Tragédie de Tanger : Informel, quelle réalité ?

L’informel se retrouve encore une fois pointé du doigt avec la tragédie de Tanger, pourtant, il fonctionne au vu et au su des autorités. Ce secteur serait appelé à se développer avec la montée du taux de chômage induite par la crise sanitaire.

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Comme à l’accoutumée, chaque fois que survient un drame où des ouvriers perdent la vie, le débat sur l’informel refait surface. Ce secteur se retrouve encore une fois pointé du doigt avec la tragédie de Tanger, pourtant, il fonctionne au vu et au su des autorités. Il continue, en effet, à s’imposer parce que les politiques sectorielles mises en place par l’Etat pour la création de l’emploi n’ont pas donné les résultats escomptés. Une situation qui risque de s’aggraver à cause de la pandémie se traduisant par une montée en flèche du taux de chômage et une dégradation du taux d’activité au Maroc en 2020. Selon le Haut-commissariat au Plan (HCP), entre 2019 et 2020, le nombre de chômeurs a bondi de 322.000 personnes, passant de 1.107.000 à 1.429.000 chômeurs, ce qui correspond à une augmentation de 29%. Cette hausse est exclusivement attribuable au chômage d’individus qui ont perdu leur emploi. Des milliers de personnes inactives seront ainsi obligées de migrer vers l’informel pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Sachant que la hausse du chômage a concerné l’ensemble des catégories de la population. Selon les derniers chiffres du HCP, le taux de chômage s’est accru respectivement de 2,9 points pour les hommes à 10,7%, et de 2,7 points pour les femmes à 16,2%. Au niveau des diplômés, le taux de chômage a enregistré une hausse de 2,8 points à 18,5% et parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans de 6,2 points à 31,2%. Cette réalité lourde de conséquences serait appelée à durer étant donné les retombées économiques et sociales de la pandémie qui n’ont épargné aucun secteur d’activité. Pire encore, nombreuses sont les entreprises qui vont basculer vers l’informel qui pèse, selon une étude réalisée par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), plus de 20% du PIB, hors secteur primaire et 10% des importations formelles. D’après cette même étude, l’économie informelle impacte de manière variable les secteurs d’activités : 54% du poids de l’économie informelle dans le textile et habillement, 32% dans le transport routier de marchandises, 31% dans le BTP et 26% dans l’industrie agroalimentaire et tabac, hors secteur primaire.

Complexité

D’ailleurs, la CGEM plaide, depuis des années, pour l’élaboration d’une stratégie intégrée et concertée avec le secteur privé pour venir à bout du secteur informel. Une stratégie qui a tardé à voir le jour. Même le gouvernement, qui était très attendu sur ce dossier qui figure, d’ailleurs, parmi les engagements de la déclaration gouvernementale, reconnaît le caractère complexe du secteur. Ils sont aujourd’hui plus de 3 millions d’entités (TPE/TPI) qui opèrent sans couverture sociale, sans cotisation, ni couverture vie-retraite, ce qui les place en marge du circuit économique, selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Dans son rapport sur publié en 2016 sur «L’auto-entreprise, levier de développement et d’intégration du secteur informel», le CESE a présenté des recommandations et des propositions de nature à contribuer aux efforts visant le soutien de l’auto-emploi et l’intégration du secteur informel dans les différents secteurs productifs. Les recommandations du Conseil se déclinent sur trois niveaux. Le premier est en rapport avec la vision globale à travers laquelle le Conseil aspire à engendrer un changement qualitatif au niveau du modèle économique de développement pour le rendre plus efficace et plus efficient et pour qu’il offre la possibilité d’appui à l’auto-initiative et à la création d’une entreprise capable de relever les défis de la concurrence et de gagner les paris futurs. Cette vision s’articule autour des grands changements à entreprendre pour l’appui à l’auto-emploi. Le second niveau porte sur les conditions objectives de succès de l’auto-entreprise au niveau de l’organisation, la réhabilitation et la protection de manière à faire de l’auto-entreprise un outil efficace de contribution à l’intégration du secteur informel et à la modernisation sectorielle. Le troisième niveau insiste sur l’accompagnement, la formation, le financement et l’incubation, en réponse aux besoins de l’auto-entreprise, pour ainsi contribuer à l’intégration du secteur informel et créer un climat d’affaires convenable et incitant à l’initiative.

Interrelation entre le formel et l’informel

De part et d’autre, il faudrait reconnaître que sur les différentes initiatives lancées en matière de promotion de l’entrepreneuriat et de création des entreprises (Moukawalati, Moussanada, Tahfiz, Imtiaz …), seul le régime de l’auto-entrepreneur fait état d’un bilan plus ou moins positif. Près de 6 ans après sa mise en œuvre,  plus de 120.000 personnes ont adhéré à ce système destiné à faciliter l’intégration des porteurs de projets dans le secteur formel. Néanmoins, ce dispositif, à lui seul,  n’est pas suffisant pour transformer un secteur composé de différents types et tailles d’unités informelles. Comme cela a été recommandé par le CESE, il faut œuvrer en faveur de la modernisation et de la professionnalisation des «petits métiers», de mettre en œuvre des plans de formation pour TPE-TPI et enfin d’engager des démarches structurantes et une mise en relation avec les acteurs privés, relais important pour l’accompagnement technique, financier et managérial. A ce titre, il convient de noter que bien qu’il existe parfois une concurrence déloyale entre le formel et l’informel, une interrelation entre les deux secteurs n’est pas à négliger. Ils sont souvent la main dans la main pour des questions de compétitivité et de flexibilité. C’est le cas notamment dans l’informel de commerce qui constitue une plateforme de distribution très attrayante permettant de distribuer beaucoup plus que dans le circuit formel. Même dans le secteur du textile, cette collaboration a tendance à se consolider surtout en ces temps de crise. Bref, dans une économie où la fiscalité est inadaptée, le foncier est trop cher et le financement demeure difficile d’accès particulièrement pour les TPME/TPI, le coût de l’entrepreneuriat sera insupportable et l’informel ne pourrait que continuer à s’imposer…

Nadia Benyouref

 

 

 

 

 

 

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