Entretien avec Chakib Benabdellah, président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA)
Les choses pourraient-elles enfin évoluer pour que le logement social au Maroc soit plus protégé et puisse répondre à la contrainte de la chaleur comme pour le logement de standing? Eléments de réponse dans cet entretien exclusif avec Chakib Benabdellah, président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA).
Nos villes sont-elles prêtes à faire face à la canicule?
Il y a un certain nombre de dispositions qui sont prises par les autorités pour pallier ce phénomène. Déjà, il y a l’information, ce qui est nouveau. Avant les gens n’étaient pas informés. Ils subissaient des changements de températures inattendues. Mais aujourd’hui, l’information est véhiculée par les médias bien à l’avance afin de prévenir les gens pour qu’ils prennent éventuellement les dispositions qu’il faut pour s’abriter, s’approvisionner en eau, s’hydrater, etc. Il y a donc l’information et c’est très important pour la population. Maintenant par rapport aux villes, heureusement qu’on a encore quelques espaces verts qui donnent un peu de fraicheur et ça on le remarque dans beaucoup de villes où la chaleur est insupportable. Les gens profitent de la soirée pour sortir prendre un peu d’oxygène au niveau de ces espaces verts.
Y a-t-il une prise de conscience au Maroc pour la réalisation de constructions qui répondent à la contrainte de la chaleur?
Bien entendu, il y a une prise de conscience. D’ailleurs, il y a des dispositions qui sont prises au niveau des opérations de constructions. Aujourd’hui, quand les architectes font leurs projets, ils doivent faire une étude d’efficacité énergétique de la bâtisse qu’ils réalisent pour qu’elle puisse assurer un minimum de confort et d’isolation thermique. Car il faut se protéger de la chaleur mais aussi du froid en hiver où les variations de températures sont très importantes.
Mais beaucoup de gens, notamment ceux vivant dans des logements sociaux, disent qu’ils suffoquent dans leurs maisons à cause de cette canicule. Cela ne signifie-t-il pas que ces logements ne répondent pas aux normes d’isolation et que l’on n’a pas utilisé des matériaux permettant de protéger les occupants de ces logements de la chaleur?
Oui. Mais ça c’est un problème économique et social en même temps. Car pour pouvoir avoir une maison qui répond efficacement aux normes d’isolation, cela a un coût. Certes c’est prévu dans les autorisations de construire. Et il y a une étude d’efficacité énergétique. Mais les gens n’ont pas les moyens de mettre tous les matériaux qu’il faut pour accéder à ce niveau de confort thermique.
Pouvoir offrir aujourd’hui des habitations qui offrent toutes les caractéristiques d’isolation ça reste quand même difficile et hors de portée de beaucoup de bourses. Est-ce qu’on répond à la demande de logement ou est-ce qu’on répond à la contrainte de la chaleur ou du froid qui sont des périodes probablement très courtes dans l’année? Aujourd’hui, le principal objectif de l’Etat, et même d’une grande catégorie de la population, c’est acquérir un logement décent. La priorité est donc donnée à l’acquisition d’un logement.
Pensez-vous que les choses pourraient évoluer pour que le logement social au Maroc soit plus protégé et puisse répondre à la contrainte de la chaleur comme pour le logement de standing?
Bien entendu, au fur et à mesure, les choses vont évoluer. On va vers un logement un peu plus protégé, un peu plus efficace énergétiquement. Mais encore une fois, le problème reste posé. C’est une question de moyens. Car si le logement social est à 200 mille dirhams, si vous y mettez toutes les caractéristiques d’isolation thermique, avec bien entendu une densification moins importante par rapport au groupement d’habitation, on arrivera probablement au double du coût. Ce qui ne peut pas donner l’accessibilité au logement à beaucoup de gens. C’est donc un choix à faire, et l’Etat a choisi de loger les gens. Je pense que ça a donné des résultats.
Dans certaines villes comme Casablanca les gens constatent que dans les quartiers de cette grande ville il n’y a pas d’espaces verts ni d’abris pour se protéger de la chaleur…
Comme je l’ai souligné, au niveau de l’aménagement des villes, il y a cette contrainte de répondre à la demande de logement. Mais malheureusement dans cette priorité on a accordé à la plupart des promoteurs des possibilités de densification maximum au niveau des lotissements et au niveau des groupes d’habitations. Ce qui fait que l’on a tellement densifié qu’on a laissé très peu de place aux espaces verts.
Dans un pays comme la France, on a commencé, depuis 2009, à rénover les logements sociaux, avec des normes beaucoup plus strictes qui aident à s’adapter à la chaleur. Y a-t-il des réflexions dans ce sens au Maroc?
La France est considérée comme un pays développé. Il est classé parmi les premiers pays au monde. Mais ce pays est passé par le stade par lequel nous sommes aujourd’hui. Il y a 40 – 50 ans, la France construisait des habitations à loyer modéré (HLM) qui n’offraient aucun confort thermique aux habitants. Mais quand ils ont réussi à reloger tout le monde, ils ont procédé à la démolition totale de ces HLM et à reconstruire avec des normes beaucoup plus strictes. La France est en train d’adapter les logements au climat et aux différences de températures. Mais encore une fois c’est une question de moyens. La France accorde aujourd’hui énormément de subventions aux promoteurs et aux propriétaires qui veulent rénover leur logement et le mettre aux normes. Des aides importantes sont accordées, aussi bien en dons qu’en facilités de crédits. On donne énormément d’avantages aux gens qui sont d’ailleurs encouragés à le faire. Mais au Maroc, on n’a pas encore les moyens pour être dans cette optique. L’Etat n’a pas les moyens et sa première priorité c’est de reloger les gens.
Avez-vous des propositions au CNOA? Avez-vous des solutions qui permettent d’anticiper l’amélioration des habitats face à la canicule?
Bien sûr que nous avons des solutions. Nous ne faisons que ça. Nous le faisons d’ailleurs dans nos études. Nous faisons des formations pour les architectes sur l’isolation thermique, l’efficacité énergétique, le développement durable, l’économie de l’eau et sur tout ce qui concerne aujourd’hui les changements climatiques et ses aléas. A noter qu’il y a aujourd’hui des projets inscrits dans le logement social qui intègrent un certain nombre de caractéristiques thermiques. Aujourd’hui ça devient pratiquement une obligation. Bien sûr on essaie de rester dans les limites des budgets qui sont accordés pour ce genre d’opération. Les architectes font des efforts énormes.
Au niveau de l’ordre national on n’a pas arrêté d’encourager le retour vers les matériaux traditionnels aussi. Bien sûr ça concerne plus le logement rural que le logement en milieu urbain. Mais il y a des adaptations à faire et beaucoup d’architectes et de promoteurs aussi ont fait l’effort d’intégrer un certain nombre de caractéristiques d’efficacité énergétique dans les logements. Ce qui est d’ailleurs très vendeur. Toute la jeune génération prend aujourd’hui conscience de tout ça. Mais encore une fois c’est faute de moyens. Nous, on sensibilise tant qu’on peut. Nous sensibilisons les politiques, les promoteurs publics, les promoteurs privés, etc. Mais si on veut que cette politique réussisse, il faut que l’Etat aide les gens. C’est obligatoire.
Y a-t-il des pourparlers dans ce sens avec le gouvernement ?
Non. Le gouvernement n’a pas encore cette optique dans sa politique.
Interview réalisée par Naima Cherii