait dans ce sens. Les professionnels de la pêche côtière doivent payer chaque jour une taxe de 17,5%. Dans ce contexte de crise, on aurait dû baiser les prélèvements sur les ventes des produits de mer. L’Office national de la pêche (ONP) nous prélève 4,5 %. On aurait dû réduire deux points et baisser les autres prélèvements pour arriver au final à  9%  au lieu de 17 ,1%.
Les représentants de la filière ont beaucoup compté sur l’intervention du gouvernement pour leur apporter une aide qui leur permettra de faire face à cette hausse du gasoil. Une intervention qui n’arrive toujours pas. La fédération a adressé plusieurs courriers au Chef de gouvernement ainsi qu’au ministre délégué chargé du Budget. On a aussi tenu plusieurs réunions avec les responsables du ministère de tutelle en présence de la secrétaire générale Zakia Driouch.
On aurait souhaité que l’initiative vienne du chef de gouvernement pour s’asseoir avec les représentants du secteur afin de discuter de ce sujet. Il aurait au moins donné ses instructions au ministre des finances pour ouvrir un dialogue avec les professionnels de la pêche. Car si cette situation perdure, il sera difficile de sortir en mer. Ce ne sera pas les armateurs qui demanderont l’arrêt de l’activité. Ce sont plutôt les marins-pêcheurs qui vont s’arrêter de travailler dans un secteur qui ne leur assure plus leur gain de pain. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux s’inquiètent déjà pour leur avenir.

Certaines voix dans les milieux des marins-pêcheurs regrettent qu’ils ne soient pas représentés dans les chambres de pêches maritimes. Qu’en dites-vous ?
Les armateurs sont affiliés au Patronat, et les marins sont affiliés aux ouvriers. Ces derniers sont normalement censés être représentés à la chambre  des Conseillers. Il est d’ailleurs facile pour eux d’être représentés au niveau des plus grandes syndicats du Maroc. Compte tenu de leur nombre important, ils auraient pu faire pencher la balance en leur faveur dans n’importe quel parti politique s’ils s’engagent dans les syndicats de ces partis. Mais ils ne le veulent pas. Personnellement,  je ne refuse pas que les pêcheurs soient représentés dans les chambres. D’ailleurs, les consultations que je mène actuellement sur un certain nombre de dossiers c’est avec les patrons de pêche. Car ils connaissent bien la mer. C’est donc une bonne chose que les marins-pêcheurs soient aussi représentés dans les chambres. D’autant que le nombre de chambres va augmenter car un port de pêche peut compter entre 4000 et 6000 marins-pêcheurs. Le nombre de conseillers au Parlement augmentera aussi. Ce qui veut dire que la voix de la profession sera plus entendue au Parlement. Alors qu’aujourd’hui nous y sommes représentés par seulement deux conseillers.

Comment jugez-vous la campagne de poulpe ?
Au nord de Sidi El Ghazi (de Boujdour à Saïdia), le produit était abondant, selon les chiffres de l’INRH. C’est pourquoi, l’activité était d’ailleurs autorisée dans cette zone, en particulier pour la pêche côtière. A Kenitra, par exemple, on n’a jamais connu une aussi belle saison comme cette année. Même la taille du poulpe capturé était grande. Certaines pièces ont atteint 12 kilos. Pour la première fois, les quantités pêchées dans la zone (Mehdia – Bousselham – Salé) ont atteint environ 500 tonnes au lieu de 140 tonnes dans le passé. Même constat dans les autres ports situés au nord de Sidi El Ghazi où le produit y était également abondant.
Concernant la zone dite « stock C », qui se trouve au sud de Sidi El Ghazi (Boujdour – Laayoune – Dakhla), la pêche y était interdite. La décision concerne 222 bateaux de pêche hauturière et quelque 4500 barques de pêche artisanale. Celles-ci ne reprendront l’activité que lorsque le recensement en cours de toutes les barques légales et illégales soit finalisé.
Cette interdiction était nécessaire. Car les captures de céphalopodes sont en baisse drastique. En témoigne d’ailleurs le chiffre révélé par le dernier rapport de l’INRH qui a alerté que les stocks en céphalopodes ont baissé de 65%. Ce qui rappelle la situation critique qu’à connue le secteur de la pêche en 2003.
Au cours de ces deux derniers mois, le contrôle a révélé que plus de 480 entrepôts se livraient à la contrebande à Dakhla. C’est dans ces entrepôts non autorisés que le poulpe de contrebande était stocké. C’est vous dire que ce phénomène  devient inquiétant. D’autant qu’un nombre important de barques opérant dans la pêche traditionnelle s’adonnent à la contrebande de poulpe, pas seulement à Dakhla, mais à travers tout le pays.
La pêche illégale est un crime à l’égard de nos ressources halieutiques nationales. Tout le monde doit s’y opposer. On doit tous lutter contre ce mal. C’est dans ce sens qu’un collectif, composé de professionnels, a été créée avec pour objectif de lutter contre ce phénomène de la pêche illégale. Ce Collectif a appelé l’Exécutif à intervenir rapidement pour lutter contre la pêche illégale pendant le repos biologique.  Nous avons aussi adressé, il y a quelques mois, des lettres au ministre de l’intérieur et à la gendarmerie royale pour leur faire part de nos inquiétudes. On lui a demandé de tout mettre en œuvre afin de faire cesser l’exploitation illégale de ces richesses nationales. La réaction ne s’est pas fait attendre.
Aujourd’hui, il y a une volonté pour stopper le phénomène de la contrebande dans la zone.  D’ailleurs, on peut constater sur le terrain qu’une seule barque ne peut plus sortir en mer, surtout après le renforcement du contrôle et  l’intervention de la marine royale, de l’armée et du ministère de l’Intérieur durant ces deux derniers mois.
Reste à dire que l’on doit renforcer les équipes de contrôle opérant au niveau des délégations régionales. Car le personnel dédié au contrôle au niveau de ces délégations ne peut pas faire face à ce phénomène avec les moyens actuels de surveillance qui restent très insuffisants.
Le sujet a été  sur la table des discussions lors de la dernière rencontre avec le ministre, il y a quelques jours.

Interview réalisée par Naîma Cherii

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