Entretien avec Hassan Ouazzani Chahdi, Professeur honoraire des universités- Université Hassan II de Casablanca
La CJUE a rendu un arrêt qui a annulé les accords entre le Maroc et l’UE. Que pouvez-vous nous dire de cette décision?
Par un arrêt rendu (en grande chambre) le vendredi 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé le jugement du tribunal de l’UE du 29 décembre 2021(qui fait partie des juridictions de cette cour) et qui avait annulé les décisions du conseil de l’UE du 4 mars 2019 relatives à la conclusion d’accords entre le Maroc et l’UE. Il s’agit donc d’une confirmation d’un jugement en première instance du tribunal de l’UE.
Ce que je peux vous dire sur cette affaire c’est que les motivations de cet arrêt sont vraiment orientées vers une politisation de cette affaire. A la suite de la lecture de cet arrêt et les 2 autres rendus le même jour dans des affaires connexes, on sent une sorte de politisation de ce dossier qui met en cause l’indépendance de de cette cour et son impartialité. Ce qui démontre une méconnaissance absolue du dossier du Sahara marocain par les magistrats de cette haute juridiction.
Il est clair qu’il y a une méconnaissance absolue de ce dossier. Il y a un manque d’approfondissement par le juge du dossier du Sahara marocain. D’ailleurs, cela saute aux yeux. Lorsque la cour évoque la nécessité du «consentement du front Polisario pour la conclusion des accords avec le Maroc» et lorsqu’elle soutient que ce même Polisario dispose de la capacité pour représenter le peuple sahraoui oubliant que les provinces sahariennes représentent la grande majorité du peuple sahraoui soit plus de 70% – 80%. De l’autre côté, le recensement n’a pas été fait. On ne sait même pas combien de vrais sahraouis existent à Tindouf.
Les magistrats de la Cour de justice de l’UE n’ont pas pris en considération la véritable connaissance de ce dossier pour agir et pour accorder cette légitimité à un mouvement qui ne peut pas représenter le peuple sahraoui. Ils n’ont même pas analysé l’évolution du dossier du Sahara marocain. Pourtant c’est clair. Ce dossier a évolué positivement depuis 2007, date à laquelle le Maroc avait présenté son plan d’autonomie. D’ailleurs, depuis cette date, on ne parle plus de référendum.
Le dossier du Sahara marocain est entre les mains du conseil de sécurité qui, dans toutes ses résolutions, propose des négociations politiques pour le règlement définitif de ce dossier. Par ailleurs, on constate que dans les motivations de cet arrêt, la cour se réfère à plusieurs faits historiques sauf à l’accord tripartite de Madrid de 1975 par lequel, l’Espagne avait transféré l’administration du Sahara au Maroc et à la Mauritanie. Ce qui montre que la décolonisation du Sahara a été définitivement réglée depuis 1975.
Il convient de rappeler enfin que la justice anglaise, qui avait connu une affaire similaire, a fait preuve de plus de discernement, d’impartialité et de maîtrise juridique «comme le signale le ministère marocain des affaires étrangères dans son communiqué. La justice anglaise était claire et impartiale. Elle a complètement jugé et décidé que finalement le Maroc a sa souveraineté sur son Sahara et que le Polisario ne peut pas représenter le peuple sahraoui. Les magistrats de la CJUE auraient pu jeter un coup d’œil sur la jurisprudence rendue par leurs homologues anglais dans ce dossier. Ils pouvaient également prendre en considération l’évolution des provinces du sud depuis que les espagnoles ont quitté ce territoire. Il n’y avait rien du tout dans ces provinces pendant la période de la colonisation alors qu’aujourd’hui, il y a tout un développement qui est, d’ailleurs, reconnu par le monde entier.
Est-ce qu’il y a possibilité de faire un recours d’appel où de cassation contre la décision de la CJUE?
Non. Il n’y a pas possibilité de faire un recours contre cette décision. Comme je l’ai souligné, le jugement du tribunal a été rendu le 29 septembre 2021. Ce jugement fait l’objet de pourvois. par la Commission européenne et le Conseil, qui ont demandé à la CJUE d’annuler le jugement du tribunal européen comme elle l’avait fait en 2018. C’est la Cour de justice de l’UE dans son ensemble qui a rendu cet arrêt. Elle confirme ainsi le jugement de 2021 du tribunal qui a donné cette légitimité au Polisario pour représenter le peuple sahraoui et aussi pour avoir la qualité d’agir devant cette juridiction.
Ainsi au lieu d’annuler l’e jugement de 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a agi en faveur du Polisario et de ceux qui le poussent dans sa requête. C’est là où la Cour commence à dire que les accords ont été conclus sans le consentement du peuple sahraoui, en imaginant que le Polisario représente valablement le peuple sahraoui. C’est lamentable. C’est une méconnaissance du dossier du Sahara marocain comme je l’ai signalé. Je crois que le communiqué du ministère des affaires étrangères a bien dit les choses. Il a bien fait. Il aurait pu le faire même avant. C’est un communiqué qui est très bien fait et qui a vraiment posé la question claire et précise à l’Union européenne en lui disant que « c’est une affaire qui concerne les 27 pays de l’Union et que cette décision ne nous concerne pas et ne concerne pas le dossier du Sahara qui est déjà devant le Conseil de sécurité des nations-unies ».
Après la décision de la CJUE, plusieurs pays européens ont eu des réactions en faveur des relations avec le royaume. Ces pays ont-ils un moyen au niveau des institutions de l’UE pour trouver des solutions ?
Maintenant la balle est dans le camp de l’UE et de ses 27 pays. Normalement, le Conseil et la Commission européenne devraient maintenant prendre une décision commune. Car la plupart de ces pays européens sont pour la souveraineté marocaine et le plan d’autonomie proposé par le Maroc. Il faut absolument que les autres pays suivent. Si maintenant l’évolution se précise on peut certainement arriver à des solutions. Mais en tout cas, c’est à eux de trouver les solutions pour maintenir, comme ils le disent, le partenariat et les relations entre l’UE et le Maroc. Je pense qu’ils sont en train de voir tout cela au niveau de l’Union.
Entretien réalisé par N. Cherii