Entretien avec Dr Tayeb Hamdi, Médecin, Chercheur en Politiques et Systèmes de Santé et vice-président de la FNS

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«La 2ème vague de l’épidémie va durer au moins jusqu’au début du printemps»

 

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Le nombre de cas de contamination ne cesse de grimper depuis plusieurs semaines. Selon vous est-on déjà entré dans la deuxième vague de la Covid-19?

On vient juste d’entrer dans la deuxième vague. Il faut rappeler que certaines voix professionnelles estimaient que le Maroc était entré en 2ème vague déjà en juillet. Mais personnellement, je dis qu’on vient d’entamer notre 2ème vague de Covid.  La preuve c’est d’ailleurs non seulement le nombre de cas positifs qui augmente mais aussi et essentiellement la vitesse de la circulation du virus qui s’accélère. C’est cette vitesse qui détermine qu’on est entré dans la 2ème vague.

Cette vague va-t-elle perdurer dans le temps?

Normalement, une 2ème vague sera plus ample en chiffre. On aura plus de cas de contamination que lors de la première vague ; et donc les pics seront plus importants. Cette deuxième vague va durer dans le temps plus que la première. On peut dire que ça va durer au moins jusqu’au début du printemps. Rappelons que pour la première vague (mars-avril-mai), même après le dé-confinement, la circulation du virus était plus au moins stable. Elle augmentait certes chaque jour à cause du non-respect des mesures barrière par la population. Mais il n’y avait pas cette hausse des cas très importante, sauf sur Tanger pour des raisons de système de santé. Maintenant on assiste à une vitesse accélérée. Cela va durer le mois de novembre, décembre, janvier, février et durant le mois de mars. Mais, les courbes devront entamer la décente à partir de février-mars.

Quelles sont les mesures qui devraient être prises, sur le plan hospitalier, durant cette deuxième phase de la pandémie?

Sur le plan hospitalier, les mesures qui devraient être prises sont déjà prises. A savoir l’acquisition de plus de lits de réanimation, l’extension de services de réanimation, la formation de médecins pour épauler les réanimateurs et l’équipe de réanimation dans leur travail. Ce que le Maroc pouvait faire est déjà fait. Le service de réanimation ce n’est pas un service extensible à l’infini. Il a des limites. Je pense que l’enjeu maintenant et la riposte ne se joue plus au niveau de la réanimation. La riposte doit se jouer au niveau des populations et des mesures barrière et du système de santé. Car disons-le, il ne s’agit pas seulement d’une question de lits de réanimation, mais aussi de ressources humaines. On n’a pas assez de médecins réanimateurs ni de personnel paramédical de réanimation.

Peut-on dire qu’on arrive à voir correctement l’évolution de l’épidémie au Maroc? 

Si vous parlez des cas réels qui sont contaminés au Maroc, nous dépassons déjà et de très loin les 10.000 cas par jour. Car le nombre des cas déclarés ne concerne que les gens qui sont positifs, les gens qui ont des symptômes, leurs proches ou encore leurs contacts qui ont été testés. Or, il y a beaucoup plus de patients qui sont symptomatiques mais n’ont pas encore consulté. Et d’autres ont consulté mais n’ont pas fait de tests. Notons que le Maroc est classé deuxième payas en Afrique en capacité de testing et occupe le 31eme rang mondial sur ce volet. Mais au vu des exigences de l’évolution épidémiologique et des éléments de riposte, cette capacité est insuffisante pour voir correctement la circulation du virus.

Quand on a une capacité limitée de tester, il est difficile de se baser sur les chiffres pour apprécier l’évolution de l’épidémie. On voit donc mal évoluer l’épidémie. En fait, on ne voit qu’une petite partie de l’épidémie. Il faut souligner qu’en France, par exemple, on fait deux millions de tests par semaine, alors qu’au Maroc on fait seulement entre 160.000 à 170.000 par semaine. Depuis le mois de juin à ce jour, le royaume ne dépasse pas les quelque 20.000 à 23.000 dépistages par jour. Je pense qu’on va rester sur cette moyenne. Avec ce chiffre, ça va être difficile de voir correctement la pandémie.

A Casablanca, par exemple, quand on a près de 2000 qui sont testés positivement, on estime les chiffres réels à 10.000 cas positifs. En France qui fait deux millions de tests par semaine, quand on déclare par exemple 50.000 cas, on se dit qu’on a au moins 100.000 cas, soit le double des cas déclarés. Et donc, même avec cette capacité de tester qui est très importante, les Français n’arrivent pas à voir l’épidémie. Ils voient juste la moitié. Nous, on ne voit que le 1/4 ou le 1/6 de l’épidémie. A noter enfin que l’on a aussi d’autres indicateurs qui sont très importants: les décès et les cas de réanimation. Une personne qui a les symptômes et qui a la maladie, elle peut toutefois ne pas se faire tester. Mais quand son état se détériore, elle finit par être rattrapée par le système de santé. Sur une moyenne de trois semaines, si on déclare, par exemple, deux à trois décès par jour dans une ville qui enregistre 60 ou 80  cas positifs, ça veut dire qu’on a au moins 500 cas et non pas 60 cas positifs.

Selon vous un confinement s’impose-t-il dans le contexte actuel?

Quand on a des chiffres qui confirment que dans trois semaines la capacité de réanimation sera dépassée -et donc le système de santé va s’effondrer- dans ce cas, il faut passer à autre chose que les mesures barrières. Il faut passer aux restrictions, étape par étape. Ça dépend de la réactivité de la population. A un moment donné, si la situation est vraiment incontrôlable dans une région, il faut opter pour un confinement général. Certes, pour l’heure, on fait tout pour ne pas revenir à un confinement général. Mais il faut dire que, parfois, c’est la seule solution pour sauver des vies et aussi pour sauver l’économie. Car avec une situation épidémiologique dégradée et avec des gens qui meurent sans avoir la chance de profiter des services de réanimation, c’est insoutenable et inacceptable et c’est une situation qui est génératrice de problèmes sociaux et d’économie.

Sachant que ce ne sont pas les mesures de restriction, ni les mesures barrières, ni le confinement, qui tuent l’économie ou les gens, mais c’est surtout l’épidémie. Et du moment qu’on arrive à contrôler la pandémie, on peut alors sauver les gens et l’économie. Mais un confinement général n’est pas une mesure à écarter. C’est toujours possible, même s’il y a d’autres types de confinement à instaurer selon le degré de l’évolution épidémiologique pour éviter un confinement général. Ceci dit, je pense qu’avec la possibilité que le Maroc puisse vacciner sa population dans un délai très acceptable, cela va aider à soulager la situation. Je pense qu’à partir de février-mars, les choses devront s’améliorer.


Le vaccin anti Covid suscite des craintes chez certains citoyens. Qu’en pensez-vous?

Il faut d’abord souligner que ces craintes concernent un produit qui n’avait même pas encore été pensé. Non seulement au niveau du Maroc, mais sur le plan international. C’est un phénomène mondial de méfiance et d’hésitation «vaccinales». En temps de crise sociale, politique ou sanitaire, les gens cherchent toujours à s’auto assurer par des explications qui sont faciles à gérer. Les gens ne peuvent pas imaginer que demain ou après-demain, ils seront, eux-aussi, atteints du virus lié à la pandémie de Covid-19. Pour eux, c’est un scenario qui est difficile à imaginer. Il faut aussi souligner que la relation humaine avec le vaccin n’est pas la même qu’avec un médicament.

Mais il y a lieu de rappeler que les gens qui fabriquent le vaccin sont les mêmes gens qui fabriquent doliprane, les antibiotiques ou encore les anticancéreux. Et pourtant, tout le monde prend ces médicaments sans aucun problème. Alors que certains médicaments ont des effets indésirables. Les personnes malades prennent ces médicaments, car pour eux c’est la seule solution. Quand on a un problème sanitaire, on cherche un médicament pour se soigner et se soulager. C’est une relation mathématique. Maintenant pour le vaccin, c’est un produit qui n’est pas généralement destiné à des personnes qui sont malades. Car par définition, le vaccin, mis à part quelques exceptions, est destiné à des personnes qui sont saines pour les protéger d’une éventuelle maladie qu’ils sont susceptibles d’attraper. Là, on n’entre pas dans une relation mathématique logique de maladie qui nécessite un traitement. Mais plutôt dans une relation de gestion des risques. Et c’est cette relation de gestion des risques qui est problématique.

Les gens pensent qu’ils ne vont pas être frappés par la maladie. Ils pensent que ce sont toujours les autres qui vont être contaminés par le virus. Les gens n’ont pas la même approche logique du risque, car c’est une relation plutôt mentale que palpable. Ceci étant, en France, par exemple, ces dernières années, les gens étaient hésitants. La courbe des personnes qui se vaccinaient contre la grippe descendait. Mais maintenant avec la Covid-19 et le risque d’avoir la maladie, pour avoir son vaccin (contre la grippe) dans ce pays, il faut faire une commande trois à quatre semaines avant. Tellement, les stocks s’épuisent après l’arrivée des vaccins.

Pour certains vaccins, on parle de mauvaises réactions? Des essais cliniques seraient même suspendus à cause de la mort d’un médecin candidat au Brésil…

 Pour  ce dernier incident, l’étude a été suspendue pendant une semaine. Mais elle a été reprise jeudi 11 novembre. Car il s’est avéré que le volontaire s’était suicidé. Des fois les essais sont suspendus à cause d’incidents avec des volontaires qui n’avaient même pas pris le vaccin, mais le placebo. Après vérification par un comité indépendant, il a été confirmé que ça n’avait rien à voir avec les essais cliniques en question. Mais le fait que ces essais cliniques soient suspendus c’est plutôt une garantie de sécurité de plus pour les gens. Quand on a un problème sérieux avec un volontaire, on arrête tout et on suspend l’étude pour voir les causes du problème. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour ce candidat brésilien, et pour les vaccins de AstraZeneca et Jhonson and Jhonson.

A noter, enfin, que les essais cliniques sont de plus en plus encadrés par les lois nationales et par la réglementation internationale. On ne peut pas faire des essais cliniques n’importe où. On ne peut faire des essais cliniques que dans des structures qui sont bien structurées et où le contrôle des médecins est assuré avec le plus haut niveau de qualité. A noter qu’aux USA, par exemple, il y a quelque 2500 études cliniques, chaque année. La France, quant à elle, totalise près de 300 études cliniques. Et il y a des personnes malades qui achètent leurs billets d’avion depuis l’Europe ; et payent leur séjour à l’hôtel aux USA pour prendre part à un essai clinique, tellement ces essais sont une chance de profiter d’un traitement nouveau et d’avenir.

Selon vous, quels sont  les problèmes qui font que les choses ne vont pas comme on l’aurait souhaité dans la gestion de cette pandémie au Maroc?

Pour faire un diagnostic rapidement du système de santé au Maroc, il faut d’abord dire que notre système manque de financements. Seul 7% du budget général sont consacré au secteur, c’est inférieur aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui préconise au minimum 10 % du budget général. Au Maroc, la moyenne de dépense de santé par habitant c’est 180 dollars par an. Alors que nos voisins sont arrivés au double voir même au triple de ce chiffre. En France c’est plus de vingt fois. Avec un financement faible on ne peut donc pas faire grand chose. Il faut d’abord améliorer le financement.

Autre problème, celui de ressources humaines. Le Maroc compte seulement 28.000 médecins. Or, selon les normes de base de l’OMS, nous avons besoin de 32.000 médecins de plus. En France, pays qui compte presque le double de la population du Maroc, on est à 250.000 médecins. Pourtant, chaque jour, ces derniers descendent dans la rue car ils considèrent qu’ils sont peu nombreux.

Le troisième problème concerne la répartition de ces ressources humaines. Sur le plan régional, cette répartition n’est pas équitable. Car plus de 50% des médecins sont installés sur l’axe El Jadida-Casa-Rabat-Kenitra, alors que tout le reste du pays se partage moins de 50%. Il y a une injustice entre le rural et l’urbain. Il faut dire que le rural c’est le désert médical. Quatre marocains sur dix doivent aujourd’hui parcourir plus de dix kilomètres pour trouver le premier point de santé. A ce problème vient aussi s’ajouter celui de la couverture médicale. L’assurance maladie ne couvre que le 1/3 de la population marocaine. Les 2/3 de la population n’ont pas de couverture médicale. C’est aujourd’hui un grand handicap pour le développement du secteur de la Santé dans notre pays.

Grosso modo ce sont là les grands problèmes qui font que les choses ne vont pas comme on l’aurait souhaité dans la gestion de la pandémie liée au nouveau coronavirus. A rappeler dans ce cadre qu’une convention-cadre de partenariat stratégique public-privé a été signée, en septembre dernier, entre la Fédération nationale de la santé (FNS) et le ministère de la santé. L’objectif étant justement d’améliorer le système national de santé au Maroc. C’est une tâche ardue à laquelle les professionnels de santé, regroupés dans la FNS, contribuent.

Interview réalisée par Naîma Cherii

 

 

 

 

 

 

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