Dans la province d’El Hajeb, connue pour ses nombreuses sources d’eau, le phénomène serait dramatique. De nombreuses sources d’eau dans les alentours – et même au centre- de la ville connaissent un assèchement ou une diminution d’eau. Le phénomène intrigue beaucoup. Enquête.
«Je ne sais pas si c’est le manque de précipitations ou le réchauffement climatique. Mais je dois dire que c’est intriguant. Il n’y a plus d’eau qui coule de cette source», soulignent des sources locales, au sujet de Ain Dhiba.
L’étrange assèchement de cette source semble avoir commencé depuis maintenant près de neuf ans, selon les mêmes sources.
Il intriguait beaucoup les riverains, mais aussi les visiteurs du parc Ain Dhiba qui se sont également aperçus de ce phénomène mystérieux.
A cette heure-ci (15 heures), le parc devait être plein de gens, dit à Le Reporter un associatif qui nous a accompagnés dans notre visite à ce parc.
«Toutes les familles à revenus limités et qui ne trouvent pas un autre endroit où aller venaient ici pour profiter de cet espace de détente et de loisir. Et pas seulement, les gens viennent aussi de l’extérieur de la ville. Le parc attirait également des touristes», précise-t-il. Mais, poursuit-il, la fréquentation de ce lieu est très faible aujourd’hui.
Vendredi 19 septembre 2025, le Reporter s’y est rendu vers 15 heures. Ce parc, qui avait fait l’objet d’un aménagement et d’une réhabilitation dont la première phase a été inaugurée en avril 2022, était vide de visiteurs.
Des sentiers de promenade, un espace enfants, des parkings et des sanitaires, mais l’eau ne coule plus de la source d’Ain Dhiba comme dans le passé, se désole notre accompagnateur associatif.
Ain Dhiba était l’une des sources d’eau les plus célèbres et les plus importantes à El Hajeb. En 2016, l’eau était encore abondante. Mais depuis le début de l’aménagement du parc, l’eau de la source commençait à diminuer, selon des riverains, pour qui l’énigme «n’est pas totalement résolue ».
Les habitants attendent de voir si elle va revenir après les prochaines pluies, lance un habitant d’El Hajeb, soulignant au passage que la source Ain Dhiba alimentait à l’époque le réseau d’eau potable de la ville. Ce que nous a confirmé une source à l’Office national de l’eau potable (ONEP).
«L’eau coulait abondamment de cette source jusqu’à ces dernières années. Voir aujourd’hui cet arrêt de cette façon dramatique, cela veut dire qu’il y a d’autres raisons. Il y a peut être utilisation en aval de l’eau d’Ain Dhiba. Et c’est ce qui a fait que les choses en arrivent là», commente la même source.
Ain Dhiba ne fait pas l’exception. Des signaux d’alerte sur ce phénomène d’assèchement de certaines sources d’eau dans la région d’El Hajeb ont été émis depuis plus de vingt ans déjà. L’eau que ces sources fournissaient était utilisée pour la consommation, mais aussi pour l’irrigation des terres agricoles des petits cultivateurs de la région.
D’après notre enquête, des associatifs et des chercheurs avaient déjà tiré la sonnette d’alarme sur le problème. A l’ONEP, on confie que ce problème a commencé à être constaté depuis le début des années 2000. «Ça ne concerne pas seulement Ain Dhiba. Il y a aussi plusieurs autres sources d’eau -et elles sont nombreuses- éparpillées dans les alentours de la ville qui connaissent également ce problème d’assèchement ou de diminution d’eau», affirme à Le Reporter notre source à l’ONEP à El Hajeb.
Aménagement des ressources d’eau, détournement des eaux souterraines, les explications.
«Que l’eau s’arrête de couler dans certaines sources d’eau, ce n’est pas normal. Il n’y a pas de raisons que ça s’arrête, même si de nos jours il y a la hausse de température et la sécheresse qui peuvent aussi expliquer à 25% ce phénomène d’assèchement», dit encore notre source à l’ONEP, qui a requis l’anonymat. Mais, poursuit-elle, ces raisons ne peuvent pas expliquer à elles- seules l’assèchement de la source d’Ain Dhiba et des autres sources qui ont fait la renommée d’El Hajeb, depuis plusieurs décennies.
Quelles sont alors les autres explications de l’assèchement de ces sources-là? Certaines voix croient que les aménagements ayant été faits au niveau de ces cours d’eau seraient l’une des raisons ayant causé la fuite de l’eau.
Le président de l’Association DIR d’irrigation d’El Hajeb, Abdesslam Ouhajjou se veut ferme. «Ces aménagements ont été faits sans avoir pris en considération la situation géologique des sources en question, et sans même avoir fait une étude géophysique pour préparer le terrain à cet aménagement», critique le président de l’Association DIR d’irrigation El Hajeb, Abdesslam Ouhajjou.
«Le parc d’Ain Dhiba, pour ne citer que cette source, a été aménagé dans le but de construire un espace de loisir pour la population locale et les visiteurs, mais on n’a pas pensé à la pérennité de la source Ain Dhiba», explique le président. L’Association, poursuit-il, «avait attiré l’attention des responsables sur le fait que ce parc allait épuiser les eaux superficielles». Et de poursuivre: «Le parc a été construit sur une superficie très importante, avec des aménagements nécessitant beaucoup d’eau pour l’irrigation du jardin, du gazon, du parc, etc.».
Au départ, dit-il, cette eau venait de l’eau de la source. Par la suite, on a réalisé des fourrages pour pouvoir irriguer le parc, précise le président. Selon lui, les fourrages auraient eu un impact négatif sur la source Ain Dhiba, laquelle a disparu à cause des aménagements ayant été réalisés au niveau de cette source d’eau, considéré comme l’une des sources les plus célèbres d’El Hajeb.
Mais Abdesslam Ouahajjou, également chercheur, croit aussi à un détournement de la nappe phréatique. Selon lui, les nombreux fourrages qui sont réalisés dans la région peuvent aussi expliquer l’assèchement des autres sources d’eau touchées par ce problème. Il déclare au passage que son association avait déjà interpellé les autorités sur le problème. «En 2008, nous avons adressé une lettre au gouverneur d’El Hajeb, dans laquelle nous avions alerté sur cette surexploitation de la nappe» dit-il. Le Reporter détient copie de cette lettre.
Des puits à 900 mètres de profondeur !
A la section locale de l’AMDH à Meknès, on ne mâche pas ses mots. Son président, Omar Rachidi n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, la fuite serait énorme. «Le phénomène est dramatique. La surexploitation des ressources hydriques à El Hajeb est sans précédent. Un jour viendra où les populations locales ne trouveront plus rien à boire si on continue à ce rythme très accéléré de réalisation de fourrages», se désole Rachidi.
Il indique que l’association avait alerté les autorités sur ce phénomène catastrophique, depuis plusieurs années. Mais, poursuit-il, rien n’a changé. Pourtant, insiste-t-il, «Ces fourrages menacent énormément les eaux souterraines. Il y en a beaucoup dans la zone située entre El Hajeb et Ifrane», affirme le président Rachidi.
Impact direct du phénomène, accentué par la sécheresse : Le débit des sources que compte la région a beaucoup faibli à cause de cette exploitation excessive des eaux de la nappe phréatique.
A l’ONEP, on a également constaté la diminution du débit d’eau potable. Ce que nous a confirmé notre source à l’ONEP. «Cela nous a poussé à faire de nouveaux fourrages pour augmenter le débit de la consommation de l’eau potable à El Hajeb», selon la même source.
Qui exploite ces fourrages? Où va toute cette eau puisée dans les eaux souterraines? L’associatif Omar Rachidi pointe de grands exploitants agricoles, venus exercer leur activité dans la région, après qu’ils aient surexploité les ressources de Souss. Selon notre interlocuteur, la crise a été ressentie surtout, depuis l’arrivée dans la région de ces nouveaux investisseurs dans l’agriculture, précise-t-il. Ces producteurs agricoles exercent leur activité dans la zone située entre El Hajeb et Ifrane.
«Des subventions sont accordées à ces producteurs sans tenir compte de l’impact sur l’environnement et les ressources hydriques. Ils cultivent des produits à grande utilisation de l’eau, et creusent de grands puits, jusqu’à 900 mètres de profondeur. Ils utilisent de gros moyens et sans respect des normes requises pour la réalisation des fourrages. C’est ce qui a d’ailleurs causé l’assèchement de plusieurs sources d’eau et de puits artisanaux», explique la même source, soulignant que l’association avait établi, il y a quelques années, un rapport sur cette surexploitation d’eau à El Hajeb et Azrou.
Les projets de ces exploitants sont également décriés par les riverains et les petits cultivateurs qui voient d’un mauvais œil l’activité de ces gros producteurs agricoles. « Les puits traditionnels, que nous utilisons dans notre culture vivrière et dans l’abreuvage de nos bêtes, sont épuisés à cause des pratiques de ces investisseurs agricoles et des fourrages qu’ils réalisent dans la zone», se désole un petit cultivateur dans la commune de Bouderbala relevant de la province d’El Hajeb. Un illogisme pour ce petit cultivateur alors que l’eau devient une denrée rare.
A qui incombe la responsabilité de cette surexploitation de l’eau par ces producteurs agricoles? Comment ces derniers arrivent-ils à obtenir l’autorisation pour creuser de grands puits ne respectant pas la loi? Pourquoi n’a-t-on pas activé la procédure de fermeture du puits en question? Qu’en est-il des contrôles sur ces exploitations? Des rondes sont-elles effectuées par la police de l’eau pour surveiller ces exploitations, etc. La situation soulève en tout cas bon nombre de questions dans une région qui semble attirer de plus en plus d’investisseurs dans le domaine de l’agriculture.
Des pesticides dans les eaux souterraines d’El Hajeb ?
Du nitrate pourrait être trouvé dans les sources d’eau et les nappes phréatiques d’El Hajeb! Les agriculteurs utilisent beaucoup de pesticides pour améliorer leur production, selon des sources associatives et des chercheurs. C’est ce qui aurait conduit à la pollution des eaux souterraines de cette région, selon les dires de nos sources à El Hajeb.
Le président de l’Association DIR d’irrigation d’El Hajeb, Abdesslam Ouhajjou tient à souligner que des scientifiques avaient réalisé des études sur la qualité des eaux souterraines à El Hajeb. Leurs analyses avaient révélé «des teneurs élevées à très élevées en nitrate», dit-il.
Dans un entretien téléphonique, le chercheur Hassan Tareq a déclaré à Le Reporter avoir fait des analyses en 2023 dans le cadre de sa thèse de doctorat. Ces analyses, dit-il, concernent trois sources d’eau, dont Ain Khadem. Elles ont dévoilé la présence du nitrate dans la source d’Ain Khadem (48mg/l). Ce qui reste un taux élevé, selon ce chercheur.
Mais nos sources assurent que jusqu’ici, les responsables de cette ville semblent ne pas s’inquiéter de cette problématique de l’utilisation abusive des produits chimiques. Même si des sources au Conseil de la ville d’El Hajeb déclarent à Le Reporter que des analyses ont été effectuées il y a vingt jours par le bassin hydraulique de Sebou sur la qualité de la nappe phréatique. «Le bassin s’est engagé là-dessus lors de la réunion élargie qui a été tenue à la préfecture, jeudi 18 septembre», explique cette même source. A l’heure où nous mettions sous presse, les résultats de ces analyses n’étaient pas encore annoncés.
Mais à l’ONEP, une source autorisée confie que certaines sources seraient contaminées. Elle affirme que les premières analyses, effectuées par l’Office en 2007, avaient démontré une pollution de l’eau de la source d’Ain Dhiba. «Nous avons fait des analyses. Elles ont révélé la présence des traces de nitrate et des traces bactériennes», affirme la même source.
Notre interlocuteur ajoute que depuis cette date, l’Office a arrêté d’utiliser l’eau d’Ain Dhiba pour produire de l’eau potable. Les agents de l’ONEP avaient installé sur place un panneau interdisant la consommation de l’eau de cette source.
Sur le chemin d’Ifrane…
Dans la zone située entre la ville d’El Hajeb et Ifrane, la situation serait alarmante. De nombreux fourrages y ont été réalisés au profit des propriétaires de grandes fermes agricoles qui ont été créées par de gros investisseurs, dont notamment des étrangers venus de l’Europe et d’Argentine, selon des sources bien informées.
Cette zone était destinée uniquement à l’activité de pâturage, mais aujourd’hui elle est essentiellement agricole, a-t-on souligné.
La richesse de la zone en ressources hydriques et les rendements en termes de production des pommiers, d’oignons, ou encore de pommes de terre attire des investisseurs. La région abrite, chaque année depuis une dizaine d’années, le Festival national des oignons d’El Hajeb qui se veut un rendez-vous incontournable pour les professionnels du secteur et les agriculteurs, venus des différentes régions du pays pour échanger autour des diverses thématiques de la filière oignon.
Mais l’activité attire aussi des ouvriers saisonniers en quête d’un travail dans l’une de ces fermes agricoles créées à quelques kilomètres du centre de la ville d’El Hajeb, en direction d’Ifrane.
Il faut dire que pour les oignons par exemple, ces ouvriers sont très demandés pendant la saison de cueillette des oignons. Certaines saisons, la demande pour la main d’œuvre est tellement forte qu’un ouvrier saisonnier peut toucher jusqu’à 200 DH par jour. Il s’agit d’une culture à haute valeur ajoutée, permettant une marge bénéficiaire assez importante par rapport aux autres cultures.
A l’instar des autres cultures maraichères, l’oignon bénéficie de subventions et aides de l’État dans le cadre du Fonds de développement agricole (FDA) qui porte sur l’aménagement des exploitations agricoles et l’équipement en matériel et en système d’irrigation localisé, selon le département de l’agriculture. La répartition par région fait ressortir que Fès-Meknès est le principal producteur de l’oignon avec environ 11 600 Ha soit 41 % de la superficie totale nationale (27.073 ha), générant ainsi une production de près de 454.600 T soit 62% de la production nationale (737.090 T, indique la même source.
Enquête réalisée par Naima Cherii