Que se passe-t-il sur les côtes marocaines de la Méditerranée? Les filets maillants dérivants interdits par les réglementations internationale et nationale sont-ils encore utilisés par les pêcheurs marocains dans cette zone? Le sujet est en tout cas au centre d’une grosse polémique.
Des observateurs au nord du pays soulignent à Le Reporter que le service maritime de la garde civile de Ceuta a renforcé le contrôle des bateaux de pêche marocains, face à l’utilisation de ces engins par les pêcheurs marocains, disent-ils. Selon les mêmes voix, de nombreuses opérations ont été menées par la garde civile, laquelle a intercepté ces trois dernières années plusieurs bateaux de pêche marocains, qui auraient pêché illégalement dans les eaux de Ceuta avec les pratiques des filets dérivants illégaux.
Intitulée «Murs de la mort : Pêche illégale au filet dérivant en Méditerranée», l’étude menée par l’Environmental Justice Fondation (EJF) a créé une grosse polémique. Elle analyse l’utilisation des filets dérivants par les navires marocains en mer d’Alboran, un haut lieu de la biodiversité en Méditerranée jouant un rôle critique pour les espèces hautement migratrices qui se déplacent entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique, est-il indiqué dans le rapport de 32 pages, dont Le Reporter détient copie.
Cette enquête, réalisée en août-septembre 2024 et dont les résultats ont été annoncés il y a quelques semaines, affirme une augmentation alarmante de la pêche illégale au filet dérivant dans les eaux marocaines, causant des dégâts importants au niveau de la faune maritime. Malgré son interdiction, souligne l’ONG, cette méthode continue d’être employée par des navires marocains dans la pêche de l’espadon, une espèce en voie de disparition.
Une révélation qui a engendré un tollé et que les professionnels marocains, particulièrement ceux de la zone de la Méditerranée, ont vivement contestée. Le président de la Chambres des pêches maritimes de la Méditerranée, Mounir Derraz, qui n’a pas du tout apprécié le contenu du rapport de l’EJF, est sorti de ses gonds pour répondre aux critiques de l’ONG.
Dans un entretien exclusif cette semaine à Le Reporter, Mounir Derraz a déclaré que «le timing de la publication du rapport de l’EJF, qui tombe quelques semaines après le verdict de la Cour de Justice de l’Union européenne annulant les accords entre le Maroc et l’UE sur la pêche et les produits agricoles, soulève des points d’interrogation». «Pourquoi, maintenant ?», lance-t-il.
Le représentant de la pêche accuse «l’ONG de chercher à politiser ce dossier pour porter atteinte aux intérêts du Royaume». «On sait très bien que le Maroc est attaqué par ses détracteurs à cause de notre cause nationale : le Sahara. Certaines parties étrangères cherchent à accabler le Maroc par tous les moyens. Et il n’est pas exclu que ce rapport soit commandité par les adversaires de notre pays», dit-il. «Et puis, pourquoi seulement le Maroc et pas l’Algérie, par exemple? Pourtant, les pêcheurs de ce pays utilisent aussi les filets dérivants», tient-il à souligner.
S’agissant du contenu du rapport, Mounir Derraz se veut ferme. Pour lui, l’interdiction des filets dérivants imposée par le Maroc ne s’applique pas à tous les filets dérivants. Le décret d’application de la loi définit les filets dérivants comme des filets au maillage égal ou supérieur à 200 mm, a-t-il relevé.
Or, poursuit-il, «L’étude en question pointe tout les filets maillants dérivants sans exception. Mais, au Maroc, ce qui est interdit c’est le filet dérivant dont le maillage est de 200 mm, qui était utilisé par les unités de la pêche côtière pour pêcher l’espadon».
Il a tenu à rappeler qu’un accord a d’ailleurs été signé entre le Maroc et l’UE en 2007 pour l’interdiction de l’utilisation de cet engin dans la pêche de l’espadon. «Cet accord était entré en vigueur le 31 décembre 2012. Et depuis cette date, l’espadon ne peut être capturé qu’avec des lignes à main», rappelle-t-il.
Mais, poursuit-il, il y a d’autres filets dérivants dont le maillage est de 100 -120 mm. Selon lui, ces engins sont autorisés dans la pêche au Maroc. Car, dit-il, «ils n’ont pas fait l’objet de l’accord signé avec l’UE. Ils ne sont donc pas interdits par la loi. A noter qu’une loi a été promulguée en 2014 pour interdire définitivement la pêche de l’espadon dans les eaux marocaines avec ces filets dont le maillage est de 100-120 mm. Ces engins ne sont utilisés que pour capturer le Melva et le Listao».
Le président reconnaît toutefois que certains bateaux de pêche violent la loi en utilisant ces filets maillants dérivants dans la pêche de l’espadon et dit que le ministère travaille inlassablement pour y remédier. «Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de violation de la loi. Il est vrai qu’on ne peut pas être parfait à 100%. Il faut reconnaître que certains ne respectent pas la loi car le secteur est difficile à contrôler. Mais le ministère agit quand des bateaux pêchant illégalement -avec les pratiques des filets dérivants illégaux- sont interceptés. D’ailleurs, des PV ont été établis contre les bateaux impliqués dans la pêche illicite de l’espadon au filet dérivant. On l’a déjà vu à Nador, Al Hoceima, M’diq, ou encore à Tanger», poursuit la même source.
Autre point de discorde: le nombre des navires utilisant les filets dérivants. Dans son rapport, l’EJF soutient que le nombre des unités utilisant dans les eaux marocaines ces engins a plus que doublé en vingt ans, passant de 370 en 2004 à 846 en 2024. A ce sujet, le président Mounir Derraz a tenu à rappeler que les filets dérivants étaient initialement utilisés par les bateaux de la pêche côtière. Mais, a-t-il ajouté, depuis l’interdiction des filets maillants dérivants dont le maillage est de 200 mm, ce sont davantage de petits bateaux de la pêche artisanale qui ont commencé à pêcher le Melva et le Listao avec les filets dérivants dont le maillage est de 100-120 mm.
Notre interlocuteur poursuit : «Supposons que le nombre des unités a réellement doublé en 2024 comme le soutient l’ONG dans son rapport. Il faut souligner que durant l’année qui vient de s’écouler, les filets dérivants (100-120 mm) ne sont utilisés que par des barques artisanales et non par des navires côtiers. Or une barque artisanale est de petite taille. La longueur du filet qu’elle peut porter est beaucoup plus réduite que celui que peut porter un bateau de la pêche côtière. Ce qui veut dire que les filets dérivants portés par ces barques ne peuvent pas s’étendre sur des dizaines de kilomètres, couvrant de vastes étendues en pleine mer, comme le laisse croire l’ONG !».
A noter enfin que le sujet des filets maillants dérivants fera débat lors d’une prochaine rencontre qui réunira la Secrétaire d’Etat chargée de la Pêche, Zakia Driouich et le président de la Chambre des pêches maritimes de la Méditerranée, Mounir Derraz.
Un dossier à suivre…
N.Cherii