A Tanourdy, une commune faisant partie de la province de Midelt, la situation risque de mettre le feu aux poudres dans les villages où des propriétaires d’exploitations creusent de grands puits dans des points stratégiques, en utilisant des gros moyens, sans qu’ils ne soient inquiétés par les autorités. Enquête.
«Non à l’exploitation des eaux souterraines de Tanourdy». «On fera tout pour défendre l’eau de notre région». «Nous vivons dans une situation très difficile. Nous n’avons plus de l’eau ni pour boire, ni pour abreuver nos animaux, ni pour irriguer nos cultures», déclare à Le Reporter Hmad Yousfi Ait Said Oudaoued, un paysan à Tanourdy. Une commune rurale faisant partie de la province de Midelt (323 km de Rabat).
Ce paysan dit que les habitants de plusieurs douars de cette commune s’élèvent depuis plusieurs mois, contre la surexploitation de l’eau par de grands exploitants agricoles qui tuent les nappes phréatiques de la région, ce qui expose les populations à la soif.
«Ces exploitants puisent l’eau souterraine. Ils ont asséché les cours d’eau», lâche ce villageois, tout en disant «poursuivre tout de même le combat pour défendre l’eau de son village».
La vie devient insupportable car les cours d’eau de notre région s’assèchent de plus en plus, déplore-t-il. Mais, «je ne quitterai pas mon village et je vais continuer cette bataille pour protéger nos ressources hydrauliques», dit-il.
Certains paysans semblent moins résilients. «Mon voisin a abandonné l’agriculture à cause de l’assèchement des cours d’eau», se désole Hmad Yousfi Ait Said Oudaoued.

Surexploitation préoccupante des nappes phréatiques !
«Voir certains habitants laisser leur petit lopin de terre asséché et quitter leur village où leurs ancêtres se sont installés depuis plusieurs décennies fait mal au cœur», regrette Kabir Kacha, originaire de la région et membre de l’AMDH section de Khenifra.
Selon ce dernier, la surexploitation des nappes phréatiques souterraines suscite de vives préoccupations, particulièrement depuis l’arrivée dans la région de nouveaux exploitants agricoles.
«Ces exploitants menacent l’eau des villageois. Car ils cultivent des produits à grande consommation d’eau, causant ainsi le tarissement définitif des puits traditionnels et des cours d’eau dans la région», explique encore cet associatif. Il poursuit, non sans colère, «Pourquoi priver les gens qui habitent ici de leur eau ? On va les obliger à quitter leur village. C’est injuste!».
Selon lui, la crise a été ressentie surtout, depuis une année. Mais ça va encore empirer à l’avenir. Si on ne fait rien, on n’aura plus d’eau pour irriguer les cultures des petits cultivateurs de la région». D’ailleurs, dit-il, les populations, qui ont crié leur colère il y a déjà une année, continuent de s’opposer aux pratiques de ces producteurs, qui utilisent beaucoup d’eau dans leur culture.
Une absurdité pour cet associatif, à l’heure où l’eau devient une denrée rare. Il dénonce l’attitude de ces producteurs «qui mènent cette région vers une catastrophe sociale et environnementale».
Sous les villages de cette région, une réserve naturelle d’eau dort depuis des années. Mais dans des douars comme Ait Ghanem Ichou, Ait Yahya Ouabou ou encore Ait Said Oudaoued, les gens sont désormais durement touchés par la soif, témoignent des sources locales.
Une situation qui risque de mettre le feu aux poudres dans ces villages, où des propriétaires d’exploitations creusent de grands puits dans des points stratégiques, en utilisant des gros moyens, sans qu’ils ne soient inquiétés par les autorités locales, déplorent nos sources à Tanourdy.

Puits et canaux contestés…
Dépendants d’une agriculture quasi vivrière, les habitants de ces villages voient d’un mauvais œil l’activité de ces exploitants.
Il y a une année, les habitants contestaient un puits dans le village d’Ait Said Oudaoued et plusieurs plaintes ont été adressées aux autorités locales et hydrauliques pour exprimer leur position, selon les mêmes sources.
Un exploitant, considéré comme l’un des plus grands producteurs de pommiers, aurait obtenu l’autorisation pour creuser ce puits pour son exploitation. Aucun accord n’aurait été signé avec les représentants de la population locale.
Le projet a été décrié par les villageois qui dénoncent aussi l’utilisation des canaux dont le diamètre avoisine 100 mm, pour faire passer, sur trois kilomètres, l’eau de ce puits à travers les terres des villageois jusqu’à l’exploitation de cet investisseur.
«La population locale utilise des canaux dont le diamètre ne dépasse pas 40 mm. Mais cet exploitant utilise des canaux d’environ 100 mm. C’est ce qui a d’ailleurs causé l’assèchement des trois cours d’eau historiques dans la commune. Les puits traditionnels, que les villageois utilisent dans leurs cultures vivrières et dans l’abreuvage de leurs animaux, étaient également épuisés à cause de ces pratiques», dénonce l’associatif Kabir Kacha. La situation était tellement alarmante que les gens n’avaient plus d’eau et certains d’entre eux voulaient même quitter la région.
Après que les populations aient manifesté leur colère et appelé les autorités locales à fermer le puits critiqué, celles-ci ont finalement activé la procédure de fermeture du puits en question», dit notre interlocuteur, ajoutant que deux semaines après la fermeture du puits, les cours d’eau ont repris leur cours.
Mais les villageois font face à des adversaires très puissants et influents. De nouveaux projets et des travaux sont en cours pour mettre en place de nouveaux canaux dont le diamètre atteigne 100 mm pour faire passer l’eau d’un nouveau puits à une exploitation de pommier. Le propriétaire n’est autre que l’exploitant pointé par les villageois il y a une année.
Ces derniers jours, la tension est de nouveau montée. Dans une plainte adressée à la commune de Tanourdy, dont Le Reporter détient copie, les villageois déplorent les pratiques de cet exploitant ayant causé l’assèchement des cours d’eau et des sources historiques autour desquels les habitants de la région se sont installés, lit-on dans le document.
«Cela a aggravé nos problèmes et nous a privés d’eau pour boire, et pour abreuver notre bétail, qui est désormais exposé au risque de mourir de soif, nous menaçant de déplacement», disent les villageois dans leur plainte.
Au cœur de leur colère figurent notamment deux puits creusés par un des exploitants agricoles, le premier à 250 mètres de profondeur et le second à 140 mètres de profondeur, sans respecter les termes du permis de forage.
Les populations ont prévu d’organiser lundi 7 juillet 2025 une marche vers Midelt pour protester contre la soif et des investisseurs qu’ils accusent d’assécher leurs puits traditionnels et les cours d’eau de plusieurs douars à Tanourdy. Mais cette marche a finalement été annulée après l’intervention des autorités locales, qui ont promis aux habitants de trouver des solutions lors d’une rencontre avec eux, en présence du président de la commune de Tanourdy, selon des sources locales.
La réunion, qui s’est tenue mardi 8 juillet, a été houleuse. Le sujet de la délivrance par le président de la commune de Tanourdy de l’autorisation de mise en place des canaux dont le diamètre avoisine 100 mm a provoqué l’exacerbation des villageois. Le président n’ayant pas cessé de leur confirmer qu’il n’avait délivré aucune autorisation a finalement reconnu, lors de cette réunion avec les autorités, avoir livré cette autorisation à l’exploitant agricole en question.
Dans l’opposition, on se veut ferme. «Le président a donné cette autorisation, alors même qu’il n’a pas consulté les élus. On ne peut pas être pour cette décision et l’utilisation de ces canaux qui vont certainement assécher les nappes phréatiques de notre région. L’exploitant doit utiliser des canaux de 40 mm, comme tous les gens», a déclaré à Le Reporter Ali Mhammedi, un élu de l’opposition à La commune de Tanourdy. Et d’ajouter : «Les gens ne veulent pas organiser des émeutes, ni profiter de la situation pour provoquer des troubles, mais ils ne veulent pas non plus que l’on exploite les nappes phréatiques souterraines de leur région», souligne l’élu.
A l’issue de la réunion de ce mardi 8 juillet, il a été convenu que les puits contestés seraient fermés, sinon l’exploitant agricole doit désormais utiliser des canaux dont le diamètre ne doit pas dépasser les 40 mm. Le producteur en question ne doit plus travailler 24 h/ 24 h et 7j/7j, confie une source ayant été présente à cette rencontre.
De nouveaux projets envisagés…
La richesse de la zone en ressources hydriques et les rendements en termes de production des pommiers, des pommes de terre, d’oignons ou encore de carotte attire des investisseurs. Des centaines de puits illégaux ont été creusés dans la région pour alimenter ces exploitations en eau et autres projets seraient envisagés, souffle une source bien informée.
Les villageois disent que certains exploitants veulent étendre leur activité et tentent sans cesse de convaincre les habitants de céder leurs terres. « Le problème est que des autorisations pour creuser un puits sont souvent octroyées par les autorités compétentes mais le fait est qu’il n’y a pas de contrôle», confie notre source.
Aucun PV n’aurait été établi par les éléments de la police des eaux, confirment des sources locales, faisant état de l’assèchement définitif de puits traditionnels dans certaines zones. Les propriétaires de ces exploitations ont pu creuser des puits en utilisant des gros moyens, sans qu’ils ne soient inquiétés par les autorités locales. Ils ne se contentent pas de creuser un seul puits, mais en réalisent 3 ou 5 dans des fermes qui ne dépassent pas les 4-5 hectares.
La situation est devenue catastrophique dans certains points noirs, notamment pour les villageois d’Aghbalou, non loin de Tanourdy. Dans cette localité, les cours d’eau et les puits traditionnels ont été taris par ces exploitations.
«Cette localité était très riche en eau. Mais maintenant il n’y a plus d’eau à cause de ces exploitants qui viennent y investir dans la culture du pommier et des pommes de terre. Des milliers d’hectares y ont été cultivés au point qu’il n’y a plus aujourd’hui d’eau dans cette zone. D’ailleurs, actuellement il n’y a qu’une petite culture à Aghbalou», dit l’associatif Kabir Kacha.
Celui-ci cite aussi un autre point noir, Ziayda où les eaux souterraines ont également été asséchées par ces exploitants, dont l’un d’entre eux est aujourd’hui allé dans la zone dite «Ait Brahim, relevant également de la commune Tanourdy.
Des sources locales à Tanourdy regrettent l’acharnement de ces projets gourmands en matière de ressources hydraulique dans une région qui fait face à la soif alors qu’elle est considérée comme une énorme réserve d’eau. Elles pointent notamment la multiplication des projets de culture de pommes de terre, des carottes et de pommiers.
Sur place, l’ampleur du désastre est spectaculaire, affirment nos sources. Des centaines de puits illégaux existent dans cette région du moyen Atlas. «Les gens commencent à souffrir de la soif à cause de l’activité des ces investisseurs, dont plusieurs d’entre eux creusent des puits sans autorisation. Il faut agir et très vite», disent-elles.
Le ministère de l’Intérieur est conscient de ce problème. Selon nos sources, une note a été récemment adressée aux agents d’autorités de certaines communes pour recenser tout les puits clandestins. Dans ces communes, des centaines de puits clandestins auraient déjà été recensés, a-t-on appris de sources proches du dossier.
A qui incombe la responsabilité de cette surexploitation des nappes phréatiques souterraines dans la région? Qu’en est-il des contrôles sur ces exploitations? Les éléments de la police de l’eau effectuent-ils des rondes pour surveiller ces exploitations, notamment pendant les nuits et les week-ends?
Cette situation soulève en tout cas des questions dans une région qui attire de plus en plus d’investisseurs dans le domaine de l’agriculture.
Enquête réalisée par Naima Cherii