Campagne de boycott : Quelle sortie de crise ?

La campagne de boycott contre Centrale Danone, Sidi Ali et Afriquia a été déclenchée sur Internet le 20 avril 2018.

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Nous sommes le 6 juin et la campagne, qui en est donc à sa 7ème semaine, ne donne aucun signe d’essoufflement.

Sur le plan économique, les effets commencent à se faire sérieusement ressentir. Centrale Danone annonce un chiffre d’affaires en baisse de 50% et un résultat net qui plonge à moins 150 millions de DH, au terme du 1er semestre 2018, alors qu’il s’établissait à plus de 56 millions l’an dernier à la même période. De même que l’entreprise annonce une réduction de 30% de ses achats de lait avec, pour conséquence, une rupture de contrat de travail avec quelque 900 intérimaires.

Pour les deux autres marques, aucune évaluation officielle des dégâts n’a été communiquée.

Quant aux effets sur le plan politique, ils sont bien pires et l’échiquier politique n’en sortira pas indemne…

Dans cette crise, gouvernement, parlement, syndicats, toutes les structures traditionnelles de représentation et/ou d’encadrement des citoyens, apparaissent -au mieux- comme inutiles et -au pire- comme éléments aggravants.  

Le problème qui se pose aujourd’hui est aussi simple à formuler que difficile à résoudre: que faire pour sortir de cette impasse ?

Jusqu’à présent, ni les marques ciblées, ni les décideurs politiques n’ont trouvé de proposition de sortie de crise qui ait une chance d’être entendue par les boycotteurs.

Pourquoi ?

Y en a-t-il une ?

Analyse.

Commençons par admettre la 1ère erreur commise par quasiment tous les observateurs. C’est une erreur d’évaluation. Personne n’a imaginé, au moment où elle est apparue sur les réseaux sociaux, que cette campagne de boycott pourrait avoir la moindre importance ; et encore moins atteindre une telle ampleur, au point qu’elle se pose en cas d’école, au niveau national et même international.

Les appels au boycott, le monde entier en connaît à longueur d’année. Et ce n’est pas la 1ère fois qu’on en voyait un au Maroc. Combien de fois n’a-t-on vu circuler sur la toile ces appels à boycotter des sociétés ou des produits de marques accusées de financer et soutenir Israël contre les Palestiniens… Ou encore ces produits  supposés (y compris les bonbons) contenir de la graisse de porc… Ces listes ont circulé sur les réseaux sociaux, oui, mais sans jamais d’effet réel !

C’est sans doute la raison pour laquelle les 1ères réactions de ministres et de responsables des marques ciblées par le boycott ont consisté en un désastreux mélange d’assurance (voire d’arrogance) et d’agressivité (Mdawekh, traîtres…).

Mais alors, pourquoi un tel succès pour cet appel au boycott des trois marques ? Pourquoi ce qui n’a pas marché pour deux causes aussi importantes que la Palestine et la religion (le porc est interdit aux musulmans), a si bien réussi pour trois enseignes qui, à 1ère vue, n’avaient rien d’extraordinairement mobilisateur ?

Toute la différence est dans l’adhésion populaire.

Pourquoi cette adhésion massive ? C’est ce qu’il faut comprendre avant toute recherche de solution.

Les raisons profondes du succès du boycott

Les raisons du succès de la campagne de boycott qui va bientôt boucler son 2ème mois, sont plus profondes et complexes qu’il n’y paraît. Pour en dresser une liste, il suffit de lire, de voir et d’écouter tout ce qu’ont écrit, diffusé et déclaré les boycotteurs (pas seulement les «meneurs» des réseaux sociaux, mais aussi et surtout les citoyens)…

On y trouve les causes socio-économiques et les causes politiques, exprimées crûment et sans précaution de langage…

Pour ce qui est des causes socio-économiques, est d’abord pointée la cherté de la vie qui exerce une trop grande pression sur les petites bourses. Puis, la faiblesse du pouvoir d’achat dont se plaignent désormais même ceux qui étaient considérés comme étant à l’abri de la précarité (fonctionnaires, cadres moyens…). Les inégalités sociales, de plus en plus criantes et que les boycotteurs n’hésitent plus à dénoncer, pointant ceux qu’ils estiment en être responsables, en termes virulents. La panne, voire l’inexistence, de l’ascenseur social qui aurait pu donner un espoir de mobilité sociale. L’inadéquation entre ce que produit le système éducatif (dont l’échec est aujourd’hui notoire) et le marché du travail. D’où le chômage des jeunes qui, à l’aube de leur vie, n’ont ni perspective de réussite, ni visibilité sur leur devenir.

Certes, tout ceci est archi-connu et atteste du fait que le modèle de développement actuel a atteint ses limites, comme l’a diagnostiqué le Souverain lui-même lors de l’ouverture du Parlement, en octobre 2017. Mais ce n’est pas tout. Car, à cela s’ajoutent les causes politiques.

Le fil qui sépare les causes socio-économiques de celles politiques est bien évidemment ténu. Une société qui réalise qu’elle s’enlise dans une situation d’immobilisme, ou pire, dans une situation qui va en se dégradant, tourne naturellement les yeux vers ceux qui sont censés gérer la situation au mieux de ses intérêts. Gouvernement, parlement, partis politiques, syndicats… Or, le boycott a mis à nu la défiance totale à l’égard de ces institutions.

Cette défiance n’est pas née avec le boycott, mais les maladresses, les tergiversations et/ou l’inaction, l’ont considérablement aggravée.

Le ressentiment est aujourd’hui profond. Il n’est pas question de colère passagère ou conjoncturelle, mais de véritable défiance.

Une défiance qu’accompagnent 2 éléments nouveaux.

En 1er lieu, les citoyens ont découvert que les réseaux sociaux, qui avaient déjà l’avantage de permettre une liberté d’expression illimitée et une audience planétaire, pouvaient aussi permettre, non seulement une mobilisation, mais un pouvoir d’action collectif dont l’efficacité a étonné jusqu’aux initiateurs du boycott.

Ensuite, les citoyens ont découvert que le boycott organisé via les réseaux sociaux, au contraire des manifestations de rue, ne pouvait être réprimé, ni sur les réseaux sociaux, ni sur le terrain. Les pouvoirs publics ne peuvent pas interpeller un citoyen pour refus d’acheter telle ou telle marque.   

D’où, d’une part, le désarroi de la classe politique qui ne sait plus quoi faire. Et, d’autre part, la poursuite implacable du boycott par tous ceux qui y adhèrent.

Quelles pistes pour une sortie  de crise ?

Tout ce qui a été tenté ou proposé pour une sortie de crise a été souverainement ignoré par les boycotteurs. Tentatives d’explication des prix par les marques ? Vaines ! Campagnes promotionnelles et offre de gratuités ? Inefficaces ! Appels répétés (bien que tardifs) du chef de gouvernement à mettre fin au boycott ? Inopérants ! Organisation de contre-campagnes (Mouhafidounes, voir suite du dossier) et de manifestations d’agriculteurs ? Sans effet notable !

C’est que la classe politique n’a pas bien évalué la profondeur du malaise social.

Dans ses rangs, les uns se sont contentés de dénoncer une manipulation politique, des règlements de compte et autre instrumentalisation politicienne. Les autres, trop heureux de cette aubaine qui est venue «casser» leurs concurrents politiques (D’abord Aziz Akhannouch et son parti, puis le gouvernement de Saad-Eddine El Othmani…), se sont confinés dans une posture d’attentisme secrètement jubilatoire.

Il y a, sans aucun doute, une part de vérité dans toutes les accusations avancées, mais l’erreur a consisté à se focaliser sur les initiateurs, en oubliant le plus gros des troupes, ces citoyens qui ont massivement adhéré à la campagne de boycott et ont fait son succès.

Or, ce sont eux qu’il faut prendre en compte. C’est sur leurs motivations et leurs attentes qu’il faut se pencher. Et il faut se poser les bonnes questions. Car, il n’a certainement échappé à personne que les boycotteurs sont en grande majorité des urbains, dont beaucoup ne sont pas issus de la classe défavorisée. Leur discours sur la répartition des richesses, le mix du pouvoir et de l’argent, les droits du peuple… devrait être écouté avec attention.

Des pistes de sortie de crise sont évoquées, ici ou là…

Les uns, établissant une comparaison avec ce qui se passe en Jordanie, appellent à un renvoi du gouvernement El Othmani, comme a fait dans son pays le Roi Abdallah… Sauf que la destitution du gouvernement jordanien n’a pas donné de résultats, les syndicalistes y ayant réagi en répondant que ce qu’ils réclamaient ce n’était pas un changement de personnes, mais un changement de méthodes.

Le gouvernement connaîtra inévitablement un changement… Ne serait-ce que le remplacement du ministre des Affaires générales, Lahcen Daoudi, qui a démissionné, suite à la polémique qu’a soulevé son soutien à Centrale Danone (allant jusqu’à sa présence dans une manifestation d’employés de cette entreprise demandant l’arrêt du boycott).

D’autres suggèrent des élections anticipées. Option qui ne semble pas envisageable. Coûteuse en temps et en moyens, elle se heurte surtout au problème de la défiance actuelle des citoyens à l’égard des partis politiques. Lesquels de ces partis composeraient une majorité qui aurait une popularité à même de permettre de tourner la page ? La carte Istiqlal est sur toutes les lèvres, depuis que Nizar Baraka a apaisé le parti en en prenant la tête. Mais cette seule carte ne suffirait pas. L’opération serait d’autant plus risquée que les boycotteurs ont également suggéré d’utiliser l’arme du boycott à l’occasion des élections…

D’un point de vue objectif et suivant la simple logique, ce qui calmerait les esprits, en toute urgence, ce serait des mesures concrètes que le citoyen voit se répercuter sur son porte-monnaie. Une baisse des prix qui peut être immédiatement obtenue si la question des intermédiaires est prise à bras le corps (c’est le problème soulevé par le prix du poisson et des fruits et légumes). Des décisions immédiates et effectives pour organiser la concurrence et/ou plafonner les prix des carburants. Ce qui serait également bien accueilli, ce serait un signal fort qui consisterait, pour l’Etat, à annoncer un effort financier pour relancer l’économie.   

Dans cette recherche de sortie de crise, de nombreuses voix ont enfin exprimé le souhait de voir SM le Roi intervenir.  

Le Souverain suit, très certainement, pas à pas, cette affaire de boycott. Mais il ne faut pas attendre du Roi qu’il entre en scène, dans une telle situation de chaos, avec juste des réprimandes et des promesses… Si une intervention royale n’a pas encore eu lieu, cela ne peut avoir qu’une seule signification: une solution d’ensemble n’a pas encore été bouclée…

Bahia Amrani

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