Les enfants au travail sont partout mais invisibles. Un des secteurs les plus pointés est celui de l’agriculture. 119.000 enfants exercent des activités agricoles au Maroc, selon le Haut Commissariat au Plan (HCP). Un chiffre qui, selon des associatifs et des responsables syndicalistes, pourrait encore s’accroître avec les écarts sociaux qui se creusent et la précarité des ménages qui s’accentue à cause des crises qui se succèdent.
Le 12 juin est la Journée mondiale contre le travail des enfants. Au Maroc, ONG et syndicats, en profitent pour déplorer le travail des enfants notamment en milieu rural. Ce milieu, révèle le Haut Commissariat au Plan (HCP) à l’occasion de cette journée, a vu la plus forte hausse du nombre d’enfants au travail, en 2021.
Dans les zones rurales, au lieu d’aller à l’école, 119.000 d’enfants travailleurs sont employés dans l’agriculture, un secteur où le travail est le plus pénible voir dangereux.
La pauvreté est l’une des principales causes du travail des enfants, qui sont de plus en plus sollicités pour travailler dans l’agriculture, souligne El Hassan Laamimi, un associatif à Biougra dans la région de Chtouka Ait Baha. Celui-ci alerte contre ce phénomène qui, dit-il, prend de plus en plus de l’ampleur dans la Province de Souss Massa.
Cette région, qui compte un nombre important d’exploitations agricoles, attire une forte main d’œuvre d’enfants originaires de régions pauvres du pays, comme Azilal ou encore Demnate, constate cet associatif, ajoutant que les Communes de Khmiss Ait AMira et de Biougra à Chtouka Ait Baha viennent en tête avec le nombre le plus élevé des enfants travailleurs dans des fermes agricoles. «Ces enfants sont souvent cachés dans les exploitations qui les recrutent pour un certain temps et restent loin de tout contrôle», déplore l’associatif El Hassan Laamimi.
L’un des secteurs les plus pointés quand il s’agit de ce problème de travail des enfants est, en effet, le secteur agricole. Le ton est aussi donné par Samira Raiss, vice-secrétaire générale de l’organisation de la femme du secteur agricole (UMT). «Ce phénomène est préoccupant alors que la situation des enfants pourrait encore s’aggraver si rien n’est fait. Car la paupérisation des ménages vivant dans des situations difficiles pourraient pousser d’autres enfants à chercher du travail à cause de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences sur l’économie nationale», a mis en garde Samira Rais. Celle-ci a tenu à signaler que la tendance à la hausse dans le secteur agricole a commencé avant que la pandémie ne chamboule totalement toutes les économies mondiales et force les familles pauvres à pousser leurs enfants à quitter leurs écoles pour travailler.
Les chiffres révélés par le Haut commissariat au plan (HCP) sont inquiétants, dit-elle. Mais, ajoutera-t-elle, ils viennent en tout cas confirmer ce que nous avons constaté sur le terrain. «Le travail des enfants a particulièrement augmenté. Si certaines exploitations respectent le code du travail et ne recrutent pas des enfants, une grande partie des fermes agricoles font fi de la loi», alerte la vice-secrétaire générale, Samira Rais, soulignant que «Pour certaines cultures, comme les fruits rouges ou les tomates cerises, on recrute particulièrement des petites filles entre 11 et 13 ans. Elles travaillent aussi dans l’emballage».
La responsable syndicale signale, au passage, que les conditions de travail de ces petites filles sont ardues, voire dangereuses. «Elles doivent rester longtemps debout dans des positions peu confortables, sous des températures extrêmes et exposées à des pesticides, ce qui présente une menace pour la santé de ces petites filles», dénonce notre interlocutrice. Plus inquiétant encore, insiste la responsable syndicale, l’action des inspecteurs du travail reste en général limitée dans ces exploitations agricoles. «Le travail des enfants dans l’agriculture est souvent invisible et difficile à prouver. Le domaine de l’agriculture est le secteur où on peut tout faire sans être contrôlé», critique la vice-secrétaire générale de l’organisation de la femme du secteur agricole, en pointant les autorités qui fermeraient les yeux sur les violations des exploitations qui recrutent des enfants.
Pour la même source, le nombre très faible des inspecteurs du travail rend le contrôle très difficile au niveau des zones agricoles. «On trouve parfois un seul inspecteur de travail pour des dizaines d’exploitations agricoles. Impossible pour lui de les contrôler toutes pour voir si ces fermes respectent le code du travail et ne font pas travailler des enfants. En plus, l’accès aux fermes agricoles reste difficile pour l’inspecteur de travail, lequel n’a pas toujours les moyens pour couvrir toute la zone agricole qu’il doit contrôler. En plus, il peut même être agressé par l’un des exploitants sans être protégé», soutient Samira Rais. Et d’ajouter: «Nous avons toujours déploré ce problème de contrôle, lors de nos réunions avec le ministre de l’emploi». Selon elle, le sujet a été à l’ordre du jour d’une réunion tenue, lundi 13 juin 2022, en présence du ministre de l’emploi.
A l’âge de 7 ans, elle est poussée par ses parents à travailler…
Si des enfants travaillent avec leur famille dans de petites exploitations, d’autres «louent leurs services» auprès de grandes fermes agricoles. Mal rémunéré, ce travail empêche les enfants d’envisager une scolarité sérieuse. Malika en fait partie. Quand elle a commencé à travailler avec sa mère dans une ferme de roses dans la Commune rurale de Lamaaziz, située dans la province de Khémisset, elle était encore enfant. Elle ne pensait pas qu’elle allait y passer 38 ans avant d’être licenciée il y a une année, raconte au téléphone ce mercredi 16 juin Malika à Le Reporter. «Je voulais aller à l’école. Mais c’était trop loin. Chaque jour, je devais marcher deux heures pour y aller. Il n’y avait personne pour m’accompagner. Et puis, la route était risquée et mes parents travaillaient. J’ai dû finalement quitter l’école après deux ans seulement», se souvient Malika, non sans amertume.
A l’âge de 7 ans, elle est poussée par ses parents à travailler comme travailleuse dans une ferme agricole à Lamaaziz. Quand elle voyait ses parents lutter pour ramener de l’argent, elle avait envie de les aider, dit-elle. Elle ajoute: «Les gens vivaient dans la précarité et le risque était important que les enfants quittent l’école et commencent à travailler. Et jusqu’à aujourd’hui, il y a toujours ce risque à cause de la précarité et des crises qui se succèdent». Aujourd’hui, Malika a 45 ans. Elle ne peut plus reprendre le chemin de l’école, comme elle l’avait souhaité quand elle était enfant. Mais elle se dit fière d’avoir pu scolariser ses deux filles. «Ma fille ainée est actuellement au baccalauréat et la petite, elle, est en 6ème année», se réjouit-elle. «Je n’ai pas voulu qu’elles vivent la même situation que moi. Mes filles ont encore besoin de mon soutien financier pour qu’elles terminent leurs études. Mais, aujourd’hui je n’ai plus rien à leur offrir, pas de travail et pas de retraite. On m’a mise à la porte après 38 ans de travail. Je touchais une rémunération journalière de 10 dirhams, je n’ai donc pas d’économies. Je vis dans la misère et je m’inquiète beaucoup pour mes filles. Vont-elles pouvoir continuer leurs études? Ou vont-elles revivre le même calvaire que j’ai vécu depuis que j’ai été petite fille», se désole Malika.
Naîma Cherii