Entretien avec Mbark Outcharraft, Président du forum Iffous pour la démocratie et les droits de l’homme Tata
La province de Tata a encore une fois connu de fortes crues entraînant d’importantes pertes humaines et matérielles. Tata dispose-t-elle de moyens adéquats pour faire face à ce genre de catastrophe ? Y avait-il moyen d’éviter cela?
Les catastrophes naturelles sont récurrentes dans la province de Tata. Elles surviennent dans un contexte de conditions climatiques extrêmes au niveau international. Et tous les pays sont certes touchés par ce phénomène. Mais indépendamment de ces conditions naturelles, cet événement tragique suscite toutefois des interrogations légitimes: Pourquoi les politiques publiques n’ont pas encore favorisé un développement durable et résilient à Tata? Pourquoi ça traîne encore à Tata? Comment expliquer l’exclusion et l’injustice dont souffrent ces zones ? Bref, les questions sont nombreuses. Mais ce qui est sûr c’est que cette province n’a pas les moyens.
Il faut dire que Tata est victime du découpage territorial. Elle faisait partie de la Région de Guelmim-Oued Noun, sans que son nom ne soit inclus dans la désignation de la région, pourtant sa superficie est plus grande que celles des autres provinces. Après la régionalisation «avancée», Tata a été rattachée à la région de Souss-Massa, là encore sans que son nom ne soit mentionné dans la désignation de la région, alors même qu’elle couvre une superficie bien plus vaste que celle des autres provinces de la région de Souss-Massa.
Tata a toujours fait l’objet d’exclusion et d’injustice, notamment en termes des budgets sectoriels alloués à son développement. Ces budgets restent très faibles par rapport aux autres provinces de la région, même si Tata représente 48% de la superficie de la région de Souss-Massa.
Manque de moyens et de compétences, tout reste à faire à Tata. La démocratie représentative ne nous a pas donné des élites conscientes, qualifiées et capables de plaider pour un développement durable dans ces zones, où il n’y a aucune opportunités d’emploi pour les jeunes. D’ailleurs, la province connait le phénomène de migration vers les régions de l’intérieur. Même les gens qui travaillent dans ces zones n’y restent pas plus d’un an ou deux. Ces zones sont passées par un désastre et en principe, cela devrait inciter à accélérer la mise en place d’une politique pour favoriser le développement durable dans la province.
Les images du terrible état des routes après les inondations soulèvent des interrogations rageuses. Ces interrogations sont relayées par les internautes qui pointent la situation préoccupante mais qui serait, pour eux, la conséquence d’une dégradation liée à une mauvaise réalisation de ces routes ?
Les Marocains ont tous vu dans les médias publics et dans les réseaux sociaux des images montrant des routes endommagées. Les dégâts ont été visibles immédiatement. Ces inondations ont mis à découvert la face cachée de certaines routes de la province. Les images du terrible état de ces routes soulèvent en effet les questions: comment ces marchés sont-ils passés aux entrepreneurs? Sur quelle base? Les cahiers de charges sont-ils respectés? Y a-t-il un contrôle? Y a-t-il un respect des travaux? Car la situation est vraiment préoccupante. Et ces questions interrogent en effet les responsables de ces projets.
Dans le communiqué que le Forum a diffusé lundi 23 septembre vous avez appelé à déclarer Tata une zone sinistrée. Qu’est-ce que cela va permettre à la province de Tata ?
Cela fait trois mois que des catastrophes ont frappé successivement la région. Nous avons traversé un été très chaud marqué par des incendies qui ont détruit un grand nombre de palmiers dans la province, laquelle est connue pour ces incendies récurrents. Ces zones ont également traversé une période de sécheresse qui a duré 7 ans. Au cours de cette période Tata a d’ailleurs été déclarée zone touchée par la sécheresse. Et aujourd’hui, les inondations ont causé des pertes humaines et des disparus, ainsi que des dégâts matériels importants, laissant les populations locales dans une situation pitoyable et désespérée.
Face à l’ampleur de ces inondations qui ont tout détruit, le Forum a formulé un appel au gouvernement marocain pour la déclaration de la région «zone sinistrée». Cette déclaration a pour but de mobiliser les ressources financières et logistiques nécessaires pour soutenir les populations locales sinistrées. Cela permettra aussi à ces zones de bénéficier du Fonds de solidarité contre les catastrophes naturelles et accélérer la réhabilitation des zones ayant été touchées par le séisme du 8 septembre 2023. Car, disons-le, malgré les catastrophes qui l’ont frappée, Tata n’a jamais bénéficié de ce Fonds.
Le gouvernement doit intervenir de manière urgente pour mettre en place un programme d’urgence pour soutenir les victimes des inondations et rétablir rapidement les infrastructures endommagées. Car les autorités locales et régionales sont impuissantes face à un tel désastre. Il est aussi demandé que des compensations financières soient accordées aux familles sinistrées ayant perdu leurs habitations ou leurs biens.
Tata est célèbre par les potentialités économiques de ses oasis. Cependant à cause des incendies, ces oasis risquent de disparaitre…
Des milliards de dirhams ont été dépensés pour l’exécution des projets qui sont proposés par le conseil d’administration de l’agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’Arganier (ANZOA). Mais ce que nous pouvons dire, en tant qu’Association et avec les informations dont nous disposons, c’est que sur le terrain ces projets restent faibles et inefficaces dans la région de Tata où chaque année on assiste à des incendies dans trois ou cinq grandes palmeraies. Le Forum a toujours défendu dans son plaidoyer que soit activée la décision du Conseil d’administration de l’ANZOA de créer une agence locale à Tata pour gérer les projets dédiés à Tata qui compte en effet des oasis réputés dans le monde entier.
Il existe une convention majeure liée à ce problème des incendies. Cette convention, qui trainait depuis 2021, a été signée l’été dernier. Pour une enveloppe budgétaire de 3 milliards de centimes, cette convention cible surtout la prévention des incendies dans la province. Aujourd’hui, il faut accélérer sa mise en application.
Entretien réalisé par N.Cherii