«Casablanca est à la limite de la saturation en termes de lits de réanimation»
Les chiffres de contamination ne cessent de grimper. Le mois d’octobre a connu le plus grand nombre des cas graves. Comment l’expliquez-vous?
C’est une évolution qui a commencé au mois d’aout après l’Aïd El Kebir. Je pense que c’est depuis ce moment là que le virus commençait à circuler de plus en plus. Bien évidemment, il y a un autre élément à prendre en compte: les vacances. Durant cette période, les gens ont beaucoup bougé, ce qui a fait que progressivement le virus a circulé partout. Et puis, il y a un élément très important: On a tous constaté un relâchement très important dans les mesures de prévention, surtout durant les mois d’août, septembre et octobre. Par ailleurs, j’ai l’impression que quelque chose s’est produit à un moment donné au mois d’août. Les gens n’avaient pas envie d’aller à l’hôpital. Ils commençaient à essayer de rester à la maison le plus longtemps possible. Ce qui fait que lorsqu’ils arrivent à l’hôpital, ils sont dans un état grave voir même dans un état gravissime.
Selon vous, a-t-on atteint le plateau?
Je pense que ça va probablement augmenter encore. Les chiffres vont continuer à grimper et il va falloir qu’on fasse tout pour essayer de contrôler et réduire cette ascension des cas de contaminations avant que le climat devienne plus froid. Sachant que le virus lié à la pandémie de coronavirus résiste au froid.
Quelles sont les difficultés qu’on pourrait vivre dans les jours qui viennent?
La situation est très inquiétante. Les nombres vont encore augmenter. Le turnover au niveau de réanimation n’est pas suffisamment rapide. Car cette maladie, lorsqu’elle est sévère, demande du temps avant de pouvoir dire que telle personne peut sortir de la réanimation.
Quand on dit que le jour X on a eu par exemple 4000 nouveaux cas. Eh bien, ces 4000 nouveaux cas vont nous donner un certain nombre de personnes qui vont être hospitalisées et d’autres patients qui devraient être en réanimation. Disons par exemple que 1% de ces malades vont avoir besoin d’unités de réanimation. On a donc besoin de 40 lits de réanimation en une journée. Mais si, demain, on reçoit encore 4000 on aura besoin de 40 lits de réanimation supplémentaires, alors que les 40 premiers ne seront pas encore sortis de la salle de réanimation. Car la durée de séjour en réanimation est longue. La pandémie de la Covid-19 n’est pas une maladie qu’on peut traiter en quelques jours. Chaque jour apporte de nouveaux patients graves pour la réanimation. Malheureusement ces patients quand ils arrivent en salle de réanimation ils ont déjà occupé le lit pendant 10-15 jours voir même 21 jours. Beaucoup d’entre eux restent deux semaines voir trois à l’hôpital. Et c’est la raison de la saturation de nos hôpitaux. Voilà, ce sont les difficultés qu’on va vivre de plus en plus dans les jours à venir à Casablanca, qui est actuellement à la limite de la saturation, notamment en termes de lits de réanimation.
Selon vous, va-t-on vers un retour au confinement?
Le confinement est l’une des mesures qui permet de réduire la transmission du virus, parmi d’autres mesures (distanciation physique, lavage des mains, port de masque, etc). Si on n’arrive pas à régler le problème, il faut que les gens restent chez eux. C’est très simple: vous voulez laisser le virus circuler, laissez les gens circuler. Car, ce sont les gens qui font transmettre le virus. Si on veut limiter la progression du virus, il faut donc que les gens circulent le moins possible. Et le mieux c’est de rester confiné à la maison. C’est une solution extrême vers laquelle on va être poussé par nécessité.
Maintenant, le confinement va peut être permettre de réduire la progression du virus et peut être va mieux contrôler la pandémie. Mais il y a aussi d’autres problèmes économiques. Est-ce qu’on a les moyens de faire un autre confinement ? Je crois que ça va être difficile cette fois. On a déjà fait un confinement. Ce n’était pas facile. L’Etat a agi et aidé mais est-ce qu’il pourra toujours aider ? Je ne pense pas.
Le Maroc a opté pour l’usage de la Chloroquine pour traiter la Covid-19. Selon vous, à quel pourcentage ce médicament a-t-il été efficace?
Personnellement je suis pour l’usage de la chloroquine pour traiter la Covid-19. Pourquoi? D’abord parce qu’il n’y a rien d’autre. Il n’y a aucun traitement qui soit parfaitement validé pour traiter la pandémie. On va d’ailleurs entendre parler de plusieurs produits. Il y a l’antiviral drandivilir, par exemple. Il y a également certains produits qui agissent sur l’inflammation et aussi les corticoïdes. Mais aucun pris isolément n’est un traitement qui a été totalement validé pour la Covid.
Peut-on confirmer que les guérisons enregistrées au Maroc ont été le résultat de l’usage de la Chloroquine?
Pour l’instant on ne peut pas le confirmer. Il faudrait qu’on puisse analyser tous les cas de covid-19 au Maroc qui ont pris de la chloroquine et de l’asytromicine. C’est-à-dire ceux qui ont suivi le protocole de traitement recommandé par le ministère de la santé. Le jour où le ministère fera cette étude on verra peut être des choses qu’on ne voit pas actuellement. C’est très compliqué. Il faut voir à quel moment on a donné ce traitement aux patients? A quel stade ils étaient à ce moment là? Malheureusement, il faut un travail énorme. Mais pour l’instant on est dépassé. On est pris dans un engrenage de traitement, de prise en charge et de gestion. Or ce travail là on doit le faire sur un grand nombre de personnes et au niveau de plusieurs hôpitaux pour pouvoir dire si oui ou non on a gagné à donner ce produit. Lequel est très utilisé dans certaines maladies de système qui touchent tout l’organisme. Il est également utilisé par les médecins internistes et rhumatologues. Ça rend service dans certaines pathologies où il y a de l’inflammation, et là dans cette pandémie liée au Coronavirus, il y a aussi l’inflammation. C’est ce qui fait la gravité de cette épidémie. C’est cette inflammation qui survient au tour du 8ème ou 9ème jour de la maladie.
On parle aussi des effets secondaires de ce produit…
Si on est devant une forme grave je reconnais que le rapport entre le bénéfice qu’on va en tirer et le risque pour le patient, peut être défavorable. Je ne suis pas pour donner ce traitement à quelqu’un qui est déjà dans une forme sévère. Car c’est déjà trop tard. L’inflammation est déjà là. Le virus a presque disparu, mais il y a de l’inflammation partout. Par contre, chez une personne qui va relativement bien, qui n’a pas encore atteint la forme sévère, et qui n’a pas encore beaucoup d’inflammation, eh bien pourquoi pas ? Je suis convaincu que la Chloroquine (en plus de l’azytromycine) donné à cette personne, on pourrait lui éviter d’arriver au stade sévère. Je ne dis pas que ça va marcher à 100%. Mais il y aura un certain pourcentage de cas qui vont quand même bénéficier de ce traitement. Car il s’agit d’un produit qui est ancien, et dont on connait les effets secondaires. La plupart des effets secondaires surviennent après une crise de longue durée.
Enfin, notons que l’on ne doit donner ce traitement qu’après avoir fait un certain nombre d’examens. Il faut absolument qu’il y ait un électrocardiogramme (ECG) qui va nous permettre de détecter s’il y a des troubles du rythme au niveau du cœur. Ce qui serait une contre-indication à donner ce produit au patient.
Plusieurs vaccins seraient actuellement en cours de développement. Certains scientifiques étrangers évoquent une mauvaise réaction chez des volontaires qui se sont porté candidats…
Aujourd’hui, il y a urgence. Nous sommes devant une pandémie qui a coûté la vie à des milliers de personnes à travers le monde. C’est une véritable course vers le vaccin. Il y a énormément de candidats vaccins actuellement. Si on doit faire le tour de tous les vaccins qui sont en cours de développement, il y a quelque 170 vaccins au jour d’aujourd’hui. Une dizaine de vaccins sont déjà arrivés à la phase trois des essais cliniques. On a déjà fait pas mal de tests chez l’homme. On a fait la phase I pour s’assurer que le vaccin n’est pas toxique et qu’il n’entraine pas des effets graves. La phase II est également déjà passée et a pour but de s’assurer que le vaccin donne une efficacité. Et puis on arrive à la phase trois, c’est là où on va travailler sur un grand nombre d’individus pour voir s’il y a quelque chose qui va apparaitre, tel un effet secondaire qui est assez rare. On a besoin d’inclure plusieurs milliers de volontaires qui vont recevoir le vaccin pour s’assurer si le vaccin est bien toléré et pour voir également son efficacité, c’est-à-dire qu’il permet de produire des anticorps et que ces anticorps sont protecteurs.
Interview réalisée par Naîma Cherii