Code de procédure pénale : Ce que dit Me Brahim Rachidi du très contesté article 3

Brahim Rachidi, Professeur universitaire, Avocat et membre du Bureau Politique de l’USFP
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Le polémique projet de loi n° 03.23 modifiant et complétant la loi n° 22.01 relative à la procédure pénale, actuellement en examen au Parlement, sera-t-il amendé ?  C’est jeudi 8 mai 2025 que devaient être déposés les amendements à ce projet. Dans cet entretien accordé à Le Reporter, Me Brahim Rachidi critique le très contesté article 3 de ce projet dont certaines mesures sont en contradiction flagrante avec les avancées en matière de droits de l’homme qu’a connu le Maroc à travers la Constitution de juillet 2011.

 

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Le dernier délai pour le dépôt au parlement des amendements relatifs au projet de réforme du Code pénal était le jeudi 8 mai 2025. Pensez-vous que l’on va pouvoir amender au parlement l’article3? 

En tout état de cause, il faut signaler que le droit est fait pour une société donnée. Mais l’article 3 dans sa dernière forme tel qu’il a été présenté par le gouvernement dans le projet de réforme de Code de procédure pénale (CPP) ne satisfait personne.

Les institutions constitutionnelles telles que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) et l’Instance nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC) sont contre cet article. Car il comporte un certain nombre de mesures qui sont en contradiction flagrante avec les avancées en matière de droits de l’homme qu’a connu le Maroc à travers la Constitution de juillet 2011.

Même le rôle du parquet (procureur du Roi ou procureur général) est réduit dans cet article. Puisqu’il ne peut pas aller de son propre chef et lancer une enquête sur un cas de corruption, sauf dans le cas de flagrant délit, est-il souligné dans le texte. Or en matière de corruption, il est très difficile de saisir une affaire en flagrant délit. Car pour cela, il faudrait que la victime des agissements de la personne qui impose la corruption accepte de jouer le jeu. Or, souvent, ce n’est pas le cas.

Aujourd’hui, les parlementaires sont devant une position historique. Soit ils amendent cet article, et là ils vont montrer aux Marocains qu’ils sont pour  la lutte contre la prévarication et contre la corruption. Soit ils l’acceptent et  l’adoptent tel qu’il est, et ce serait dommage pour le Maroc. Car les investisseurs étrangers vont réfléchir cinq ou six fois avant de venir investir chez nous. L’une des conditions essentielles et attractives pour les investisseurs c’est la sécurité judiciaire.

La loi ne se contente pas seulement de protéger la société, mais constitue la base pour la construction d’une économie forte et attractive pour les investissements marocains et étrangers. En un mot, un CPP clair et transparent renforce la légitimité de la politique pénale et renforce la confiance des citoyens en la justice

Quelles sont vos préoccupations concernant l’article 3?

L’article 3 du projet est anticonstitutionnel, il réduit les pouvoirs du parquet et donne une immunité judiciaire à certains élus corrompus. Ce texte, tel qu’il a été présenté, donne carte blanche à ces élus corrompus. Ce qui veut dire que ces derniers peuvent commettre un certain nombre d’actes de corruption sans qu’ils soient embêtés par le Parquet.

Les procès qui se déroulent aujourd’hui devant les tribunaux sont le fruit d’une plainte diligentée par une association de protection de deniers publics. Mais si l’article 3 est adopté tel qu’il est, une association ayant l’utilité publique et pouvant ainsi saisir le procureur pour dire que dans tel marché ou dans telle commune il y a un soupçon de corruption, eh bien cette association là ne pourra plus agir.

Seuls le Procureur général, le président du Parquet près de la Cour de cassation, saisi par la Cour des comptes, ou une demande avec un rapport détaillé de l’Inspection générale des finances, ou l’administration territoriale, ou les Inspecteurs des ministères, ou l’administration concernée, ou suite à la présentation d’un rapport de l’Instance nationale de la probité et de la lutte contre la corruption, peuvent diligenter une enquête et déclencher une action publique.

L’argumentaire du ministre de la justice selon lequel si on laisse aux associations de la société civile la possibilité de saisir le parquet pour demander une enquête en cas de dilapidation de deniers publics, il n’y aura plus de candidats aux élections.

Je suis d’accord avec Monsieur le ministre. Mais ces candidats dont il parle sont des personnes qui vont se présenter aux élections pour «voler». Or ce n’est pas le cas de tous les élus. Il ne faut pas que la loi protège ceux qui sont venus pour abuser des deniers publics. La loi doit protéger la société et  tous les citoyens y compris les élus. Et si un élu est victime de chantage de la part d’une association qui le soupçonne de corruption il n’a qu’à saisir la justice pour dénonciations calomnieuses.

S’il s’avère pour le parquet qu’il n’y a pas eu de corruption, c’est donc une dénonciation calomnieuse qui est punie par la loi. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur devant le parlement a dit aux élus que le ministère de l’intérieur est là pour charger un avocat de défendre les élus qui sont victimes de chantage.

Ce qui m’a aussi choqué c’est que le ministre de la justice remet en cause le rôle des instances constitutionnelles, tel que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), etc., en affirmant que ces institutions ne légifèrent pas. Cela ramène le Maroc 30 ans en arrière et occulte les progrès apportés par la Constitution de 2011, surtout le renforcement de la bonne gouvernance, la moralisation de la vie publique et la lutte contre la corruption par la mise en place d’un système institutionnel cohérent et harmonieux, notamment l’ancrage des principes de transparence, de responsabilité et reddition des comptes.

La Constitution de 2011 a vraiment permis à la justice de devenir une autorité judiciaire indépendante du pouvoir exécutif. Cela veut dire que le procureur du Roi est indépendant du gouvernement. Or dans l’article, il est dit que même le procureur s’il veut suivre une affaire de ce genre, il faut qu’il aille prendre contact avec la Cour des comptes ou une autre institution. Cela réduit les pouvoirs du parquet, ce qui est contraire à l’article 118 de la Constitution qui stipule que l’accès à la justice est garanti à toute personne pour la défense de ses droits et de ses intérêts protégés par la loi.

De même, l’article 12 de la convention des Nations Unies pour la lutte contre la corruption donne la possibilité à la société civile et aux ONG de dénoncer d’éventuels corrompus.

Or, les dispositions prévues par l’article 3 du projet du CPP réduisent les compétences de la justice dans la protection des individus et des collectivités dans la lutte contre la dilapidation de l’argent public.

Est-ce qu’il fallait vraiment amender l’article 3?

Le Code de procédure pénale c’est l’ensemble de mesures pour la gestion d’un procès équitable aussi bien devant le tribunal que devant le parquet. Ce code date de 2003. Or depuis cette date, le monde a changé. Le Maroc a fait des progrès importants en matière d’informatisation de la société. Et il est toujours en train de moderniser sa justice. Il utilise l’informatique pour simplifier les procédures et pour lutter contre les possibilités d’enfreindre la loi.

Il y avait deux possibilités d’amender. Il y avait la possibilité de procéder à une réforme globale du Code de procédure pénal. C’est-à-dire faire un nouveau code de procédure pénal. Ça n’a pas été suivi par le gouvernement.

Ce dernier a choisi d’amender l’actuel CPP de 2003 en amendant 461 articles. La crainte que j’ai en tant que juriste, c’est qu’il y ait des contradictions entre ce qu’on va amender et ce qui n’est pas amendé.

En tout état de cause, j’espère qu’une fois que ce CPP sera adopté définitivement, le gouvernement, le Chef de gouvernement, ou le président du parlement -de la chambre des Conseillers ou de la chambre des députés- renvoient ce CPP devant la Cour constitutionnelle pour dire si les dispositions contenues dans ce Code sont conformes à la Constitution ou non.

Interview réalisée par Naîma Cherii

 

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