L’enquête judiciaire en cours va-t-elle balayer la thèse du suicide de l’enfant-berger d’Aghbalou, Mohamed Bouislikhen? Où en sont les investigations, un mois après que le corps du petit Mohamed a été retrouvé pendu dans des circonstances pour le moins troublantes?
Dramatique mais insolite, le petit berger d’Aghbalou, Mohamed Bouislikhen, qui mobilise aujourd’hui toutes les foules, a été retrouvé le 16 juin 2025 pendu, mais à genoux! Peut-on se suicider par pendaison, à genoux, la corde traînant par terre ? L’affaire continue de susciter la colère de la population locale et de plusieurs ONG, qui ne croient pas au suicide de Mohamed. Elles jugent la thèse du suicide invraisemblable, au regard des éléments trouvés sur place.
Les objets découverts sur les lieux où le berger mineur a été découvert sans vie, une corde et des morceaux de bois, laisse croire à une mise en scène ayant pour but de maquiller un éventuel crime.
Des associatifs tentent de comprendre les raisons de cet horrible geste. Qui pouvait en vouloir au petit Mohamed au point de le tuer aussi sauvagement et d’orchestrer cette mise en scène laissant croire à un suicide? Ce mercredi 15 juillet, le jour du souk hebdomadaire, quatre sections de l’AMDH ont organisé une caravane d’associatifs vers Aghbalou. Objectif : toucher un plus grand nombre possible d’habitants, en particulier ceux du douar d’Ait Zaarour, pour prendre le pouls des habitants, et surtout écouter la voix des personnes qui avaient peur de divulguer certaines informations sur cette affaire, déclare à Le Reporter Kabir Kacha, membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) section Khénifra.
Ce qui est arrivé au petit Mohamed a provoqué un ébranlement profond chez les populations locales. Choqués et révoltés, plusieurs habitants demandent des réponses claires et exigent que la vérité soit révélée. Ils l’ont d’ailleurs crié haut et fort lors du rassemblement tenu mercredi 15 juillet au centre d’Aghbalou.
En ce jour de souk hebdomadaire, une foule nombreuse d’habitants de cette commune ont assisté à ce rassemblement. Un état de tristesse et de colère imprégnait le lieu et la scène incarnait l’ampleur de la tragédie qui a secoué la région. «Il est impensable qu’un enfant mette fin à sa vie de cette façon, avec des moyens aussi rudimentaires. Et en plus il est pendu à genoux», lance un villageois.
Ce même mercredi, des membres de l’AMDH, accompagnés de la famille Bouislikhen, se sont également rendus sur les lieux, où le petit Mohamed a été retrouvé sans vie, pour inspecter «la scène du crime». Sur place, l’associatif Kabir Kacha prenait la parole, non sans exacerbation. «Chez nous, les potences sont plus courtes que la taille des victimes, et pourtant elles conduisent à leur mort! La corde n’est pas du tout enroulée autour du cou du petit Mohamed… Il faudrait manger de la craie ou du trèfle pour croire à cette histoire de suicide », dit-il. C’est pourquoi, poursuit-il, «nous allons continuer d’insister sur le caractère criminel de l’incident».
Notre interlocuteur condamne également toute forme de négligence éventuelle dans cette affaire. «Non seulement nous demandons que la vérité soit révélée sur le meurtre du petit Mohamed. Mais nous exigeons que l’enquête soit élargie à toutes les personnes qui sont impliquées dans ce crime odieux et qu’elles soient poursuivies et jugées», dit-il. Il explique au passage que certaines personnes ont rencontré Ali Bouislikhen, le cousin de la victime, et ont tenté de le convaincre que la mort de Mohamed est due au destin. Pourquoi?, s’interroge K.Kacha. Selon lui, l’AMDH fera de cette affaire une priorité absolue jusqu’à ce que la vérité sur ce crime odieux soit révélée. Il fait savoir au passage que les militants de l’association, continuent de se concerter sur de nouvelles étapes de lutte en fonction de l’évolution du dossier et de son devenir.

Ce que dit le cousin de Mohamed à Le Reporter
Piste criminelle, règlement de comptes, ou acte de représailles déguisé en suicide? L’enquête prendra-t-elle un nouveau virage, alors qu’au départ l’affaire semblait s’orienter vers un suicide? Les investigations en cours vont-elles balayer la thèse du suicide de l’enfant-berger? Où en est l’enquête, un mois après que le corps du petit berger Mohamed Bouislikhen a été retrouvé pendu dans des circonstances pour le moins troublantes lundi 16 juin près d’un puits dans une zone montagneuse de douar Ait Zaarour, relevant de la commune d’Aghbalou N’Serdann (province de Midelt)?
Toutes ces questions et autres restent posées dans cette région du moyen Atlas où la colère gronde toujours depuis la mort énigmatique du petit Mohamed, 15 ans.
Pour la famille Bouislikhen, le décès de Mohamadinou, comme aime l’appeler sa mère, Touda, se révélait, dès le début, être un meurtre. La quête de la famille prendra d’ailleurs toute une autre tournure. Soutenue par l’Amdh, elle a organisé un sit-in mercredi 9 juillet devant le siège du ministère public pour demander justice.
Si l’enquête n’est pas réalisée aussi rapidement comme c’est le cas dans des cas similaires, la famille envisage de tenir un nouveau sit-in devant la Cour d’appel Er-Rachidia, indique-t-on à l’AMDH section Khenifra, laquelle tiendra prochainement une conférence de presse pour tenir l’opinion publique informée de l’actualité de ce dossier.
Contacté par Le Reporter, le cousin de Mohamed, Ali Bouislikhen, qui est le représentant de la famille, accepte de nous parler. Cherchant ses mots, il finit par se lancer dans le récit de la mort de son cousin. Le meurtrier doit être puni pour son acte horrible, dit-il.
«On veut faire croire que mon cousin s’est suicidé. D’ailleurs, certains ont même essayé de m’en convaincre qu’il s’agit bien d’un suicide, me disant que le décès de Mohamed est dû au destin. Mais ce n’est pas vrai. Mon cousin n’était pas malade et ne souffrait pas de troubles mentaux. Il ne suivait aucun traitement médical», dit-il, fermement. Il confie que la famille ne compte pas renoncer à son combat pour faire éclater la vérité. «Nous avons besoin de savoir la vérité». «Nous ne pouvons pas vivre sans réponse. Nous demandons que tous les moyens de la justice soient déployés pour savoir ce qui est arrivé à Mohamed», dit-t-il à Le Reporter, non sans chagrin.
Plusieurs ONG écartent également la thèse du suicide. Dans ce sens, l’AMDH a déposé une requête auprès du Procureur général, appelant à lancer une enquête urgente et approfondie pour déterminer les circonstances exactes de la mort tragique du petit Mohamed.
Dans son courrier, dont Le Reporter détient copie, l’association qualifie la situation dans laquelle le corps a été trouvé sans vie de «suspecte et dont l’aspect laisse penser qu’il s’agit d’un suicide», précisant que le petit Mohamed ne souffrait d’aucun problème psychologique, de santé ou familiale, selon sa famille et d’autres sources concordantes.
Toujours selon l’association, «plusieurs indices mènent à suspecter un meurtre, plutôt qu’un suicide, notamment la présence de traces de violence physique sur le visage de l’enfant, la position de la corde et son mode d’arrimage qui ne sont pas compatibles avec des cas de suicide».
Par ailleurs, des sources concordantes avancent que certaines personnes à la Préfecture de la province de Midelt ont tenté d’orienter certains journalistes dans leurs articles sur l’affaire de l’enfant-berger. Nos sources soulignent que sur le groupe Watsup dédié aux journalistes couvrant la gestion locale dans cette province, l’information fournie insistait déjà au départ sur la thèse du suicide de Mohamed alors même qu’aucune enquête n’a encore été ouverte. Etrange, disent nos sources.
Des preuves potentielles seraient-elles perdues ?
Où en sont les investigations? Pour l’heure, aucun communiqué officiel n’a encore été diffusé sur ce drame qui émeut le monde. Mais les résultats de l’autopsie ont déjà été remis à la justice, selon le cousin du défunt, Ali qui en a été informé mercredi 9 juillet au ministère public, après un sit-in tenu par la famille devant le siège de cette instance.
Les investigations de la police scientifique seraient toujours en cours. Son rapport d’expertise médico-légal sera prêt incessamment, souffle une source proche de ce dossier.
Pour la famille, la mort de Mohamed était suspecte et la manière dont la victime a été découverte et la rapidité avec laquelle le corps a été enterré pourraient indiquer une tentative de dissimulation de preuves.
La police scientifique n’a pas été appelée sur les lieux immédiatement pour l’examen de la scène de crimes et de la corde utilisée pour «la pendaison étrange», alors que son intervention était essentielle, critiquent des associatifs.
Ces derniers s’interrogent sur les raisons qui ont fait que les premiers intervenants qui se sont déplacés sur les lieux n’ont pas alerté la police sur les aspects troublants de l’incident pour empêcher toute altération des preuves potentielles.
Au lieu de cela, on a considéré que l’enfant s’est suicidé! Plus encore, confie-t-on, la date de la mort de Mohamed a été changée et son enterrement a eu lieu deux jours seulement après l’incident. Pourquoi?, s’interroge-on encore. Pourtant, tout cela pourrait empêcher d’établir la vérité sur les circonstances de la mort de Mohamed, déplorent nos sources.
Des preuves potentielles seraient-elles alors perdues alors que la police scientifique n’est intervenue que 25 jours après la tragédie. Le représentant de la famille Bouislikhen, Ali a affirmé à Le Reporter que les éléments de la police scientifique se sont rendus vendredi 11 juillet à Boumia pour entendre les parents du défunt. Ils ont également entendu le propriétaire de l’exploitation ayant été pointé par la famille ainsi que deux ouvriers dans l’exploitation.
L’objectif, c’est aussi de rechercher et prélever les indices, traces, empreintes, etc., sur la scène de crime, y compris la corde qui était autour du cou de Mohamed. Cette corde a été confiée à un expert médico-légal spécialisé en tissus cellulaires. Les résultats de ces investigations ne sont pas encore remis à la justice, selon la famille du défunt.
On apprend également que la police scientifique a effectué des prélèvements de salive des parents du petit berger dont la mort énigmatique a fait la UNE de médias nationaux et étrangers.

La famille «Bouislikhen» privilégie la piste criminelle
Lundi 16 juin 2025 est une date qui restera marquée au fer rouge dans la famille du petit Mohamed. A Ait Zaarour, ce lundi 16 juin, aux environs de 18 heures, la famille Bouislikhen s’est inquiétée de l’arrivée des bêtes sans Mohamed. S’en suivra une heure de recherches et de fouille. Finalement, la famille va retrouver son corps sans vie.
Alors que l’affaire semblait s’orienter vers un suicide, la piste criminelle a dés le départ été privilégiée par la famille du défunt. La mère de Mohamed, Touda, était persuadée que son enfant a été tué et qu’il ne s’est pas suicidé.
Ses soupçons se portent sur un propriétaire d’une exploitation agricole, très influent à Aghbalou. Les bêtes du berger mineur auraient été vues, quelques jours avant le drame, en train de brouter dans une exploitation agricole, appartenant à ce même producteur, selon des rumeurs insistantes.
Furieux et très remonté, ce lundi 16 juin, vers le coup de 13 heures, le propriétaire de ladite exploitation est venu se plaindre à la mère Touda, allant même jusqu’à la menacer elle et son petit Mohamed.
Pour atténuer la situation, Touda a proposé de l’indemniser. «Mais il est parti en lui disant qu’il allait porter une plainte contre elle chez le Caïd. Le jour même Mohamed sera retrouvé sans vie!», raconte Ali Bouislikhen.
L’hypothèse d’un acte de représailles dissimulé en suicide, commence alors à faire son chemin dans l’esprit de nombreux habitants, qui ont du mal à croire qu’un enfant, ait pu mettre fin à ses jours de manière aussi théâtrale.
Exploitation, précarité, exclusion,…
La précarité a poussé la famille Bouislikhen à quitter Azilal, il y a quatre ans, et venir s’installer dans le village d’Ait Zaarour, dans la commune d’Aghbalou.
Mohamed, dont le père est malade, avait quitté l’école pour prendre la tâche de nourrir sa famille. Alors qu’il devait être sur les bancs de l’école, s’épanouissant avec ses compagnons de classes, Mohamed conduisait ses bêtes dans les plaines, les montagnes et les chemins difficiles, hiver comme été, endurant la chaleur et la pluie, du matin au coucher de soleil. Il conduisait son troupeau pour le compte d’un éleveur. Il devait rester attentif pour que ses bêtes ne s’égarent pas ou qu’elles n’aillent pas brouter dans un pâturage privé.
Dans cette zone, cernée de montagnes, le quotidien des habitants est défini par la pauvreté, regrette Kabir Kacha, originaire de cette région et militant associatif. Il pointe du doigt la précarité des enfants dans cette commune rurale, ainsi que l’exclusion et l’isolement auxquels font face les enfants-bergers, en l’absence de toute protection sociale.
Notre interlocuteur considère que «le drame d’Aghbalou n’est pas seulement une tragédie familiale, mais une alerte qui impose des mesures urgentes en faveur de cette enfance rurale. «Il faut l’intervention de tout les responsables pour préserver ce qui reste de la dignité du droit fondamental à la vie».
Tous les enfants sont aussi bergers dans cette zone. Beaucoup de familles de ces zones rurales, vivent de cette activité. Mais beaucoup d’enfants travaillent aussi dans des exploitations agricoles pour la cueillette de pommes, de prunes, de pommes de terre ou encore de carottes.
«Ces exploitants exploitent les enfants. Ces derniers travaillent comme des domestiques. Les bergers d’entre eux, qu’on appelle «Raba3a», ne perçoivent pas un salaire mensuel. Ils travaillent en échange d’un quart de troupeau. C’est un scandale. Ce système de production existait depuis 400 ans. Ça ne doit plus exister», déplore le même associatif.
Celui-ci évoque à l’occasion un autre problème : Les cours d’eau et les puits traditionnels ont été taris par ces exploitations agricoles qui tuent les nappes phréatiques d’Aghbalou. «Cette localité était très riche en eau. Mais maintenant il n’y a plus d’eau à cause de ces exploitants qui investissent dans la culture du pommier, de prunier, de carottes et des pommes de terre. Des milliers d’hectares y ont été cultivés au point qu’il n’y a plus aujourd’hui d’eau dans cette zone. D’ailleurs, actuellement il n’y a qu’une petite culture à Aghbalou», regrette l’associatif Kabir Kacha.
Quel secret le petit berger a-t-il emmené avec lui dans sa mort? On ne le saura peut être jamais. Mais l’enquête judiciaire est toujours en cours et aucun communiqué officiel n’a encore été publié détaillant les résultats de l’enquête initiale. Ce qui augmente encore le mystère entourant les circonstances de la mort du petit berger d’«Aghbalou».
Enquête réalisée par Naîma Cherii