«Sensibiliser» les groupes parlementaires à la situation «catastrophique» dans l’ancienne médina de Casablanca : des élus de l’arrondissement de Sidi Belyout – opposition et majorité- entament cette semaine une campagne de sensibilisation auprès des partis politiques au Parlement, avec une première rencontre avec Nabila Mounib, ancienne secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU).
Dans une nouvelle piqûre de rappel sur l’épineux dossier de la réhabilitation de la médina (intramuros) et de dédommagement des populations qui se trouvent sur le tracé du projet de l’Avenue Royale, les élus de l’arrondissement de Sidi Belyout se tournent vers le Parlement.
Onze élus du Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout ont entamé leur campagne de sensibilisation avec une première rencontre tenue ce mardi 26 novembre à Casablanca, avec la parlementaire et ancienne secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU), Nabila Mounib.
Lors de cette réunion, les élus ont présenté un exposé sur les «irrégularités» qui avaient accompagné les deux projets, soulignent des sources ayant pris part à la rencontre, ajoutant que la parlementaire a assuré que ces deux «dossiers» feront l’objet d’une question au Parlement.
Les élus comptent poursuivre ces rencontres avec plusieurs autres parlementaires, dans le cadre de cette campagne de sensibilisation. «Nous allons voir les députés de différents partis au niveau de Casablanca pour les sensibiliser sur ces deux dossiers complexes», a déclaré mercredi 27 novembre Moussa Sirajeddine, élu de l’Istiqlal au Conseil de l’Arrondissement de Sidi Belyout.
Cette initiative, dit-il, nous l’avons entreprise après que nous ayons frappé à toutes les portes. «Nous avons quatre demandes de rencontre avec le gouverneur (par interim) de Casa-Anfa. Nous avons également demandé à rencontrer le Wali (deux fois), mais en vain. Toutes nos demandes sont restées sans réponse. C’est pourquoi, nous avons décidé d’entamer cette campagne auprès des parlementaires», précise cet élu.
«En tant qu’élus de l’arrondissement de Sidi Belyout, malheureusement, nous ne sommes pas associés à tout ce qui se passe actuellement, que ce soit dans le cadre du grand programme de réhabilitation de la médina (intramuros) ou dans le cadre de l’opération de l’expropriation pour la démolition des bâtiments, afin de dégager la voie pour la réalisation du projet de l’Avenue royale», tient à souligner cet élu de la majorité, dont les différentes composantes seraient en total opposition avec la présidente, depuis plusieurs mois.
Pourtant, dit-il, «les populations nous demandent des explications sur ce qui se passe. Mais nous n’avons pas de réponses. Nous n’avons rien pu faire. Et ce, pour la simple raison : nous sommes, nous-mêmes, écartés de ces deux dossiers ». Il ajouté que les élus ont demandé à la présidente, Kenza Chraibi de tenir une cession pour en discuter mais celle-ci aurait refusé.
Notre interlocuteur ne mâche pas ses mots. «Aujourd’hui, on a une présidente qui mélange entre la médina (intramuros), laquelle est concernée par le grand projet de la réhabilitation et le projet de l’Avenue royale. Elle a signé 1000 décisions de démolition sous prétexte que ces constructions sont des bâtiments menaçant ruine», dit encore notre interlocuteur, pour qui la situation serait devenue très tendue au sein du Conseil.
Projet de l’Avenue Royale, expropriation et irrégularités !
Depuis plusieurs mois, l’ancienne médina de Casablanca est noyée dans une crise profonde suite aux décisions de démolition d’habitations, laissant des centaines de familles sans abri et sans aucune forme de compensation. Plusieurs se sont retrouvés à la rue après avoir quitté leur logement car ils n’ont pas les moyens de payer un loyer, déplorent des associatifs.
Notons que les autorités locales ont, depuis quelques mois, entamé les opérations de démolition d’un ensemble de constructions délabrées, dans le cadre du projet de l’Avenue Royale, initié en 1989. Les autorités, qui justifient cette initiative par le risque imminent d’effondrement, comptent poursuivre ces démolitions pour libérer la voie à ce grand projet, qui vise à moderniser cette partie historique de la ville tout en préservant son patrimoine architectural et culturel. Le recensement accompli par les autorités en janvier 2024 a identifié plus de 1.730 constructions, situées sur le tracé de la future Avenue Royale, qui risquent de s’effondrer.
Mais ces opérations de démolitions ont provoqué des critiques, notamment en raison des conditions de relogement proposées. «La décision de l’évacuation et de la démolition a été rapidement prise. Et l’offre présentée n’est pas à la hauteur des attentes des habitants. Certains d’entre eux se sont vu proposer des montants dérisoires, qui restent loin de la valeur actuelle des biens», regrette un des habitants de la médina.
A la Coordination des «victimes de la délocalisation forcée de l’ancienne Médina», on réclame justice pour les habitants touchés par la décision de démolition de leurs logements. Cette décision, qui date de quelques mois, a été prise malgré les preuves techniques démontrant que seule une démolition partielle était nécessaire pour ces habitations, assure-t-on à la Coordination.
À travers des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, le comité de cette Coordination souligne que certaines de ces habitations ont fait l’objet d’une expertise technique, confirmant ainsi leur viabilité.
Le dossier a été soulevé lors de la rencontre de la parlementaire Nabila Mounib avec les élus du Conseil de l’arrondissement de Sidi Belyout, lesquels pointent la gestion de ce dossier.
«Les constructions se trouvant sur le tracé de la future Avenue Royale ne sont pas des menaçants ruine. Elles sont concernées par un projet d’expropriation pour cause d’utilité publique qui permet aux autorités locales de porter atteinte au droit de propriété et d’obtenir par le biais d’une cession forcée, le transfert à son profit d’un bien immobilier. Mais le fait est que l’on a interdit aux gens pendant plusieurs années d’entretenir leur logement. On savait très bien que si elles ne sont pas rénovées, les constructions allaient se dégrader au fil des années, jusqu’à ce qu’elles deviennent des menaçant ruine. Comme c’est le cas actuellement», explique Moussa Sirajeddine, élu de l’Istiqlal. Et celui-ci de poursuivre : «Il faut trouver des solutions réalistes qui vont rendre justice aux habitants de la médina sans leur porter préjudice. C’est ce qui va d’ailleurs faciliter les opérations de démolition afin de mettre à exécution le projet de l’Avenue Royal».
Médina « intramuros », que devient le programme de réhabilitation ?
Le même élu ajoute que le dossier des constructions menaçant ruine dans ce quartier historique doit être géré dans l’urgence, mais dans le respect des accords et projets conclus devant SM le Roi, insiste-t-il, critiquant également «une mauvaise gestion du dossier de la réhabilitation et de la restructuration de l’ancienne médina «intramuros».
«Normalement, on ne devrait pas entendre parler de relogement des habitants de cette zone située à l’intérieur du mur, surtout qu’elle est concernée par un projet de restructuration et de réhabilitation qui compte à ce jour plus de 90 milliards de centimes», déplore notre interlocuteur.
Selon lui, très peu d’efforts ont été faits pour résoudre la problématique de ce quartier historique. «Alors qu’il existe un grand programme qui consiste à réhabiliter les habitations vétustes. Les gens doivent en principe bénéficier d’un logement adéquat ou une compensation pour louer un appartement. Mais on se retrouve aujourd’hui face à des constructions qui risquent de s’écrouler. Car elles ne sont pas rénovées», a-t-il prévenu.
Au cœur de l’exaspération des élus, des décisions de démolition de près d’un millier de constructions qui risquent de s’effondrer dans cette zone où les autorités locales ont mené en janvier dernier une grande opération bulldozer pour vider les constructions de leurs occupants, sans aucune alternative, indiquent les élus.
Les populations de cette zone ont ainsi été déplacées sans même qu’elles soient au courant des décisions de démolition les concernant, soutiennent-ils.
Selon les dires des mêmes élus, dans plusieurs zones de cette zone, des constructions sont encore dans un état de délabrement très avancé et peuvent s’effondrer à tout moment. Et pourtant rien n’est fait pour les démolir ou les rénover, disent-ils.
Pour rappel, en 2015, les services de l’Agence Urbaine de Casablanca chargée du projet de réhabilitation de la médina ont constaté qu’il y avait risque pour les habitations. Un étaiement d’urgence avait été effectué et les occupants des bâtiments menaçants ruine devaient vivre avec en attendant l’entretien de leur maison.
Mais cette rénovation ne sera pas faite! C’est à croire que certains n’attendent que la dégradation totale de la médina de Casablanca. La situation est «catastrophique», a abondé cet élu, qui pointe «la responsabilité» particulière des autorités.
Notons enfin que 33 milliards de centimes ont été dépensés dans le cadre du premier programme de mise à niveau finalisé en 2013. Une convention a également été signée en avril 2014 devant le Souverain dans le but d’améliorer les conditions de vie et d’habitat des habitants et aussi de redynamiser l’activité commerciale, artisanale et touristique dans cette zone. Pour un budget de 300MDH, ce deuxième programme porte aussi sur la valorisation d’édifices à caractère architectural et patrimonial.
Naima Cherii