France – Pays musulmans : Le Président Macron a-t-il «dérapé»?

Lorsque le Président Emmanuel Macron a pris la parole, le 21 octobre 2020, à l’université de la Sorbonne, lors de l’hommage officiel que la France rendait au professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, assassiné par un terroriste tchétchène pour avoir utilisé des caricatures du Prophète Mohammed en enseignant la liberté d’expression à ses élèves, il ne se doutait sans doute pas de l’ampleur des réactions que ses propos déclencheraient. 

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Indignation, colère, parfois manifestations et, surtout, appels à une action concrète, commerciale: le boycott des produits français… (voir la suite du dossier)

Des réactions très vives, non seulement de la part de citoyens musulmans à titre individuel et/ou de ce qu’on appelle communément «les peuples», ou encore «la Rue»… Mais de la part –très officielle- des Etats et gouvernements… Voire, du chef d’Etat en personne. Comme ce fût le cas du Président turc, Recep Tayyip Erdogan. Même si la colère de ce dernier contre le Président Macron était déjà bien enclenchée avant la tragédie Paty et pour bien d’autres raisons (voir la suite du dossier).

La question est: le Président Macron a-t-il «dérapé» et va-t-il voir la France en subir les conséquences diplomatiques et commerciales ? 

En prononçant son allocution pour rendre hommage à un enseignant victime d’un crime odieux, qui a ému toute la France et au-delà ; et en fustigeant les terroristes et leur idéologie, le Président Macron était totalement dans son droit.

Il avait le droit d’éprouver à la fois révolte et douleur devant la fin tragique de l’un des siens, ou tout simplement devant la fin d’un être humain qui a subi un sort barbare. 

Il avait aussi le droit de s’approprier ce moment d’intense émotion, partagé par tout un pays dont il est le chef actuel. 

Il avait même le droit, comme l’en ont accusé quelques-uns de ses détracteurs (pour qui il sur-jouait un tantinet sa peine, non sans arrières pensées électorales), d’aussi «penser politique», quelles que soient les circonstances, puisqu’il est le chef de l’Etat et de la Majorité gouvernante…     

Mais alors, qu’est-ce qui, dans le Discours du Président français a suscité ce Tsunami de colère et de condamnations ?

Bien des observateurs y ont relevé (et n’en ont retenu que) les quelques mots et phrases qui laissaient transparaître un insupportable amalgame entre l’Islam et le terrorisme jihadiste. 

Les musulmans qui prônent aussi bien un Islam tolérant, que le respect des trois religions monothéistes et le vivre-ensemble des croyants de ces trois religions, n’en peuvent plus d’endosser injustement les excès des nervis sanguinaires qui se réclament de cette religion en commettant les crimes les plus abjects… Ils n’en peuvent plus, non plus, des excès des fondamentalistes qui veulent leur faire faire des sauts de plusieurs siècles en arrière, pour soi-disant revenir aux sources et qui, de ce fait, encouragent le Jihad, au lieu d’encourager l’«Ijtihad» (effort de réflexion pour l’adaptation de l’Islam aux évolutions de chaque époque)… Ils n’en peuvent plus, enfin, d’être indifféremment stigmatisés, alors qu’ils sont autant ciblés et trucidés que les non-musulmans, puisque les Jihadistes considèrent comme mécréants tous ceux qui ne sont pas dans leurs rangs. 

Pour eux, il est incompréhensible qu’Emmanuel Macron mette tout le monde dans le même sac… Ou, en tout cas, en donne l’impression, en ne précisant pas qu’il ne s’adresse pas au monde musulman, mais à ses marginaux radicalisés que ce monde lui-même combat.

Puis, il y a eu cette affirmation du Président qui se voulait un défi lancé à la face des terroristes, mais que tous les autres musulmans ont reçue comme une offense envers ce qu’ils ont de plus sacré: leur prophète. 

Quand Emmanuel Macron a déclaré, de la façon la plus solennelle: «Nous ne renoncerons ni aux caricatures ni aux dessins», il était là le point de rupture !

Car, à ce moment précis, deux lignes rouges se heurtaient. Deux lignes rouges inconciliables.

D’un côté, la ligne rouge de la laïcité et de son corollaire, le possible blasphème, que défendait avec force le Président.

Et de l’autre, la ligne rouge de la sacralité de la religion et, notamment, de la personne du prophète, avec interdiction absolue du blasphème, crédo de tous les croyants musulmans.

Deux lignes rouges, deux gouttes qui font déborder, chacune son vase…

En effet, si l’assassinat du Professeur Samuel Paty a été la goutte qui a fait déborder le vase de la colère, autant populaire qu’officielle, dans une France qui connaît une montée exponentielle de l’ islamophobie depuis quelques années (parallèlement aux crimes terroristes qui ont jalonné ces années, il faut le reconnaître) ; la défense, par le chef de l’Etat français lui-même, des caricatures (avec le sous-entendu «y compris les caricatures du Prophète»), a été, de la même manière, la goutte qui a fait déborder la colère, autant populaire qu’officielle, des musulmans.

Et nombre de ces musulmans ne se sont pas gênés pour le souligner: la liberté de caricaturer n’est pas illimitée. Il y a bien des sujets qui ne s’y prêtent pas et que les caricaturistes se gardent de «croquer», par respect de sensibilités, soit sociales, soit historiques.

On ne caricature pas les enfants violés et démembrés ou brûlés par leur violeur, ni la tragédie des familles qui subissent ces malheurs… On ne caricature pas les handicapés, les autistes… On ne caricature pas l’holocauste, ni les souffrances des victimes du nazisme… On ne caricature pas les victimes de l’esclavagisme… Et la liste est longue.

Pour les musulmans, véritables croyants, on ne caricature aucun Prophète, d’aucune religion. 

C’est ce qu’a rappelé le Maroc, par la voix de son Conseil supérieur des Oulémas qui a exprimé, son rejet de «toute forme d’atteinte à la sacralité des religions, à leur tête les Prophètes qui ont transmis à l’Humanité toute entière les valeurs d’amour, de fraternité et de solidarité entre les gens». Ajoutant qu’il «considère toute atteinte à un de ces Prophètes, comme étant une offense envers eux ensemble et un déni de leurs valeurs idéales». 

Auparavant, le ministère des Affaires étrangères avait fait savoir la position du Maroc… Mal comprise par quelques médias français, mais pourtant conforme à ce qu’est le pays et aux valeurs qu’il a toujours officiellement mises en avant. 

Le Maroc, un des rares pays du monde musulman où se côtoient mosquées, synagogues et églises ; et dont le Roi a le titre (constitutionnel) de «Commandeur des Croyants», rappelle que «la liberté des uns s’arrête là où commencent la liberté et les croyances des autres» ; et que «la liberté d’expression ne saurait, sous aucun motif, justifier la provocation insultante et l’offense injurieuse de la religion musulmane, qui compte plus de deux milliards de fidèles dans le monde».

Son Islam modéré lui a valu plusieurs attentats terroristes, depuis le début des années 2000 ; et lui vaut aujourd’hui encore d’être une cible permanente des nébuleuses radicales, dont de nombreuses cellules et loups solitaires tentent d’exécuter de plus ou moins grands plans de déstabilisation. 

Le BCIJ (Bureau central d’investigation judiciaires, surnommé «le FBI marocain», créé en 2015) ne cesse de démanteler ces cellules et d’en arrêter les membres, avant qu’ils ne passent à l’acte.

Sa coopération est d’ailleurs précieuse à tous les pays partenaires du Maroc, dont la France… 

Emmanuel Macron et la France calmeront-ils le jeu avec les pays musulmans ? Notamment les amis parmi eux et les partenaires commerciaux ?   

Il faudra commencer par réparer la maladresse qui a encore exacerbé la colère du monde musulman.

Il s’agit de la réaction de la France aux appels au boycott… Ces injonctions qui ont ressemblé à des ordres donnés par le maître à ses obligés. «Les appels au boycott sont sans aucun objet et doivent cesser immédiatement, de même que toutes les attaques dirigées contre notre pays», était-il écrit, le 28 octobre, dans un communiqué du ministère français de l’Europe et des Affaire étrangères.

L’arrogance est le mot qui est revenu dans quasiment toutes les réactions à ce communiqué.

Il faudra bien recoller les morceaux avec les pays musulmans. Mais comment concilier l’inconciliable ? Les voies de la politique sont insondables…

Une chose est sûre, le Président Macron aura à résoudre la quadrature du cercle, tant le thème de l’Islam est clivant en France.

Bahia Amrani

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