Si la pêche illégale du concombre de mer a déjà fait des dégâts à l’écosystème de certaines régions comme celle de la baie de Dakhla, les eaux de Nador en regorgent encore en grand nombre. Mais la disparition de cette espèce marine, protégée mondialement, pourrait être imminente si rien n’est fait pour remédier au phénomène, alertent des professionnels à Nador.
Opération d’envergure contre le braconnage de concombre de mer. A Nador, une grande quantité de cette espèce marine vient d’être saisie. La police judiciaire a arrêté mardi 7 mai sept personnes pour avoir pêché illégalement deux tonnes et 468 kilogrammes de concombres de mer. Plusieurs équipements de plongée et barques à moteur ont également été saisis. Les suspects ont fait l’objet d’une enquête judiciaire et des investigations sont toujours en cours pour découvrir toutes les personnes impliquées dans cette activité illégale, indiquent des sources policière.
La quantité saisie, qui a eu lieu dans les zones d’Al-Aroui, Silwan, Arkaman et Beni Ansar, vaudrait plus de 1.727.600 DH, selon des sources locales. Il s’agirait de la plus grande opération contre les trafiquants de concombre de mer dans cette région depuis que cet étrange animal menacé est devenu une convoitise pour les braconniers qui en font un business très lucratif. Mais des groupes organisés semblent disposer d’importants moyens et arrivent à échapper à la vigilance des services en charge du contrôle. C’est ce qui permet à cette pêche illégale de proliférer à Nador, commentent nos sources.
Sa collecte est interdite. Pourtant, à Nador, beaucoup s’adonnent à cette pêche clandestine. Outre la pêche à la dynamite et la surexploitation des ressources halieutiques, c’est donc un autre représentant de la faune locale qui attire les contrebandiers, les concombres de mer. Ces espèces marines, qui déchaînent les passions de ce marché noir, sont victimes de la surpêche depuis plusieurs années, selon des professionnels de la pêche à Nador.
«Ce phénomène, nous l’observons depuis environ dix ans et il prend de l’ampleur d’une manière très inquiétante. C’est un marché obscur qui s’épanouit à Nador, au grand dam des autorités», a déclaré cette semaine à Le Reporter Hicham Soudani, un professionnel de la pêche artisanale à Marchica.
Si des régions comme Dakhla ont épuisé leurs ressources et la pêche illicite du concombre de mer a déjà fait des dégâts à l’écosystème de la baie de cette ville, les eaux de Nador en regorgent encore en grand nombre. Le trafic y est encore prospère mais l’extinction de cet animal pourrait être imminente si on ne fait rien pour remédier au phénomène, prévient notre interlocuteur, soulignant que « ce trafic satisfait une clientèle étrangère (chinoise) et pourrait conduire forcément à l’abaissement des stocks dans les eaux de Nador».
Joint au téléphone, il ajoute: «Certaines personnes ne savent pas le danger de la collecte du concombre de mer sur l’écosystème marin et l’environnement. On doit donc miser sur la sensibilisation à travers une campagne d’envergure pour sensibiliser les gens sur la gravité de cette activité».
Marchica, Arkmane, Cap d’eau, Béni Chiker, Beni Ansar…ces zones où la contrebande prospère !
Venus de partout pour récupérer des concombres de mer, très appréciés dans les pays asiatiques, des dizaines de plongeurs s’adonnent chaque jour à cette activité illégale. Généralement, c’est dans certaines zones comme Marchica, Arkmane, Cap d’eau, Béni Chiker et Beni Ansar qu’ils opèrent clandestinement, explique ce professionnel, qui évoque aussi «une dizaine de barques» qui inquiètent les pêcheurs locaux.
Chaque jour, les pêcheurs ramènent entre 500 et 800 kilos de concombres de mer. Selon des sources concordantes, la collecte de cet animal marin peut atteindre parfois jusqu’à une tonne par jour. Les pêcheurs vendent leur produit aux acheteurs entre 14 et 25 dirhams au kilo selon la taille. Certains d’entre eux ramènent de grandes quantités et peuvent toucher jusqu’à 1000 dirhams chaque jour.
«Une fois pêchés, les collecteurs vendent leur produit à quatre grands acheteurs (intermédiaires) de la région, lesquels ont des unités clandestines à Nador où ces animaux marins sont vidés, bouillis puis séchés. Ils sont ensuite emballés en lots dans des sacs sur des camions -transportant des marchandises- à destination de Casablanca», expliquent nos sources. C’est donc à Casablanca que le produit final est livré à des clients chinois entre 800 et 900 dirhams le kilo.
Le produit va s’envoler vers sa destination finale, la Chine où des organisations criminelles ciblent le concombre de mer pour ses vertus médicinales. Il est revendu à des prix très élevés (10.000 DH). Certains trafiquants chinois arrivent à le vendre à plus de 40.000 dirhams le kilo. C’est donc à l’international que le produit prend de la valeur.
Le concombre de mer est une espèce marine protégées dans l’ensemble des eaux territoriales dans le monde. Il joue un rôle très important dans l’entretien des fonds marins. Selon les scientifiques, un seul spécimen peut ingurgiter plus de 45 kilos de sédiments par an. Leurs très bonnes aptitudes digestives leur permettent de rejeter un sédiment fin, pur et homogène.
Des professionnels s’opposent pourtant à l’interdiction de la collecte de cette espèce marine. Ils ont même appelé à l’adoption d’un plan d’aménagement des pêcheries de concombre de mer. Pour eux, les dispositions d’un tel plan contribueraient à la préservation de cette espèce marine. «Il faut un plan d’aménagement des pêcheries de concombre de mer. Puisque cette espèce est très abondante surtout dans certaines régions du pays comme Nador. S’il y avait une loi et si cette activité était autorisée, il n’y aurait pas cette pêche illégale. Les prix seraient élevés et tout le monde pourrait en profiter, à commencer par les pêcheurs», estiment des sources à la Confédération nationale de la pêche artisanale.
En 2016, les professionnels de la pêche côtière avaient adressé un courrier à l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) dans lequel ils demandaient de lancer une étude afin de connaître les stocks réels existant en matière de concombres de mer. Mais jusqu’à présent, «on n’a pas encore identifié les durées de croissance de cette espèce. Comme pour tous les autres plans d’aménagement, les aspects principaux à savoir sont notamment les périodes d’arrêt biologique et les zones d’interdiction de pêche», concluent nos sources.
Naima Cherii