La situation des stocks des poissons pélagiques au Maroc serait-elle préoccupante? Depuis quelques jours, le sujet de la baisse drastique du poisson pélagique soulève, en tout cas, une grande polémique au sein des professionnels de la pêche.
Le sujet a été au centre des discussions d’une réunion tenue récemment entre les responsables de l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) et les professionnels de la pêche côtière. Et il sera également à l’ordre du jour d’une prochaine rencontre au ministère de tutelle pour débattre de cette problématique et chercher des pistes de solutions à ce phénomène, qui prend de l’ampleur, confient des sources bien informées. A l’heure où nous mettions en ligne, aucune date n’a encore été fixée.
Les mêmes sources pensent que cette rencontre, qui aura lieu entre la Secrétaire générale du ministère de la Pêche maritime, Zakia Driouich et les professionnels de la pêche, serait houleuse! La raison? «Certains professionnels, qui vont participer aux discussions, sont pointés du doigt et critiqués d’avoir fortement contribué à cet épuisement des stocks des pélagiques notamment dans les provinces du sud» précisent encore nos sources.
Joint au téléphone par Le Reporter, le Président de la Fédération des chambres des pêches maritimes, Larbi Mhidi, affirme également que les captures des poissons pélagiques au Maroc sont actuellement en forte baisse dans pratiquement toutes les zones du pays.
Selon lui, les stocks se trouvant en Méditerranée sont les premiers à avoir connu ce phénomène de chute du poisson et ce, depuis plusieurs années déjà. Mais, ajoutera-t-il, ces deux dernières années, les choses vont aussi mal dans les zones de l’Atlantique. Une baisse importante du pélagique (sardine, maquereau…) a également touché d’autres stocks situés dans cette zone, regrette le Président Mhidi. «On ne peut pas continuer de regarder ailleurs. Il est temps de prendre des décisions pour stopper l’hémorragie», lance le Président de la Fédération des chambres de pêche maritime, Larbi Mhidi, soulignant que «la fédération des chambres des pêches maritimes compte présenter ses propositions, lors de la prochaine réunion au ministère pour faire face à cette situation préoccupante des stocks des ressources pélagiques».
En été 2023, rappelons-le, l’INRH a réalisé une étude qui a évalué les stocks de poissons pélagiques dans les eaux marocaines. Cette étude a confirmé cette chute «catastrophique» des poissons pélagiques. Les chiffres officiels indiquaient que les débarquements des petits poissons pélagiques ont enregistré une baisse d’environ 26% entre 2022 et 2023. C’est ce qui explique d’ailleurs l’interdiction de la pêche de ces poissons en janvier dernier dans les pêcheries de la zone sud, lesquels approvisionnent plusieurs marchés de gros de poisson du pays. Cette décision a été prise en accord avec l’INRH et en concertation avec les différentes Chambres régionales de la pêche maritime.
Dans les ports de Dakhla, Laayoune, Tarfaya. Tan-Tan, Sidi Ifni, Agadir ou encore Safi, des centaines de pêcheurs opérant à bord de bateaux sardiniers étaient en effet en arrêt depuis la mise en œuvre de cette décision d’interdiction de la pêche sardinière, laquelle était prévue du 1er janvier jusqu’au 15 février pour Dakhla et jusqu’au 1er février pour les autres ports, rappellent encore nos sources.
Au total, 28 navires RSW et 79 bateaux sardiniers au port de Dakhla étaient concernés par cette interdiction. Et dans la zone allant de Laayoune à Agadir, plus de 500 sardiniers n’ont pris la mer qu’à compter du 1er février 2024.
Mais la situation ne semble pas s’améliorer pour autant. «Ce repos biologique était une bonne chose pour la ressource. Mais un mois et demi d’arrêt d’activité c’est très peu. Il faut plus au regard de la forte chute de la ressource. Disons qu’il faut deux repos biologiques par an, si on veut vraiment préserver le stock du poisson pélagique», confie à Le Reporter un pêcheur, membre de l’association nationale des marins-pêcheurs du Maroc.
«Les quantités capturées ces dernières années ont beaucoup baissé. La situation pourrait encore devenir plus critique si rien n’est fait. La pêche des poissons pélagiques est menacée dans toutes les zones du pays y compris celle du stock C, laquelle était pourtant connue par ses ressources très abondantes», affirme ce pêcheur exerçant à bord d’un RSW à Dakhla.
Celui-ci, qui évoque une surexploitation de la pêche de la sardine et des maquereaux à Dakhla, pointe les bateaux RSW. «Il y a une chute du stock des petits pélagiques pendant toute l’année dans les eaux de Dakhla. Et le filet pélagique utilisé par ces navires RSW fait des ravages à la ressource. Certaines voix pensent que ces bateaux doivent utiliser la seine au lieu du filet pélagique. Sinon on va encore souffrir de la diminution de la sardine et du maquereau dans les années à venir», conclut notre interlocuteur.
Il convient de signaler qu’un nouveau rapport de l’INRH rappelle que l’état des ressources pélagiques reste hautement préoccupant notamment dans la zone sud du Royaume. Ce rapport, qui sera présenté lors de la rencontre qui se tiendra dans les tout prochains jours au ministère de la pêche, montre toujours une diminution drastique du poisson pélagique dans les eaux marocaines, selon des sources proches du dossier.
Les explications de l’INRH et des professionnels…
Comment expliquer ce phénomène de chute des poissons pélagiques ? Quels sont les facteurs qui ont conduit à cette situation très préoccupante ? A l’INRH, on explique cette chute par les effets du réchauffement climatique. Mais les professionnels n’en sont pas très convaincus.
Plusieurs d’entre eux, approchés cette semaine, ont tenu à alerter sur les vraies raisons. Ils critiquent «les failles au niveau du contrôle effectué par l’administration». Ce qui explique, selon eux, l’activité illégale de certaines barques opérant dans la pêche artisanale au niveau de toutes les zones concernées par cette surexploitation.
A la Fédération des chambres des pêches maritimes, pour ne citer que cette instance professionnelle, on pointe surtout des barques dites «Souilka». Son Président n’y va pas par quatre chemins. «La situation est catastrophique. Dans les zones allant de Saidia jusqu’à Mohammedia, on ne trouve plus de sardine. On y trouve un peu d’anchois et de kabaya mais pas de sardine. Ce problème a commencé depuis l’apparition des «souilkas» dans la zone nord, avant d’envahir les zones de l’Atlantique. On ferme les yeux sur ces barques qui opèrent à moins de 1000 miles marins de la côte. Elles ne sont pas autorisées mais elles capturent de grandes quantités de poissons pélagique, dont les sardines «mères» qui vont pondre dans les eaux près de la côte», affirme Larbi Mhidi.
Selon cet armateur de la pêche côtière, ce phénomène a été constaté depuis déjà 2013. Mais, ces dernières années, le problème a pris de l’ampleur, avec un nombre totalisant actuellement 1000 barques de «Souilka» au lieu de 80 en 2013, assure notre interlocuteur.
Mais ce qui est encore plus grave pour notre interlocuteur. C’est que ces «Souilka» utilisent la pêche électrique, déplore-t-il. Cette technique de pêche est interdite mais depuis un certain temps elle est utilisée à plus grande échelle notamment dans les zones de l’Atlantique, dit-il. «A Mohammedia, pour ne citer que ce port, depuis que cette pêche électrique a été interdite dans la zone de l’Atlantique, des armateurs louent les services de ces barques dites «Souilka», lesquelles pêchent pour eux les poissons pélagiques en utilisant la pêche électrique. Sachant que cette pratique est constatée également à Casablanca, El Jadida, ou encore Safi. On craint que demain cette pratique touche également Dakhla ou Boujdour», selon le Président de la Fédération des chambres des pêches maritimes, qui évoque aussi un autre facteur: la pêche dans les zones rocheuses.
D’autres professionnels parlent de tout autre chose. Leur témoignage nous confie un autre facteur qui aurait conduit à cette situation très préoccupante de l’épuisement des stocks des pélagiques. «Durant certaines saisons de l’année, les poissons pélagiques (le juvénile) migrent du nord vers le sud. Lorsque le poisson prend son chemin de retour du sud vers le nord du Maroc, il rencontre un premier obstacle au niveau des eaux de la Mauritanie. «Ce poisson est capturé par les bateaux turcs et chinois qui sont autorisés à pêcher dans les eaux de ce pays. C’est ce qui fait que le poisson ne peut plus revenir chez nous. Et quand bien même le peu de poisson qui arrive au niveau des provinces du sud, il rencontre un autre obstacle. Certains opérateurs de la pêche hauturière le capture l’empêchant d’arriver à la zone centre et nord du pays», témoignent ces professionnels membre de la Fédération nationale de la pêche artisanale.
Ce sont là quelques facteurs «très inquiétants» qui jouent, selon nos sources, sur l’évolution des stocks du poisson pélagique. S’y ajoute le réchauffement climatique qui, selon les scientifiques de l’INRH a un effet sur la qualité et la quantité du plancton qui constitue la base alimentaire des larves de poissons. Un dossier à suivre…
Naîma Cherii