Un scandale. Pas moins de 5.100 unités opérant dans l’agro-alimentaire sont dans l’illégalité et continuent à commercialiser des aliments dans des installations non contrôlées.
Notre sécurité alimentaire est-elle en danger ? L’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) diffuse fréquemment un bilan périodique de contrôle des produits alimentaires saisis et détruits pour non respect de «la réglementation en vigueur». Organe régalien de l’Etat en matière de contrôle et de sécurité alimentaire, cet Office est censé tout contrôler de la fourche à la fourchette, explique Dr Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur. En effet, dit-il, la loi 28/07 procure à cet organisme le contrôle de tout ce qui est d’origine végétal et animal.
Des consommateurs en pleine crise de confiance
Et pourtant, tout n’est pas rose. Il n’y a pas un jour qui passe sans que les médias locaux ne rapportent des produits frelatés, d’intoxication, d’utilisation massive de pesticides dans certains produits agricoles, des affaires de saisie d’aliments impropres à la consommation, des viandes détériorées pendant la période de l’Aïd El Adha, etc. Il faut dire que la situation n’est guère rassurante.
A Casablanca, par exemple, on voit en effet que des produits de mauvaise qualité sont commercialisés sur les étals, au vu et au su de tous. Il n’y a qu’à faire une tournée dans les marchés pour s’en assurer. Ce constat alarmant, des consommateurs, approchés cette semaine par Le Reporter, n’ont pas manqué de le soulever. Ils se disent en pleine crise de confiance.
Plusieurs associations de protection de consommateurs ne cessent aussi de tirer la sonnette d’alarme. «Les pratiques illégales continuent d’être constatées sur le terrain. Des denrées alimentaires sont transportées, stockées et commercialisées dans des conditions non-hygiéniques mettant en danger la santé des consommateurs», déplore le président de la Fédération marocaine des droits du consommateur, Kherati.
Plusieurs affaires avaient suscité un tollé ces dernières années. L’affaire des viandes bleues et vertes lors de la période de l’Aïd El Adha et celle du taux élevé de produits toxiques dans le thé –pour ne citer que ces deux affaires- avaient en effet interpellé sur l’efficience du contrôle des produits alimentaires au Maroc.
A l’ONSSA, des sources autorisées soufflent que cette organisation, créée il y a dix ans et placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, n’a pas tous les moyens à même de permettre aux services de l’Office de mener à bien ses contrôles.
Les vétérinaires de Casablanca attestent…
La situation difficile des vétérinaires ne cesse également d’être déplorée par ces derniers qui montent cette semaine au créneau. En effet, ce lundi 10 février, l’ordre national des vétérinaires dénonce, dans un communiqué, les conditions de travail très difficile des vétérinaires.
Dans ce document, parvenu à la rédaction, l’ordre pointe particulièrement les abattoirs accrédités de la région de Casablanca-Settat. Aux yeux de l’Ordre, cet établissement ne permet pas aux vétérinaires de faire une inspection et un contrôle sanitaire des viandes rouges conformément à la réglementation en vigueur. Et pour cause, disent-ils, un manque d’un système d’entretien efficace des outils de travail à même de mener à bien leur mission.
«Les pannes techniques répétitives qui surviennent au niveau des outils et des machines constituant la chaine d’abattage dans les abattoirs de Casablanca conduisent à de graves conséquences sur la sécurité sanitaire des viandes», lit-on dans ce document.
Côté effectif, les vétérinaires déplorent aussi le manque de ressources humaines. «Malgré les promesses de la direction régionale de l’Office à Casablanca, pour remplacer les cadres qui sont partis en retraite, rien n’est encore fait pour renforcer les services vétérinaires. L’effectif reste très insuffisant par rapport aux missions qui nous sont actuellement assignées surtout après la fermeture de plusieurs abattoirs dans la région de Casablanca», affirment les vétérinaires.
Pour rappel, il y a quelques mois, l’Office a suspendu l’inspection vétérinaire et le contrôle sanitaire des viandes rouges dans les abattoirs ne disposant pas d’agrément jusqu’à leur mise à niveau. Au jour d’aujourd’hui, quatre abattoirs ont été fermés par les autorités locales de Casablanca. A noter que 46 abattoirs non conformes dans cette région seraient aussi dans le collimateur des pouvoirs publics.
Est-il à rappeler, le rapport établi en 2017 par la Cour des comptes a relevé plusieurs insuffisances. Entre autres, le non respect des dispositions relatives au contrôle et à la vente des viandes foraines et non respect des dispositions juridiques relatives au marquage et à la traçabilité des animaux abattus. Dans son rapport, la Cour soulignait aussi des sites d’implantation non adéquats, des locaux inappropriés, des équipements insuffisants et des procédés non conformes et une absence d’une chaîne d’abattage proprement dite séparant le secteur propre du secteur souillé.
Les révélations d’un vétérinaire…
Une chose est sûre. La sécurité sanitaire des consommateurs reste menacée. Il faut dire que la qualité des aliments que nous consommons au quotidien n’est pas toujours au rendez-vous. La liste est longue. Il n’y a aucune certitude que ces produits, avant de garnir nos plats, ont été produits, stockés, transportés conformément à la réglementation en vigueur. Les révélations d’un vétérinaire donnent d’ailleurs froid dans le dos.
La région de Casablanca compterait de nombreux entrepôts clandestins –encore ignorés des autorités sanitaires de Casablanca- où seraient stockées –dans des conditions déplorables- de grosses quantités de produits destinés à la consommation et dont on ignore la provenance, menaçant ainsi la sécurité sanitaire des consommateurs, confie notre vétérinaire. Selon lui, les unités incriminées seraient implantées dans plusieurs zones de la région de Casablanca. Tous les produits seraient concernés, selon lui.
Dans le même sens, Dans une déclaration à Le Reporter, le SG d’une instance de représentation commerciale à Casablanca, qui a requis l’anonymat, a aussi prévenu contre «des entrepôts non-déclarés aux services sanitaires. Dans ces unités, on stocke des produits dont la date de préemption est dépassée et qui devraient être commercialisés sur les étals des marchés casablancais»
Cette même source cite en exemple des dattes de mauvaise qualité que des grossistes font entrer au pays à partir de certains pays arabes. «Plusieurs tonnes de dattes de qualité douteuse sont importées pour être revendues pendant le mois de ramadan», affirme notre source bien informée.
Terrifiée, celle-ci appelle -à travers Le Reporter- les autorités et pouvoirs publics à faire le ménage chez les propriétaires de «ces entrepôts ne respectant pas les normes requises pour le stockage de ces produits douteux qui menacent la santé des citoyens».
Interrogées sur le sujet, des sources autorisées à l’ONSSA, qui ont requis l’anonymat, affirment que le dossier d’entrepôts clandestins et d’unités opérant dans l’agroalimentaire sans autorisation sanitaire est suivi avec une attention particulière.
Des milliers d’entreprises dans l’illégalité !
Dans un rapport, qui fait suite aux recommandations de la Cour des comptes, l’Office souligne que des milliers d’entreprises industrielles ne disposent pas d’autorisations sanitaires. Toutes les activités sont concernées (Fromagerie, produits laitiers, charcuterie…), assurent nos sources.
Au total, l’ONSSA a recensé plus de 5.100 unités de l’industrie agroalimentaire qui sont dans l’illégalité et continuent de produire et commercialiser des produits destinés à la consommation dans des installations non contrôlées avec ce que cela comporte comme menace sur la sécurité alimentaire.
Dans son rapport, l’Office indique que ces unités ont été classées selon une évaluation des risques que présentent leurs produits. Elles auront un délai de cinq mois pour se conformer et éviter la cessation de toute activité.
Le sujet s’est invité au Parlement, dernièrement avec une intervention du ministre de la tutelle, Aziz Akhanouch. Lequel a confirmé les conclusions du contrôle de l’Office national de la sécurité sanitaire (ONSSA) devant les élus.
Par Naîma Cherii