Production de lait : Détails de la crise et mobilisation des professionnels

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Une baisse de production de lait est à prévoir au Maroc d’ici quelques semaines. La flambée des prix des aliments de bétails, en particulier les aliments simples importés et les aliments composés, suite à la hausse des prix des matières premières sur le marché international a fait grimper le coût de production, déclare à Le Reporter Moulay M’Hamed El-Oultiti, président de la Fédération interprofessionnelle lait «Maroc Lait ».

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«La crise a commencé déjà depuis plus de trois ans, mais elle s’est aggravée durant la crise de Covid. La situation est inquiétante chez tous les éleveurs, grands comme petits. Certains opérateurs ont réduit leur cheptel et d’autres ont même abandonné l’activité à cause de cette situation», alerte Moulay M’Hamed El-Oualtiti, également PDG de la Copag, l’une des plus grandes coopératives en Afrique. Avec le coût de production qui continue d’augmenter, poursuit-il, «la production va encore baisser». El-Oualtiti craint un manque de lait d’ici le mois de Ramadan: «Cette situation, si elle perdure, va pousser d’autres éleveurs à sacrifier leurs bêtes et à diminuer la production. C’est ce qui va expliquer la rareté». Si des mesures d’urgence ne sont pas prises, insiste-t-il, on risque d’avoir une pénurie. «Déjà ce qui est produit aujourd’hui ne va augmenter d’aucune façon. Il sera impossible de répondre à la demande en hausse pendant le mois sacré», dit-il.

Les raisons de la baisse de la production laitière, selon la Fédération «Maroc Lait»

Les producteurs de lait ont limité leur production après la hausse des prix des matières premières à l’international ces deux dernières années quand l’apparition du virus liée au nouveau coronavirus a fait tanguer les marchés internationaux, indique-t-on à la fédération interprofessionnelle lait «Maroc Lait ».

Une note succincte de la Fédération sur la situation de la filière –dont Le Reporter détient copie- souligne que les prix des aliments de bétail dits «simples» ont augmenté de 9% pour le son, 18 % pour la pulpe sèche de betterave, 37% pour les tourteaux  de tournesol et 31% pour les tourteaux de soja. Les prix des aliments composés pour bovins laitiers ont, quant à eux, connu une hausse de plus de 35% entre janvier et décembre 2021, ce qui rend encore plus cher le coût de production. A cela s’ajoute la baisse du taux moyen des naissances de 75% à 50% due en grande partie à l’interruption voire l’arrêt de l’insémination artificielle en période de restrictions sanitaires imposées par la pandémie du Covid-19. «Cela a eu comme répercussion directe une baisse des effectifs des vaches en production et donc de la production laitière collectée à court terme, souligne la direction de cette fédération. A moyen terme, le renouvellement du cheptel laitier s’en serait impacté», est-il expliqué auprès de la même source.

A la Fédération, on explique aussi cette baisse de la production par une diminution de la demande en lait et en produits laitiers au début de la pandémie du Covid-19 et qui s’est installée dans la durée, obligeant les industriels à réduire leur collecte de lait. Une évaluation de la situation de la production et de la collecte du lait par les usines de transformation, durant la période allant de janvier à août 2021, a révélé que la production aurait diminué dans toutes les régions du pays. Mais le phénomène serait très fort, particulièrement dans les grands bassins laitiers au niveau national, selon la même source. Celle-ci cite des chutes de la collecte du lait dans les régions de Doukkala Tadla (-14%), El Gharb (-20%), Sous massa ( -11%), Loukkous Tangérois ( -20%) et (Fès, Meknès et El Haouz (-10%)).

Les éleveurs du Gharb attestent…

Va-t-on avoir un manque de lait durant le mois de Ramadan 2022? Des éleveurs dans la région du Gharb, joints par nos soins, révèlent que le manque de pluie aura également raison de la production de lait, notamment dans les zones bour. Pire encore, disent-ils, le risque d’avoir un manque de volumes devrait durer bien après le mois sacré. Nos éleveurs ont qualifié la situation de grave et appellent les autorités à prendre les décisions qui s’imposent à ce sujet. «Il y a actuellement une baisse de la production de l’ordre de 20%. La situation risque de s’aggraver d’ici quelques mois si on ne trouve pas une solution à la crise de la filière laitière», avancent les mêmes éleveurs. Ils ajoutent: «Tous les intrants qui rentrent dans la fabrication du lait ont connu des augmentations de l’ordre de 20 à 50%.  Les gens ne s’en sortent plus avec ces augmentations qui n’en finissent pas». Cette situation, disent-ils, a conduit de nombreux éleveurs à vendre leurs vaches laitières pour l’abattage. C’est dire la situation inquiétante pour le secteur, martèlent nos éleveurs, qui évoquent des ventes massives de vaches laitières dans un marché hebdomadaire dans la province de Sidi Bennour.

Ce possible manque de lait pourrait véritablement affecter le marché de lait qui a connu un essor durant les dix dernières années. Selon les données officielles, en dix ans, les Marocains ont augmenté leur consommation de lait et dérivés laitiers, laquelle est passée de 64 équivalents litres en 2010 à 74 équivalents litres par habitant et par an, soit une augmentation de 16%. Le taux de couverture de la demande de consommation en lait et produits laitiers se situe à 96 % contre 90% en 2010. Au cours de la même période, la production laitière est passée de 2.10 milliards de litres en 2010 à 2.50 milliards de litres en 2020, soit une hausse de 19%. Concernant le nombre de producteurs laitiers, les chiffres de 2019 parlent d’environ 260.000 éleveurs. Près de 90 % disposent de moins de 10 vaches laitières et 2% des éleveurs disposent de plus de 100 vaches laitières.

Mobilisation, les professionnels partagés !

Depuis quelques jours, les professionnels du secteur laitier se mobilisent un peu partout dans le pays pour alerter sur la situation. Un sit-in devait se tenir devant le siège du ministère de l’agriculture par  des éleveurs de vaches laitières et des producteurs de lait qui voulaient clamer leur colère, jeudi 20 janvier, à Rabat. Par ce sit-in, auquel n’adhèrent pas tous les professionnels du secteur, les contestataires, membres de la Fédération des producteurs de lait et des produits agricoles, entendaient dénoncer la situation qu’ils qualifient de «grave», et protester contre «l’absence d’une subvention financière pour aider le secteur à faire face à l’augmentation du coût de production». «En ce moment nous sommes dans une phase de crise. Tous les indicateurs sont au rouge, et cela se répercute d’ailleurs sur l’activité. Certains éleveurs jettent leur lait pour montrer leur désespoir !», a soufflé un éleveur dans la zone du Gharb, membre de cette Fédération, laquelle n’est pas reconnue par le ministère. A l’heure où nous mettions en ligne, l’on apprenait que les professionnels en colère ont été empêchés de tenir leur sit-in. Ce qui n’empêchera pas, confie une source proche du dossier, «une prochaine action après que les responsables ont ignoré nos revendications». «La situation est grave. On souffre énormément. Certains investisseurs n’en peuvent plus avec cette situation qui a poussé plusieurs producteurs à vendre leur ferme», laisse entendre notre éleveur du Gharb.

Du côté de la Fédération interprofessionnelle lait «Maroc Lait», on préfère choisir la voie de la négociation, comme nous l’a expliqué, cette semaine, le président Moulay M’Hamed El-Oultiti. Les discussions sont déjà engagées entre la Fédération «Maroc Lait» et le ministère de l’Agriculture, même si elles n’ont encore rien donné de concret, assure le président El-Oultiti dans un entretien téléphonique. «On a déjà mené des négociations avec le ministère pour mettre en place un contrat programme, dont toutes les clauses ont été identifiées et clarifiées. Le projet est maintenant entre les mains des ministères de l’agriculture et des finances», précise El-Oultiti. Il ajoutera: «On attend que ce contrat soit validé par les pouvoirs publics pour pouvoir essayer d’atténuer les difficultés des professionnels de la filière laitière». El-Oualtiti constate, toutefois,  que «ce contrat programme risque d’être dépassé par les événements ainsi que par les flambées des aliments simples importés et des aliments composés, suite à l’augmentation des cours des matières première à l’international».

Notons que plusieurs revendications des professionnels figurent dans ce contrat. On cite, entre autres, une demande de subventions des génisses. «Le contrat prévoit une subvention des génisses produites par les éleveurs pour remédier à l’importation des génisses qui pèsent lourd et qui provoquent beaucoup de sortie de devises. Mais il y a aussi la demande d’une subvention des génisses d’importation. Car, notons-le, même dans les conditions difficiles, certains éleveurs souhaitent renouveler et renforcer leur cheptel», explique le Président de la Fédération interprofessionnelle lait «Maroc Lait», laquelle a, depuis octobre 2019, remplacé sa consœur la Fimalait en tant qu’interlocutrice représentative de la profession auprès des pouvoirs publics.

A noter enfin que les membres de cette instance professionnelle ont tenu, il y a quelques jours, une réunion avec la direction des filières au département de l’agriculture à ce sujet. Ils doivent se réunir prochainement avec le ministre de l’Agriculture pour décider des prochaines actions pour tenter de trouver des solutions aux difficultés de la filière laitière au Maroc.

La prochaine réunion à laquelle sont attendus les principaux responsables de cette Fédération pourrait être le coup d’envoi d’une nouvelle vague de protestations eu égard à la situation qualifiée par les professionnels de «dangereuse», souffle une source proche du dossier.

Naîma Cherii

 

 

 

 

 

 

 

 

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