Entretien avec Hassan Boulaknadel, Directeur général de l’Office des changes

«2021 sonnera le glas du secret qui a toujours entouré les avoirs constitués à l’étranger»

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L’Office des changes multiplie les actions visant à convaincre ceux qui détiennent des avoirs et liquidités à l’étranger, en infraction avec la réglementation des changes, de se conformer à la loi. Ils avaient jusqu’au 31 octobre 2020 pour le faire. La Loi de Finances rectificative a prolongé ce délai au 31 décembre 2020. 

Le Directeur Général de l’Office, Hassan Bouleknadal, explique le pourquoi et le comment de cette dernière chance ; et les conséquences de son non-respect.

Vous venez de lancer une campagne de sensibilisation concernant la contribution libératoire. La Loi de Finances 2020 avait fixé la fin de cette opération de régularisation spontanée (ORS) portant sur les avoirs et liquidités détenus à l’étranger au 31 octobre 2020. La Loi de Finances rectificative a prolongé ce délai  jusqu’au 31 décembre 2020. Pourquoi ce délai supplémentaire ?

Au début de l’année 2020, l’Etat marocain a clairement affiché sa volonté d’instaurer un climat de confiance et de réconcilier les détenteurs de biens et de comptes à l’étranger avec la réglementation des changes en vigueur au Royaume, en instituant la régularisation spontanée au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger. Cette mesure permettra aux personnes physiques et morales ayant la qualité de résident et ayant constitué, avant le 30 septembre 2019, des avoirs et liquidités à l’étranger en infraction à la réglementation des changes, de se conformer aux lois et règlementations en vigueur, tout en continuant à bénéficier des avantages offerts par l’opération de régularisation spontanée.

La survenance de la pandémie Covid-19, le confinement et les restrictions de déplacement qui s’en sont suivis, ont ralenti le déroulement de cette opération qui a, pourtant, démarré sous de bons auspices. Il était donc indispensable de prendre les mesures qui s’imposent pour que les personnes intéressées par ce dispositif exceptionnel ne manquent pas à l’appel. Mettre en place une prorogation s’est avéré nécessaire pour pallier l’impact de Covid-19 sur le déroulement de cette opération. 

La Loi de Finances rectificative N°35-20 a, ainsi, arrêté une nouvelle date butoir. Le délai maximum fixé pour la souscription et le paiement de la contribution libératoire relative à l’opération de régularisation spontanée au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2020, au lieu du 31 octobre 2020, prévu initialement.

Les personnes physiques et morales détenant des avoirs et liquidités à l’étranger, en infraction à la réglementation des changes, peuvent déposer leur déclaration auprès de la banque de leur choix, selon un modèle établi par l’Office des Changes ; et procéder au paiement de la contribution libératoire. Et ce, au plus tard le 31 décembre 2020.

Quel bilan chiffré de de cette opération contribution libératoire à fin septembre, brutalement interrompue par la pandémie ?

Nous sommes face à une situation exceptionnelle à tous les égards. Malgré cela, nous percevons à travers les différents forums que nous organisons une réelle volonté de nos partenaires les banquiers de réussir cette opération.

Dès le début de l’année, plusieurs personnes ont souscrit à cette opération profitant ainsi du cadre réglementaire mis en place tout au début de cette année et qui permet de clarifier les droits post-déclaration. 

Le grand lot des déclarations enregistrées jusqu’à ce jour a été effectué au cours des trois premiers mois de l’année. Certains déclarants n’ont pas pu, malheureusement, parachever toutes les formalités à cause des mesures limitant les déplacements. 

Aujourd’hui, plusieurs centaines de personnes ayant constitué des avoirs et liquidités à l’étranger en infraction à la réglementation des changes ont pu entrer dans la légalité et commencent à bénéficier des avantages que leur offre cette opération. Notamment, la possibilité de continuer à gérer leurs biens immeubles en procédant aux transferts nécessaires, d’ouvrir des comptes en devises ou en dirhams convertibles, d’ouvrir ou de maintenir ouverts des comptes bancaires à l’étranger.

Quelle mobilisation aujourd’hui pour l’Office des Changes, en amont et en aval de l’opération ? Auprès des personnes concernées et auprès des banques, à qui il revient de prélever la contribution libératoire ?

Avant même l’entrée en vigueur de ce dispositif exceptionnel, l’Office des Changes était à pied d’œuvre pour expliquer les enjeux et démontrer la portée de cette opération. Une large campagne de communication a été lancée dans le but d’informer le grand public des dispositions de l’opération régularisation spontanée au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger, de sensibiliser les personnes concernées à l’opportunité unique qui s’offre à elles à travers cette mesure exceptionnelle et de les convaincre d’y adhérer.

Nous avons, ainsi, opté pour une communication de proximité à travers des réunions avec le Groupement Professionnel des banques du Maroc, des formations au profit des banques de la place et des séminaires et conférences organisés par les représentations régionales de la CGEM (Confédération Générale des Entreprises du Maroc) et les Chambres de commerce…

Dès le début de l’opération, l’Office des Changes a mis en ligne sur son portail internet (www.oc.gov.ma) une rubrique dédiée à cette opération exceptionnelle. Tout y est: dispositions réglementaires, guide, capsule vidéo et canal de dépôt des demandes d’information, sans l’obligation de s’identifier. C’est une interface riche, aux multiples fonctionnalités pour mieux comprendre ce dispositif.

Au temps du coronavirus, nous avons redéfini les grandes lignes et les orientations prioritaires de notre communication pour opérer une véritable transformation, innover, explorer de nouveaux canaux et tenter une nouvelle approche en privilégiant une communication de proximité. C’est dans cet esprit que nous avons lancé une campagne de sensibilisation sous forme de webinaires au profit des réseaux des banques de la place. L’objectif de ces rencontres virtuelles est de fournir un espace de discussion interactif où les participants peuvent poser leurs questions sur des thématiques touchant essentiellement l’aspect opérationnel de cette opération de régularisation (cas pratiques, démarches, échéances, contraintes, etc.)

Cet espace d’échange est une excellente occasion pour approfondir la réflexion collective autour des aspects pratiques de la mise en œuvre de ce dispositif de réconciliation, de formuler des idées et d’échanger les expériences réussies.

Afin d’assurer une meilleure compréhension de cette opération de régularisation, l’option de lancer une campagne média s’avère l’alternative la plus prometteuse pour attirer l’attention de la population cible, l’informer, la sensibiliser et la convaincre de franchir le pas et de procéder à la déclaration. Des pages publicitaires au niveau de la presse écrite et les magazines et des contenus spécifiques pour le web tireront au clair les principaux aspects liés à cette opération. 

Concernant la deuxième partie de la question, il faut souligner que toutes les démarches de déclaration et le paiement de la contribution libératoire s’effectuent auprès d’un établissement de crédit ayant le statut d’une banque.

A votre avis, quelle chance de succès pour cet appel ?

À moins de trois mois de l’échéance, nous sommes toujours optimistes. Cette opération a une portée exceptionnelle, c’est l’opération de la dernière chance. 2021 marquera une rupture avec le passé. Elle sonnera le glas du secret qui a toujours entouré les avoirs constitués à l’étranger et annoncera l’avènement d’une nouvelle ère où transparence, clarté et échange automatique prévaudront contre l’opacité, la fuite des capitaux et les pratiques d’antan.

Nous sommes persuadés que les personnes concernées sont conscientes de cette nouvelle réalité. L’opération de régularisation spontanée est une véritable aubaine à saisir. Passer à côté d’une telle occasion ne serait pas sans conséquences.  

De ce fait, nous restons optimistes et nous nous attendons à une reprise des déclarations au cours des trois derniers mois de 2020. Les contribuables ont tendance à attendre le dernier moment pour s’acquitter de la contribution libératoire, à l’image de toutes les déclarations qui sont souvent effectuées peu de temps avant la fin des délais fixés.

Ceux qui ne saisiront pas cette offre d’amnistie pour régulariser leur situation avant fin 2020, tomberont-ils inévitablement sous le coup de l’accord OCDE sur l’échange automatique de renseignements en matière fiscale, en 2021 ? Comment leur sera appliquée la norme Common Reporting Standard ?

L’opération de régularisation spontanée a été instituée pour permettre aux Marocains concernés de régulariser leur situation avant le démarrage de l’échange automatique des renseignements. Les accords pour l’échange automatique de données avec les pays de l’OCDE entreront en application à partir de 2021.

Ne pas saisir cette opportunité serait incompréhensible. Les personnes qui n’auront pas adhéré à cette opération, demeureront, tout simplement, en situation irrégulière et se verront appliquer les peines et sanctions prévues par la loi.

Signalons que la constitution d’avoirs à l’étranger par les résidents, sans l’accord préalable de l’Office des Changes constitue une infraction à la réglementation des changes et passible d’amendes pouvant aller jusqu’à 6 fois le montant de l’acquisition, charges comprises, lesquelles amendes peuvent être cumulées à des peines privatives de liberté allant de 3 mois à 5 ans d’emprisonnement.

L’Office des Changes a procédé à une libéralisation progressive de la réglementation des changes qui s’est davantage précisée depuis 2019. Les mots qui reviennent souvent chez vous sont «libéralisation», «assouplissement», «simplification» …. Pouvez-vous nous expliquer votre stratégie actuelle ?

Le Maroc libéralise progressivement ses opérations de change. L’Instruction Générale des Opération de Change est le point culminant d’un processus au cours duquel se sont additionnés les acquis et accumulés les avantages et les facilités de change pour mettre en place une économie forte et efficiente.

La réglementation des changes est une réglementation dynamique et irréversible. Elle accorde un intérêt particulier aux attentes et aux besoins réels aussi bien des opérateurs économiques que des citoyens. Son évolution, au fil des ans, s’est inscrite dans une logique d’assouplissement graduel qui prend en compte à la fois les impératifs macroéconomiques du pays et les besoins grandissants des personnes morales et physiques. 

Actuellement, la majorité des opérations de change peut être effectuée par les opérateurs économiques, directement auprès des intermédiaires agréés. Le nombre des opérations qui restent encore soumises à l’autorisation préalable de l’Office des Changes est de plus en plus réduit.

Tout au long de ce processus foisonnant, pragmatisme, prudence et irréversibilité, ont constamment sous-tendu les différentes opérations de mise à jour de la réglementation des changes. Durant les cinq dernières années, l’Office des Changes n’a pas cessé d’approfondir la réflexion sur les mécanismes pratiques et les solutions innovantes à mettre en place pour permettre à la réglementation des changes de s’adapter aux évolutions profondes et accélérées qui caractérisent l’économie marocaine autant que son environnement.

L’objectif est de mieux accompagner les opérateurs dans la réalisation de leurs actes d’investir, d’exporter, d’entreprendre et de s’ouvrir sur l’international ; et de leur permettre de gagner en compétitivité et de saisir pleinement et à temps les opportunités au sein d’une économie de plus en plus mondialisée.

Et …du nouveau pour 2021 ? La crise sanitaire a-t-elle changé quelque chose à vos projets ?

La crise sanitaire a frappé durement notre économie et appelle une relance vigoureuse. Il nous faudra tirer les leçons du moment que nous traversons. 

Dans ce contexte exceptionnel, les réformes à entreprendre par les acteurs de la sphère économique et sociale du Royaume auront pour finalité la relance de notre économie et l’accompagnement du tissu économique national, frappé de plein fouet par une crise sans précédent.

C’est dans cet élan que l’Office des Changes entend poursuivre son action et accélérer ses réformes. Il s’engage, plus que jamais, à assurer pleinement son rôle de facilitateur et d’accompagnateur de l’entreprise marocaine.

Ce contexte hors du commun est aussi le moment de nous tourner vers l’avenir dans un esprit de renouveau et de réfléchir aux moyens de consolider nos acquis. L’Office des Changes continuera ainsi de prendre le virage numérique en innovant des services en ligne personnalisés et performants, à la mesure des attentes de ses usagers.

Propos recueillis par B. Amrani

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