Affrontement turco-russe en Libye

Les «guerres d’Espagne» se multiplient dans le monde arabo-musulman. Des puissances étrangères interviennent pour changer le cours de guerres civiles. Ce qui s’est passé en Syrie est en train de se reproduire en Lybie. 

- Publicité -

Une fois de plus, turcs et russes sont dans des camps opposés, même si tout peut changer  très vite. La Russie et la Turquie se sont partagé la Libye. C’est, ce qui vient de se passer dans ce pays méditerranéen crucial pour la sécurité de l’Europe, qui se retrouve soumis à une partition de facto. A l’Ouest, la Tripolitaine, où les forces mobilisées par le Président turc Erdogan ont permis au gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj de repousser l’offensive du maréchal Khalifa Haftar et de reprendre le contrôle de la région. Et, à l’Est, la Cyrénaïque, sur laquelle règne le maréchal rebelle, replié sur Benghazi après l’échec de son assaut sur Tripoli. Soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis, il bénéficie, lui, de l’appui militaire de la Russie. «Un séisme politique» ! Ainsi résumée par un diplomate en poste à Tunis, l’avancée de la Turquie en Libye prend toute son ampleur. En quelques mois, après de sérieux ratés en 2019 qui ont permis à Ankara d’ajuster sa feuille de route, la voici au secours de Tripoli et de son gouvernement d’entente nationale (GNA). Nom de l’opération: «Volcan de la colère». Le corps expéditionnaire turc, cinq cents officiers, soldats et conseillers, auxquels s’ajoutent plus de cinq mille mercenaires syriens, a pu casser la ligne logistique de l’armée du maréchal Haftar, homme fort de l’Est libyen. Celui-ci tente en vain depuis plus d’un an de conquérir Tripoli, siège de la Banque centrale et de la compagnie nationale du pétrole (NOC). Un échec patent malgré les soutiens des mercenaires russes de la compagnie Wagner, des forces pro-russes.

«Si l’aventure libyenne aboutit, elle va se rembourser», prévoit Jalel Harchaoui. L’accord maritime signé le 27 novembre 2019, «le couteau sous la gorge» selon l’un des intervenants, permet à Ankara d’entamer des prospections et des forages en Méditerranée orientale. Un partage de la mer au parfum de gaz. D’immenses réserves y ont été détectées. La Turquie a négocié l’accord avec le GNA. Sans lui, l’accord sera caduc. Il faut donc le soutenir coûte que coûte. Ceci explique pour partie l’acharnement d’Ankara.

Le passé s’invite: en 2009, Erdogan et 150 chefs d’entreprise rendent visite au colonel Kadhafi. Vingt milliards d’euros de contrats sont signés. Aéroports de Tripoli et Sehba, autoroute à l’est, centrales électriques, habitations: la Libye devient l’un des premiers débouchés économiques du pays. Mais depuis, l’absence de stabilité –euphémisme– rend nuls et non avenus bon nombre de projets. Avant 2011, un quart des expatriés turcs travaillaient en Libye, plus de 18.000».

Ce tournant dans l’histoire de ce pays, ravagé par les luttes entre milices locales et groupes islamistes, depuis la révolution qui a renversé le colonel Kadhafi en 2011, est une mauvaise nouvelle pour l’Union européenne. Elle l’est notamment pour la France, qui s’est montrée bienveillante à l’égard du maréchal Haftar, dans lequel elle voyait le meilleur rempart contre le terrorisme islamiste, mais dont elle a sous-estimé la stratégie de conquête. Paris regarde aujourd’hui avec inquiétude la Turquie prendre pied durablement en Libye, une évolution qui, reconnaît-on à l’Elysée, change la donne en créant une pression stratégique et politique sur l’Europe.

C’est dans ce contexte que l’Égypte, qui est l’un des principaux soutiens étrangers, avec la Russie et les Émirats arabes unis, a volé au secours du maréchal en proposant, le 6 juin, un cessez-le-feu à partir du lundi 8 juin et une feuille de route pour la Libye. Signe que le camp Haftar n’envisage plus que la solution militaire au conflit libyen.

Si le cessez-le-feu a été accepté par le maréchal, présent au Caire, le GNA, qui a ralenti la progression de ses combattants vers Syrte, n’y a pas encore donné suite. Khaled al-Mechri, président du Parlement de Tripoli, a rejeté le plan émanant selon lui d’une force vaincue, selon la chaîne al-Jazira.

Baptisée « la Déclaration du Caire », l’initiative présentée par le président Abdel Fatah al-Sissi, et appuyée par les Russes et les Émiratis, comprend notamment la création d’un conseil présidentiel élu en Libye, un appel à des négociations à Genève, le retrait de tous les combattants étrangers, et le démantèlement des milices et la remise des armes. 

Alors que l’heure semble désormais à la négociation, le maréchal peut-il incarner l’homme de la situation aux yeux de ses parrains étrangers ? 

« Nous voyons déjà l’Égypte et la Russie travailler ensemble à des alternatives politiques à Haftar qui pourraient sauver leurs sphères d’influence dans l’est libyen », indique Tarek Megerisi, analyste politique au Conseil européen des relations internationales, interrogé par l’AFP.

La présence très remarquée au Caire d’Aguila Saleh, président du Parlement élu basé en Cyrénaïque (est), au moment de l’annonce du plan Sissi pour la Libye, est un indice qui semble jouer en défaveur de Kahlifa Haftar. Bien plus ouvert que le maréchal au dialogue avec le pouvoir rival installé à Tripoli, Aguila Saleh s’est également entretenu, fin mai, avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Ils ont évoqué ensemble « la nécessité de lancer d’urgence un dialogue constructif impliquant toutes les forces politiques libyennes ». 

Patrice Zehr

- Publicité -

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here