Océans/ONUC 3 : «La Méditerranée est une des mers qui subit le plus de pression au niveau mondial»

Cyril Gomez, Directeur général adjoint de l’Institut océanographique de Monaco
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Entretien avec Cyril Gomez, Directeur général adjoint de l’Institut océanographique de Monaco

La 3e Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) a clos ses travaux à Nice vendredi 13 juin. Quels étaient les enjeux cruciaux de ce Sommet ?

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Je crois que  le point le plus important c’était de démontrer qu’en dépit des difficultés actuelles, la diplomatie environnementale, le multilatéralisme environnemental continue à exister et à produire des résultats. Je pense que c’est vraiment le principal enjeu.
La conférence des Nations Unies sur l’océan n’est pas associée à un accord en particulier. Ce n’est donc pas une COP en tant que telle. Mais en revanche, c’est une réunion qui permet de mettre l’océan sur l’agenda international. Et finalement ce que UNOC 3 a réussi à faire aujourd’hui c’est pousser l’accord sur la biodiversité en haute mer (BBNJ). Cet accord nécessite 60  ratifications. Avant la conférence, on était à une trentaine de ratifications. Mais actuellement, une vingtaine de pays se sont déclarés prêts à ratifier l’accord à la suite d’UNOC. Ça va donc dans le bon sens.
Toujours, dans le cadre de ce multilatéralisme, des pays se sont joints au moratoire sur l’exploitation des fonds marins. Ce sujet est très sensible pour la biodiversité y compris pour le climat. Puisque les fonds marins sont un puits important de carbone. Il y a de plus en plus de pays, 37 en l’occurrence, qui disent qu’il faut d’abord faire des recherches scientifiques avant d’aller exploiter les fonds marins. Je rappelle que Monaco a adhéré à ce moratoire. Il s’y est associé dès l’année 2023.
Et puis il y a aussi des annonces faites par différents pays sur la création de nouvelles Aires Marines Protégées. Cela veut dire que le cadre mondial sur la biodiversité, qui préconise de protéger 30% des terres et des mers à l’horizon 2030, continue à vivre.
Pour rappel, il y a 15 ans, il n’y avait pas d’agenda politique sur l’océan. Mais grâce au travail de la communauté  internationale et notamment du prince Albert II, il y a aujourd’hui un agenda. Maintenant il va falloir s’assurer que l’implémentation de ces déclarations soit effective sur le terrain et que les choses se réalisent. Il va falloir également s’assurer que les financements -qui vont avec-soient mobilisés.

Quelques jours avant l’ouverture de l’UNOC, s’est tenue le Blue Economy and Finance Forum. Quel était son objectif principal?

Il y a un consensus qui dit que pour avoir un océan géré durablement il faudrait mobiliser 175 milliards de dollars par an. Or quand vous regardez la réalité des choses on est aujourd’hui à seulement 25 milliards de dollars par an. Il faudrait donc multiplier par 7 ce qui est mobilisé actuellement pour avoir une chance d’avoir un océan qui fonctionne bien. C’est essentiel parce qu’un océan qui fonctionne bien ça apporte plein de choses. Ça apporte une bonne régulation du climat avec les courants marins, ça apporte un puits de carbone, etc. L’océan protège les rivages, ça garde énormément d’intérêt pour les humains à avoir un océan en bonne santé. Mais pour cela il faut mobiliser des financements. C’était d’ailleurs tout l’enjeu du Blue Economy and Finance Forum (BEEF), organisé les 7 et 8 juin par le Gouvernement Princier, la Fondation Prince Albert II de Monaco et l’Institut océanographique de Monaco, avec le soutien de la France et du Costa Rica. Mais ça ne peut pas être que le secteur public qui mobilise ces financements. Aujourd’hui, il faut que le privé, à savoir le secteur de la pêche, du tourisme, du transport maritime et des énergies renouvelables mobilisent aussi de l’argent pour permettre d’avoir un océan géré durablement.

Notre objectif à Monaco du BEEF, c’était justement de créer une dynamique financière pour réduire l’écart entre 25 et 175 milliards de dollars. On a un peu réussi. D’ailleurs, environ 10 milliards de dollars de financement supplémentaires ont été annoncés lors de la conférence.  Ils sont mobilisés pour énormément de projets qui ont été mis en avant avec de nombreux débats pour faire avancer les choses, notamment en matière d’économie bleue.

Au-delà des chiffres, ce qu’on cherche c’est vraiment une dynamique qu’on essaie d’implémenter avec les banques multilatérales, les agences de développement, mais aussi avec les investisseurs privés pour qu’ils prennent conscience que l’océan est rentable. Car c’est un secteur économique dans lequel il y a à la fois des profits à faire, tout en préservant la bonne qualité environnementale de l’océan.
C’est toujours des débats avec une centaine de personnes, une centaine de pays représentés, 140 organisations issus de milieux professionnels très divers, la directrice de la banque européenne, ONG, banques, et cadres notamment. Tous ces gens travaillent sur un consensus et sur la mobilisation de ces financements.

Pourquoi est-ce essentiel d’impliquer les investisseurs privés?

Disons qu’ils ont plusieurs qualités. D’abord, ils ont une capacité de financement plus importante que celle des Etats. Il est donc nécessaire de mobiliser cet argent là. Et puis un autre sujet qui fait qu’il est nécessaire d’impliquer le secteur privé c’est qu’on ne peut plus accepter totalement une relation déséquilibrée entre l’économie et la nature. On ne peut pas accepter que des entreprises viennent développer leurs activités sans tenir compte de la nécessité de garder un océan ou une nature en bonne santé. Elles doivent aussi contribuer à la préservation, à la conservation voire à la régénération des milieux marins. Capacité de financement, capacité d’innovation, et puis nécessité de repenser le modèle économique qui soit moins prédateur de la nature, toutes ces raisons font que c’est nécessaire de mobiliser le secteur privé.

Qu’entend-t-on par économie bleue?

C’est l’économie maritime durable. Si vous prenez toute l’économie maritime, eh bien la moitié correspond à l’extraction d’hydrocarbure. Il y a le pétrole des fonds marins, et ça évidemment ce n’est pas une économie durable. C’est une économie qui contribue directement au réchauffement climatique et qui engendre un certain nombre de pollution.
L’économie bleue c’est vraiment celle qui permet un développement économique, la création de valeur mais sans impact sur l’environnement, ou en tout cas avec un impact minimum pour le bon fonctionnement de l’océan et du climat.

Selon vous, quelle est la mer la plus polluée du monde ?

La Méditerranée est une des mers qui subit le plus de pression au niveau mondial. Quelques chiffres pour illustrer ce constat. La mer Méditerranéenne c’est environ 1% de la surface totale de l’océan, c’est 30% du trafic maritime mondial, c’est 30% du tourisme mondial. Les ressources halieutiques et le poisson qu’on pêche sont aussi très largement exploités. C’est aussi la 2e mer du monde en termes de vitesse de réchauffement climatique. Elle subit plus que d’autres mers les conséquences du réchauffement climatique. Un autre chiffre à souligner, 7% du micro-plastique de la planète se retrouve en Méditerranée qui accumule vraiment des difficultés.

La Méditerranée, qui est riche et qui est un trésor merveilleux à préserver, est aujourd’hui grandement en danger parce qu’elle subit des pressions beaucoup trop fortes. Et tout notre discours à l’Institut océanographique de Monaco c’est de dire qu’il est impératif de mettre en œuvre le cadre mondial pour la biodiversité et de protéger 30% de la Méditerranée.

Propos recueillis par Naima Cherii

 

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