
Ils sont des milliers à monter sur des embarcations de fortune pour rejoindre l’Europe dans l’espoir de trouver un avenir meilleur. Depuis, ils sont portés disparus en mer ou dans des centres de détention. Les 21 et 22 octobre 2025, les familles des disparus marocains tiendront un sit-in à Rabat pour réitérer leurs revendications et réclamer justice et vérité sur le sort de leurs enfants.
Alors que les réponses se font attendre, les familles marocaines des migrants clandestins disparus se mobilisent pour tenter d’obtenir des nouvelles de leurs proches.
Après le sit-in organisé les 16 et 17 septembre dernier, pour exiger de connaître la vérité sur le sort de leurs enfants, portés disparus depuis des années en mer ou dans des centres de détention en Algérie, Tunisie, Lybie, Turquie, Grèce ou encore en Bulgarie, les familles prévoient de tenir les 21 et 22 octobre 2025 un nouveau sit-in devant l’annexe du ministère des Affaires étrangères à Rabat.
L’information était diffusée début de cette semaine sur les groupes WhatsApp» réunissant prés de 200 familles de migrants disparus, soutenues par l’Association d’aide aux migrants en situation de vulnérabilité (AMSV), laquelle s’est mobilisée pour et autour de la cause des migrants disparus et détenus.
Ce jeudi 16 octobre, les familles que nous avons approchées cette semaine attendaient encore l’autorisation des autorités locales pour l’organisation de ce rassemblement par lequel elles veulent insister sur l’urgence de traiter ce dossier pour qu’elles connaissent le sort de leurs enfants.
Mais à l’heure où nous mettions en ligne, le Collectif des familles migrants disparus et détenus au Maroc a rendu public ce vendredi (17 octobre) un communiqué intitulé «notre combat continue pour savoir le sort de nos enfants, la vérité et la justice »
Dans ce communiqué parvenu à la rédaction, ce vendredi, le Comité de suivi du dossier des migrants clandestins marocains disparus – section Laayoune, El Jadida, Rabat, El Attaouia, …a réitéré ses revendications pour connaître la vérité et le sort de ces jeunes.
Cet appel a été lancé au ministère des Affaires étrangères, au ministère de la justice, au ministère public, au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et au Croissant-Rouge marocain et à la croix rouge.
Le comité s’est adressé également aux associations de défense des droits humains et aux médias pour «mettre en lumière cette question et supporter les familles en quête de ce qui est advenu de leurs enfants».
Ce prochain sit-in national vient quelques jours après une rencontre organisée samedi 11 octobre à Beni Mellal par le Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM), en présence des parents de disparus et des défenseurs des droits humains.
Lors de cette rencontre, plusieurs familles ont raconté l’histoire de leurs enfants disparus. Elles sont venues d’El Attaouia, Béni Mellal, Kelâat Sraghna, Khouribga, Souk Sebt, etc. Depuis plusieurs années, elles cherchent leurs fils, leurs frères, leurs proches ou leurs maris disparus ou détenus sur les routes de l’immigration.
Leur message était on ne peut clair. «Nous ne cesserons pas de nous mobiliser tant que nous n’aurons pas des réponses sur le sort de nos enfants», disent-elles fermement.
Elles ont pointé le silence institutionnel et «l’absence de soutien des autorités marocaines» dans leurs démarches pour retrouver leurs enfants.
Des centaines de familles se tournent vers l’Association d’aide aux migrants en situation de vulnérabilité (AMSV) pour signaler la disparition d’un de leurs proches.
Le président de cette association, Hassan Ammari confie que les disparus marocains pourraient se compter par milliers. Mais, selon les dossiers parvenus à l’association, on estime qu’ils sont plus d’un millier, à travers le pays, à avoir disparu, pense Ammari.
Selon lui, la situation arrive à un seuil très inquiétant : «Chaque année, nous recevions 60 dossiers de disparitions lors des tentatives de migration. Mais l’association enregistre actuellement plus de 1000 signalements de personnes disparues sur les routes de l’immigration».
Des personnes sont peut-être dans des centres de détention, souligne le président. «Le nombre des détenus est important. Des jeunes migrants marocains sont détenus sur les routes de l’immigration : Turquie, Bulgarie, Grèce, Algérie, Lybie, Tunisie, etc. », dit-il.
A ce jour, l’AMSV a enregistré plus de 800 dossiers de Marocains détenus en Algérie. «Nous travaillons actuellement sur le dossier des 800 Marocains, dont certains sont condamnés à la perpétuité, se trouvent aujourd’hui dans les prisons algériennes. On recense 39 femmes prisonnières marocaines dans ce pays. Il s’agit essentiellement des dossiers qui sont parvenus à l’association. Ce dossier nous préoccupe profondément, tout comme celui des personnes disparues en Algérie. Nous pensons que le nombre est beaucoup plus important», tient à préciser le président Ammari.
Il fait savoir au passage que «Jusqu’à présent, l’association a entrepris des démarches ayant contribué au cours de ces deux dernières années au rapatriement de plus de 2000 Marocains d’Algérie. «Nous ne demandons pas un centime aux familles et aux proches. Tout ce que nous entreprenons, nous le faisons par obligation éthique», souligne le président. Par ailleurs, il tient la politique européenne des visas et de gestion des frontières comme responsable direct de cette situation «injuste».

Plusieurs familles se confient à Le Reporter…
Le Reporter a approché ce mercredi 15 octobre 2025 plusieurs familles de disparus en mer ou dans des centres de détention. Elles ont voulu nous raconter l’histoire de leurs enfants disparus.
Saliha Mokhless, originaire de Béni Mellal, est de toutes les manifestations. Elle et d’autres familles ont souvent entrepris de longs voyages depuis Béni-Melal et d’autres villes jusqu’à Rabat pour y tenir des sit-in. Saliha tente de réunir ses forces pour raconter l’histoire complète de son frère Hassan (35ans).
Cette jeune femme est à la recherche de son frère qui a tenté de migrer à travers la Tunisie le 18 septembre 2018. Hassan a remis de l’argent (30.000 dirhams) à une personne pour assurer son passage vers l’Europe. Il espérait rejoindre le continent européen pour trouver un avenir meilleur. Une fois sur le sol tunisien, Hassan devait se diriger vers le bateau pour la traversée, mais sur place il découvre que le passeur l’a arnaqué, et que l’Eldorado promis n’était finalement que la Lybie où, avec l’aide d’une personne au Maroc, il va trouver un travail dans une société «de bulldozers».
Le jour de son arrivée en Tunisie et en Lybie, Hassan a donné signe de vie. «Il continuait à nous contacter pendant plusieurs mois. Nous avons reçu un dernier appel le deuxième jour du ramadan (en 2019). Et depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de mon frère. C’était le silence radio. Son téléphone ne sonnait plus», dit Saliha, le cœur brisé par le chagrin.
Dans ses dernières conversations, Hassan annonçait qu’il voulait revenir au pays, et à deux reprises j’ai voulu lui envoyer le billet d’avion pour qu’il rentre au pays. Mais ses employeurs l’en ont empêché.
«Depuis 2019, on a frappé à toutes les portes pour savoir le sort de mon frère. Nous avons pris des contacts avec le ministère des Affaires étrangères et le croissant rouge. Mais en vain. On a tenu plusieurs sit-in pour connaître la vérité. Mais nous n’avons aucune information des autorités», se désole la sœur de Hassan. Ne rien savoir nous affaiblit. Plusieurs années se sont écoulées et nous pleurons mon frère», dit Saliha, la mort dans l’âme.
La vie de cette jeune femme est devenue une existence sans saveur. «Nous n’avons plus de vie, ni moi ni ma mère. Ma mère n’arrête pas de pleurer son fils Hassan. Sa santé se dégrade et sa vue baisse», confie-t-elle.
La souffrance est immense mais Saliha garde l’espoir fervent que son frère est toujours vivant. «Je n’ai jamais perdu espoir que mon frère Hassan revienne un jour. Je continue de chercher des pistes sur le sort de mon frère. Tout ce que je fais c’est de chercher et je n’arrive plus à travailler. Autrefois je faisais du ménage dans des pâtisseries, mais maintenant je ne fais plus rien. Je suis d’ailleurs incapable de travailler», confie Saliha, épuisée par les sept longues années de recherche sans relâche.

Dans la région d’El Attaouia, près de Marrakech, après le drame qui s’est produit le 11 juin 2023, lorsqu’une embarcation transportant 51 jeunes migrants clandestins a chaviré en mer, les familles crient toujours leur désespoir.
Le 10 juin 2023, à 3 heures du matin, le jeune Charaf Semlali, un jeune de 26 ans tentait, avec 50 autres jeunes, de rejoindre Las Palmas via Agadir. Leur sort est encore inconnu, ce qui suscite beaucoup d’émotions et d’angoisse chez leurs familles. Celles-ci attendent toujours des nouvelles.
«Nous voulons une réponse claire. S’ils sont décédés, nous l’acceptons, qu’on nous le dise. Mais le gouvernement doit nous donner la réponse», dit Nadia Semlali, sœur de Charaf Semlali. Le 30 septembre, poursuit-elle, les familles des 51 jeunes ont adressé une lettre au ministère des affaires étrangères dans laquelle elles demandent de l’aide afin de savoir la vérité sur le sort de leurs enfants. Le Reporter détient copie de cette lettre.
Le frère de Nadia Semlali avait remis 50.000 dirhams à des harraguas de la région pour garantir son passage vers l’Espagne via Las Palmas. Il souhaitait regagner l’Eldorado pour trouver un avenir meilleur.
Cette soeur ne cesse de chercher des indices, frappant à toutes les portes dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de son frère Charaf mais sans résultats.
Ce mercredi 15 octobre 2025, cette jeune femme ignorait encore tout sur le sit-in prévu mardi prochain à Rabat pour exiger vérité et justice. «Bien évidemment, si la manifestation est autorisée, je vais y assister. Car notre région est meurtrie depuis la disparition de ces 51 jeunes en mer. Ils ne voulaient qu’un avenir meilleur. Ce ne sont pas des criminels», dit-elle.
Elle continue : « Mon frère Charaf était tout pour nous. Depuis sa disparition, ma mère est très malade. A cause de son état de santé, on ne peut plus parler de ce sujet devant elle. Personnellement, j’ai perdu le goût de vivre».
La douleur de l’absence nous a entraînés dans un gouffre d’angoisse, dit Nadia. Mais celle-ci reste optimiste. Elle refuse d’admettre que son frère soit mort en mer. «Je garde toujours l’espoir que mon frère Charaf est vivant. Surtout que les recherches de corps en mer n’ont rien donné. Et tant qu’on n’a pas vu de cadavres de ces jeunes, on ne peut pas être sûr de leur décès », poursuit la sœur de Charaf Semlali. Et d’ajouter : «On nous a dit qu’ils sont à Las Palmas et qu’ils sont détenus. Ce que nous ont aussi confirmé les harraguas trois jours après le drame. Mais nous n’avons jamais eu de nouvelles d’eux. Des proches de certains d’entre ces 51 jeunes sont partis à Las palmas pour demander des informations sur leur sort. Mais on leur a dit qu’ils n’avaient pas le droit de dire quoi que ce soit sur ce dossier».
La jeune femme souligne que les familles se sentent abandonnées. «Nous demandons à l’Etat marocain, mais aussi à l’Etat espagnol, de nous aider dans ce dossier. Si nos enfants sont bien détenus à Las Palmas, pourquoi ils n’ont pas le droit de contacter leur famille. Même l’avocat des jeunes n’a pas été autorisé à entrer ? Ce n’est pas normal», conclut la sœur de Charaf Semlali, avant de s’interroger : «Mais si les jeunes d’El Attaouia sont bien là, dans cette prison de Las Palmas, pourquoi n’appellent-ils pas leur famille? L’Espagne n’interdit pas les appels.»


A Settat aussi, le même cri de détresse. Malgré les efforts incessants pour savoir le sort de leurs enfants, les familles se retrouvent dans une attente infinie comme figés dans le temps. Mais elles gardent aussi espoir de revoir un jour leurs enfants. Plusieurs d’entre elles veulent aussi participer au sit-in national qui se tiendra mardi et mercredi prochains, comme Mina, mère d’Abdellah Sayel.
Elle doit demander l’aide de ses proches pour pouvoir y aller, nous confie-t-elle. « Chaque fois que je vais à Rabat pour assister à une manifestation des familles des disparus, c’est toujours mes proches qui me donnent de l’argent pour payer le transport. Notre situation est très précaire. On est très pauvre et je n’ai pas l’argent pour payer le transport de Casablanca à Rabat », dit-elle.
Il y a cinq ans, jour pour jour, le fils de cette mère était parti clandestinement en Lybie dans l’espoir de rejoindre l’Europe. «Depuis, je n’ai plus vu mon fils Abdellah. Il était tout pour moi. Ma santé s’est dégradée. Durant ces cinq dernières années, je vis dans la souffrance et la peur de ne plus le revoir». «Mon fils n’est pas un criminel. Il aspirait à de meilleures conditions de vie. C’est le désespoir qui l’a poussé à migrer», dit cette maman, en pleurant.
La mère d’Abdellah Sayel a reçu une nouvelle : son fils est détenu en Lybie, mais aucune information précise ne lui a été donnée. «Ce dont je suis sûre c’est que mon fils est encore en vie», dit-elle. Amina est persuadée d’avoir reconnu son fils sur «des images à la télévision. «Quelqu’un l’a vu et m’a envoyé des images à la télévision et des photos montrant mon fils avec un groupe de migrants prisonniers», affirme la mère Mina.
Naima Cherii