Il fallait s’y attendre. Jusque-là, le parcours était un sans-faute. Les éloges ont coulé à flot… «Le Maroc érigé en modèle pour sa gestion de Covid», «le Maroc vaccine 50% plus vite que l’Allemagne», «la vaccination au Maroc est mieux organisée qu’en France et dans plusieurs pays d’Europe», etc, etc.
Tout cela est vrai.
Le Maroc a fait fort, de bout en bout de sa gestion de la pandémie. Et, franchement, cette incroyable préparation et organisation de la campagne de vaccination, mérite ces applaudissements…
Une vaccination gratuite, dont bénéficient tous ceux qui habitent au Maroc, nationaux comme étrangers. Une préparation minutieuse, tant pour la mise à disposition de centres de vaccination à travers tout le territoire (plusieurs par ville), que pour leur affectation aux résidents de proximité. Un système démocratique à 100%. Tout citoyen qui envoie le numéro de sa carte nationale (ou carte de séjour pour les étrangers), par SMS gratuit au numéro dédié 1717, reçoit dans les 30 secondes qui suivent, un SMS de réponse lui indiquant le centre où sa vaccination est programmée et la date du rendez-vous (c’est dire si tout était soigneusement préparé). Dans les centres de vaccination, même organisation impeccable, même souci d’égalité de traitement pour tous: inscription à l’arrivée au centre, consultation par un médecin, enregistrement, injection du vaccin, 15 mn de repos dans une salle d’observation… Et dès le lendemain, possibilité de refaire la même démarche SMS pour avoir la date de l’administration de la 2ème dose (4 semaines d’espacement pour AstraZeneca, 3 semaines pour Sinopharm). A ladite date, tout se passe comme la 1ère fois.
Cette remarquable organisation en a laissé plus d’un bouche bée. Y compris au Maroc. Voilà pourquoi les médias allemands ont reconnu que le Maroc vaccinait 50% plus vite que leur pays…
A la date du 24 mars (2021), 4.284.060 s’étaient vus administrer leur 1ère dose et 2.844916 les deux doses.
La campagne de vaccination se déroulait, réglée comme du papier à musique.
Mais -car il y a un mais- le Maroc est aujourd’hui rattrapé par le problème auquel sont confrontés tous les autres Etats: les retards de livraison.
Le pays a reçu 8,5 millions de doses de vaccin (1,5 million de Sinopharm et 7 millions d’AstraZeneca). Ces deux vaccins ayant été essentiellement choisis pour la facilité de leur transport et conservation à une température de 2 à 8 degrés, alors que les vaccins américains exigent d’être conservés à moins 70° ou moins 80°, sous peine de rupture de la chaîne du froid et donc de détérioration du vaccin.
C’est ce qui a permis de vacciner tous les front-liners (personnel médical, Forces Armées Royales, personnel enseignant, personnes souffrant de maladies chroniques ou de comorbidité, tranches d’âge des plus de 70 ans, puis 65 ans, puis 60 ans).
Or, au moment de passer à la tranche d’âge 45-60 ans, les livraisons de doses ne sont pas au rendez-vous. Pourtant ce n’est pas faute, pour le Maroc, d’avoir anticipé et pris toutes les précautions. Rabat avait passé un accord avec le chinois Sinopharm. Participant à la 3ème phase des essais cliniques de ce vaccin (600 citoyens marocains s’y sont prêtés), le Maroc devait avoir la priorité pour 40 millions de doses de Sinopharm et le OK pour un transfert de technologie permettant la production du vaccin au Maroc-même. Et voilà qu’AstraZeneca, qui ne devait livrer que 20 millions de doses de son vaccin faisait mieux que la Chine, dont personne au Maroc ne comprend le comportement en l’occurrence.
Certes, les autorités sanitaires marocaines se démènent pour acquérir d’autres vaccins. Une autorisation vient d’être signée pour le vaccin russe Spoutnik dont devrait être livré 1 million de doses. D’autres voies sont explorées, assure-t-on au ministère de la Santé. Néanmoins, l’inquiétude gagne tous ceux qui craignent une rupture de stocks. D’autant que, pour AstraZeneca, l’Union Européenne hausse le ton, exigeant d’être servie en priorité ; et que s’y ajoutent les sorties médiatiques des scientifiques nationaux qui, en pensant rassurer l’opinion publique, l’inquiètent davantage en distillant leurs suggestions de rationalisation de la vaccination (espacement plus grand entre les deux doses: 3 mois au lieu de 4 semaines ; une seule dose pour ceux qui ont contracté le virus Covid-19, etc).
A quelque chose malheur est bon. Cette dépendance du bon vouloir des fournisseurs, qu’accompagne la crainte de voir la campagne de vaccination -dont la cadence était jusque-là aussi rapide que régulière- recevoir un brutal coup d’arrêt, donne à réfléchir.. Avant que les problèmes de livraison de doses de vaccin n’apparaissent, le Maroc ne visait pas seulement une autosuffisance. Il visait aussi une production locale du sérum qui lui aurait permis de servir d’autres pays d’Afrique. D’où la participation aux essais cliniques du vaccin chinois et l’accord avec Sinopharm.
Plus que jamais, le Maroc a besoin de laboratoires et de scientifiques nationaux, pouvant lui assurer une filière de production de vaccins qui mette fin à sa dépendance des marchés extérieurs, couvre ses besoins et en fasse un hub de distribution utile au continent.
L’Union Européenne, aujourd’hui grincheuse et un tantinet égoïste, ne l’était pas hier, si l’on en croit ce que disait un porte-parole de la Commission européenne, mi-février dernier. Ce responsable européen assurait que Bruxelles serait prête à participer au financement d’une unité de production de vaccins au Maroc dédiée à l’Afrique «dans le cas où des entreprises pharmaceutiques feraient une proposition claire et structurée, réunissant toutes les conditions d’une chaîne de production satisfaisante au Maroc, incluant les conditions techniques, réglementaires, de licence…».
Qu’est-ce qu’attend le Maroc pour mettre sur pied cette «proposition claire et structurée» ? Non seulement au rythme auquel avance la vaccination anti-Covid, elle a encore plusieurs années devant elle. Mais, quand bien même la pandémie serait maitrisée, l’Afrique aurait toujours besoin de sa propre unité de fabrication de vaccins. Question d’indépendance sanitaire, aussi importante que l’indépendance alimentaire. Parce qu’il est tout simplement question de vie humaine.
Bahia Amrani