29 personnes ont perdu la vie, lundi 8 février, suite à l’inondation d’une unité industrielle clandestine de textile, dans le quartier résidentiel Al-Enas, dans la zone d’El Mers à Tanger. La police judiciaire a entamé, ce mardi 9 février, son enquête sur l’affaire.
7h30-8 heures, lundi 8 février 2021, quartier résidentiel Al-Enas, dans la zone d’El Mers à Tanger. Une noyade de plusieurs travailleurs a eu lieu dans une usine clandestine de textile. Etablie dans un sous sol – sur deux niveaux- d’une villa dans le quartier résidentiel Al-Enas, dans la zone d’El Mers, l’usine est spécialisé dans la sous-traitance et fournit un opérateur de textile de la ville. Plus d’une quarantaine de travailleurs -qui étaient présents sur le site- est prise au piège et est rapidement encerclée par les eaux des pluies torrentielles qui se sont abattues sur la ville, témoigne l’une des survivantes de ce drame.
Une demi-heure de pluies violentes a suffi pour que les eaux inondent la cave, emportant des vies par noyade, dans cette fabrique de la mort. Les eaux des précipitations se sont rapidement infiltrées dans le deuxième sous-sol où 19 femmes ont perdu la vie. Et 7 personnes (des hommes) sont mortes au premier sous-sol, qui sert de dépôt et où les hommes s’activaient pour emballer la marchandise, raconte la survivante.
Ce n’est que deux heures plus tard, que les secouristes arrivent sur les lieux. Les services de la protection civile ont pu récupérer dix huit survivants qui ont été conduits à l’hôpital régional pour recevoir les soins nécessaires, selon les autorités locales. Le bilan final de ce drame a grimpé à 29 personnes.
Un autre bilan non officiel fait état d’au moins 32 morts, selon des médias locaux, qui ont lié l’augmentation du nombre de morts à un problème d’électrocution. Une version qui n’a d’ailleurs pas été confirmée par les autorités locales qui ont expliqué cet incident dramatique par les eaux pluviales dont la montée rapide aurait bloqué l’accès au sous-sol, entraînant la mort par noyade des travailleurs.
A qui la faute ?
Cette nouvelle tragédie rappelle la triste affaire Rosamor survenue en 2008 à Casablanca. Elle remet, entre autres, au devant de la scène nationale la menace que font peser les unités de production informelles sur la sécurité des travailleurs.
Selon une source travaillant dans la protection civile à Tanger, contactée par nos soins, les règles de sécurité au travail n’étaient pas respectées dans cette usine où la cave n’a même pas d’issue de secours.
L’atelier, qui employait plus de 130 travailleurs, est situé dans une zone résidentielle composée essentiellement de villas et où, selon nos sources, il est interdit d’implanter des sites industriels. Or, selon nos sources bien informées, cela fait plus de dix ans que cette usine de «la mort» existe !
Les travailleurs y respectaient des horaires bien précis. Sans compter les allers-retours des camions qui déchargeaient et chargeaient de la marchandise.
«Comment expliquer que des dizaines d’ouvriers et d’ouvrières ont pu exercer leurs activités pendant plusieurs années dans la cave d’une villa sans que les autorités locales ne s’en aperçoivent», martèle Mohamed Benaissa, président de l’Observatoire du nord des droits humains.
A qui la faute ? Le président de l’observatoire ne mâche pas ses mots. Tous les intervenants dans ce dossier sont responsables, concède-t-il, fermement. « L’activité existe au vu et au su de tous », lance-t-il. D’ailleurs, poursuit-il, « une autorisation a été délivrée au propriétaire de l’usine par la commune d’El Mers pour lancer son projet ». En principe, ajoute notre associatif, cette autorisation ne devait être accordée qu’après une visite des lieux par une commission mixte, laquelle établit un rapport. «Une installation était nécessaire pour fournir une puissance à très haute tension. C’est d’ailleurs avec cette autorisation que le propriétaire de l’usine a eu l’accord d’Amendis Tanger pour l’installation de machines textiles à haute tension (380 volts), équipements de production adaptés au secteur du textile à travers des machines. Sans cela, le confectionneur n’aurait pas lancé son activité industrielle alors même que le bâtiment ne répond pas aux normes», explique notre interlocuteur. L’atelier de « la mort » à Tanger était donc bien autorisé à exercer son activité!
Et que dire alors des contrôleurs du ministère de l’Emploi et de l’insertion professionnelle? Pendant toutes ces années, des missions d’inspection ont-elles été effectuées à l’intérieur de cette cave-fabrique? Et pourquoi aucun rapport n’a comptabilisé les violations aux normes de travail dans cette cave-fabrique? «On aurait pu empêcher ce drame qui a causé la mort de 29 travailleurs», regrette un autre associatif local à Tanger, lequel n’a pas manqué de s’interroger : L’usine de Tanger, était-elle liée à des compagnies par des polices d’assurances multirisques professionnelles? Les victimes et les ayants droit vont-ils recevoir des réparations matérielles dans le cadre du régime des accidents de travail? Il faut attendre l’action publique pour savoir les montants de leur dédommagement dans une tragédie qui a marqué tous les esprits.
Les ateliers «clandestins», des sous-traitants pour des donneurs d’ordre espagnols !
Des fabriques de textile de ce genre, «on en compte plusieurs dans certains quartiers de la ville de Tanger», affirme notre associatif, qui évoque, entre autres, le quartier «Al Majd» dans la zone de Mghougha.
Selon notre source, ces unités illégales sont installées dans des garages ou des sous-sols de bâtiments destinés à l’habitat. Elles se spécialisent dans l’industrie textile exclusivement tournée vers l’exportation, sans se soucier de la protection des droits fondamentaux des travailleurs, notamment en termes de sécurité. Selon une source bien informée, pratiquement, tous les propriétaires de ces ateliers clandestins où le droit des travailleurs est bafoué, sont des sous-traitants de donneurs d’ordres espagnols. Certaines usines ont d’ailleurs été constituées, il y a moins d’un an, sous la crise sanitaire liée à la Covid, assure-t-on.
Comment expliquer alors que tous ces confectionneurs ne soient jamais inquiétés? Faut-il attendre la mort d’autres travailleurs pour réagir?, laisse-t-on entendre à l’observatoire du nord des droits humains. «Des milliers d’ouvriers et d’ouvrières continuent de travailler dans des unités clandestines de textile à Tanger. Et si rien n’est fait pour mettre de l’ordre dans le secteur, on va assister à d’autres drames dans un futur très proche, surtout avec ces fortes pluies», alerte le président Mohamed Benaissa. Il dénonce cette situation depuis plusieurs années sans susciter de réactions sincères des autorités.
Un témoignage confirmé par un opérateur de textile membre de l’AMTH, joint par nos soins, ce lundi 8 février. Cet industriel, qui a requis l’anonymat, reconnait l’existence, dans plusieurs villes, d’un nombre considérable de fabriques «informelles» ne répondant pas aux normes légales. «Le gouvernement doit prendre des mesures urgentes pour régler ce problème», lance cet opérateur, qui cite les villes de Casablanca et Tanger comme fiefs de «ces ateliers clandestins».
A noter que les présidents des différents groupes parlementaires ont déploré, début de cette semaine, «l’existence de ces usines clandestines» tout en appelant à une enquête «complète» pour «établir toutes les responsabilités» du drame de Tanger, a-t-on appris.
La BNPJ enquête…
Cette tragédie continuera à faire l’actu des chroniques judiciaires. Une enquête sous la supervision du parquet a été ouverte pour élucider les circonstances de la tragédie et déterminer les responsabilités. Le propriétaire de l’atelier, qui fait partie des rescapés hospitalisés, «sera entendu dès que son état le permettra», nous a-t-on assuré, ce mardi 9 février. Le lendemain, son état était toujours critique, selon nos sources bien informées. D’ailleurs, on a appris que les inspecteurs de la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) ont débarqué à l’administration communale d’El Mers à Tanger. Ils ont examiné des dossiers et ont notamment interrogé le responsable des autorisations à la Commune. Les enquêteurs de la BNPJ ont également débarqué dans les locaux d’Amendis Tanger et entendu des agents d’autorité pour clarifier les circonstances de la catastrophe et déterminer les responsabilités.
Naîma Cherii