Entretien avec Latifa Yaakoubi, Directrice de l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier (ANDZOA)
La province de Tata a été frappée dernièrement par des pluies orageuses ayant causé des inondations entrainant le déracinement d’un nombre important de palmiers-dattiers. Dans l’attente d’un inventaire global des dégâts causés par ces fortes crues, quelles sont déjà les actions et les interventions à prendre dans l’immédiat ?
Pour les interventions urgentes, il y en a déjà qui sont entreprises.
Il faut savoir que les inondations que Tata a connues au cours du mois de septembre, ont engendré énormément de dégâts sur les infrastructures routières et sur les habitations. Malheureusement, elles ont également engendré des pertes humaines.
Les premières interventions, les autorités locales les ont entamées dès les premières heures. Elles ont même entamé également des interventions préventives pour déloger les habitants qui sont dans des zones à risque. Ce qui a fait qu’au niveau des habitations nous avons enregistré des dégâts matériels, mais pas de dégâts humains. Les dégâts humains ont malheureusement eu lieu ailleurs.
En ayant été sur place, nous avons mesuré l’ampleur de ces actions de l’autorité locale que je salue pour les efforts engendrés.
Concernant les interventions rapides des administrations, là, toujours sous la supervision de l’autorité locale, chaque département selon ses prérogatives et ses interventions, est en train de faire le recensement qui va être bouclé courant cette semaine, pour que nous puissions avoir au niveau de chaque département, non seulement le recensement mais également l’évaluation matérielle de ce qui a été détérioré. Ce qui permet d’avoir aussi la possibilité de pouvoir engager au niveau de chaque département ministériel, le nôtre compris, des budgets dans l’immédiat, afin que nous puissions apporter les solutions qu’il faut pour les réhabilitations aussi bien des infrastructures que de l’écosystème.
S’agissant de ce dernier volet sur lequel, l’ANDZOA intervient directement avec le département de l’Agriculture, à savoir la réhabilitation des oasis, on a déjà le dénombrement des premiers palmiers qui ont été emportés littéralement par les crues.
Il s’agit d’attaquer, dans l’immédiat, une première opération de curage et de nettoyage. Parce qu’il y a énormément de débris, de troncs et de palmiers qui sont jetés dans les lits des oueds et qui vont constituer un danger pour la population en cas de nouvelles crues. Ils vont également constituer un danger dans le futur en cas de fortes chaleurs parce que ce sont des sources faciles pour le déclenchement des incendies.
La première opération dont l’ANDZOA s’occupe directement c’est donc tout ce qui est nettoyage. Pour ça, nous avons mobilisé un premier budget de nos fonds propres (budget de l’ANDZOA) de 20 millions de dirhams pour déjà faire descendre les engins et commencer avec les Associations locales et les collectivités territoriales cette première opération de nettoyage. Une fois le nettoyage effectué, le département de l’agriculture va commencer à faire, avec la population des agriculteurs, les premières opérations de plantation et de réhabilitation de ces palmeraies.
Combien de palmiers vont-ils être plantés dans la province de Tata après cette catastrophe ?
Ce qui est inscrit dans la stratégie génération green c’est trois millions de palmiers qui sont destinés, à l’horizon 2030, à la palmeraie traditionnelle. Tata va en faire partie. Elle en fait déjà partie. Mais avec l’accentuation du besoin, nous allons certainement, avec notre ministère et le département concerné, avoir la possibilité de revoir à la hausse la plantation.
De même, il y avait un million de palmiers qui était inscrit dans le cadre d’un programme avec la Banque mondiale. Là aussi cette estimation et ce programme-là vont être certainement revus à la hausse.
Car aujourd’hui, on est sur des périmètres où nous avons constaté sur place la disparition totale de certaines palmeraies qu’il va falloir régénérer et réhabiliter.
En plus de cette opération de plantation, l’urgence aussi c’est de réhabiliter le réseau d’eau potable. Malheureusement, on n’a pas trop le choix. La plupart des canalisations d’adduction d’eau potable traversent les oueds. Avec le passage des crues, elles ont été emmenées et détériorées.
Dans un premier temps, l’autorité locale assure l’alimentation à travers des citernes. Aujourd’hui, il y a tout un programme de réhabilitation de ce réseau d’eau potable, mais également de réseau électrique et du réseau d’assainissement.
Car les installations qui étaient là, sont aujourd’hui détériorées et peuvent constituer dans l’immédiat une source de pollution pour ces oasis. Là, il y a également une intervention rapide sur le volet environnement.
Tata est frappée par des catastrophes naturelles exceptionnelles (inondations, incendies, sécheresse…). Le budget consacré à cette province sera-t-il revu à la hausse?
Oui, tout à fait. Je vous ai parlé juste de ce que nous avons prévu dans l’immédiat. Aujourd’hui, heureusement, nous avons la possibilité de débloquer 20 millions de dirhams, qui constituaient un premier jet. C’était des programmations que nous avons revues pour que nous puissions dégager ce budget.
Et comme vous le savez, il y a aussi le programme de réhabilitation des zones sinistrées par les inondations dans le sud-est du Royaume, lancé par le gouvernement en application des Hautes Instructions Royales. 2,5 milliards de dirhams est le budget qui va être mobilisé par le gouvernement pour ce programme à travers tous les départements ministériels.
Ce budget concerne plusieurs provinces mais la zone la plus concernée étant Tata, c’est sûr donc que cette province va avoir la possibilité de bénéficier d’un budget conséquent. Combien ? C’est un travail de concertation à l’échelle de la Primature et également à l’échelle de tous les départements qui sont concernés. Sachant que les budgets vont être mobilisés non seulement par l’ANDZOA mais également par d’autres départements ministériels. C’est là une priorité. Hamdoulillah, avec la clairvoyance de SM le Roi et l’élan de solidarité de tous les départements, tous les programmes vont être inscrits dans cette Vision Royale, ce qui va pouvoir apporter des solutions dans l’immédiat pour ces problèmes causés par les inondations au niveau de la province de Tata.
Quand pensez-vous que sera prêt l’inventaire global des dégâts causés par ces fortes crues à même de pouvoir mettre en place votre programme global d’intervention?
Nous avons déjà un premier recensement. Mais il faut savoir que sur le terrain, les équipes sont là de façon continue. Ils travaillent pratiquement jour et nuit avec les autorités locales et toutes les autres administrations pour qu’on puisse avoir un recensement exhaustif sur lequel nous allons pouvoir nous baser pour mettre en place notre programme d’intervention et la mobilisation des financements. Au cours de cette semaine, il y aura une dernière réunion de concertation et de validation et juste après, on va pouvoir avoir un programme global et une vision globale par rapport à l’intervention des uns et des autres.
Tata est aussi exposée aux risques d’incendies. Chaque année, on assiste à des incendies dans trois ou cinq grandes palmeraies de cette province. Une convention liée à ce problème a été signée l’année dernière et cible surtout la prévention des incendies dans ces zones. Aujourd’hui, qu’est ce qui bloque encore pour sa mise en application?
Franchement, il n’y a pas de blocage. Il y a juste une mise en œuvre et peut être que pour la population, elle est perçue comme étant un peu lente. Ce qui est tout à fait normal. Mais du point de vue de l’administration, le programme a été tracé. Il s’agit d’une convention de 800 millions de dirhams qui ont été mobilisés par les trois régions concernées, à savoir Souss-Massa, Guelmim-Oued Noun et Draa-Tafilalet avec l’ANDZOA, l’autorité et tous les départements concernés, ainsi que la protection civile. Les premières actions ont déjà été installées.
C’est vrai que Tata subit, à l’instar de quelques autres oasis au niveau de Draa et de Tafilalet, les effets de l’incendie. Ces effets sont surtout constatés au niveau de la commune de Tamanart, notamment à Aguerd, Anamer Smougen et Igmir qui connaissent en effet cette problématique. Mais c’est une problématique qui peut être généralisée à l’échelle de toutes les autres régions. D’ailleurs, c’est pour cela que j’ai souligné l’importance du nettoyage. C’est une opération qui est très importante. Elle est faite de façon automatique chaque année. Il y a un budget de l’équivalent de 120 millions de dirhams qui est débloqué par le ministère de l’agriculture et qui est directement affecté aux offices concernés pour faire du nettoyage de touffes pour justement éviter qu’on ait des débris qui sont facilement inflammables en cas de fortes chaleurs. Et c’est valable aussi pour les débris causés par les inondations qui se retrouvent dans les lits de l’oued et qui peuvent demain, s’ils ne sont pas débarrassés, constituer également des foyers dans lesquelles vont se déclencher les incendies.
La convention de lutte contre les incendies a été signée il y a pratiquement un an et demi. Les premières opérations sur place nous ont démontré qu’il fallait qu’on fasse ça. D’ailleurs, dans certaines localités, le fait d’avoir uniquement formé les habitants et les agriculteurs et le fait de les avoir dotés d’outils d’interventions rapides, comme ces petites pompes, pour commencer déjà à intervenir au niveau des premiers foyers de l’incendie, rien qu’avec ces premières interventions, nous avons pu éviter le pire au niveau de pas mal d’oasis à l’échelle nationale, de Figuig jusqu’à Assa Zag en passant par Draa Tafilalet et Gulmim Oued Noun.
Après viendront également -et c’est ça qui prend un peu plus de temps- les ouvertures de voies. Car, aujourd’hui, le problème au niveau des oasis c’est que l’intervention de la protection civile est carrément impossible dans ces zones. Les engins d’extinction ne peuvent pas passer. Il s’agit donc d’avoir l’aval des populations pour qu’on puisse traverser leurs parcelles. Nous avons besoin d’avoir leur aval pour qu’on puisse grignoter sur des petites parcelles pour pouvoir ouvrir des pistes. Ainsi, en cas d’incendie nous avons la possibilité de pouvoir faire passer des engins.
En plus, il y a également les interventions utilisant de nouvelles technologies : l’installation des caméras. Aujourd’hui, des caméras sont installées à Aoufouss dans la province d’Er-Rachidia et même dans les localités de Tata. Elles détectent les premiers foyers et permettent de donner le signal au niveau du QG de la protection civile pour qu’on puisse intervenir rapidement avant la propagation du foyer d’incendie. Ce sont toutes ces actions qui sont actuellement en train d’être mises en œuvre et qui, demain, pourront protéger nos oasis.
Nous sommes vraiment dans des challenges qui sont aujourd’hui très importants pour qu’on puisse préserver ces écosystèmes qui restent très fragiles. Hamdoulillah, la vision est très claire. La stratégie est passée. Maintenant on est en phase de sa mise en œuvre et je peux vous garantir qu’au niveau de la convention de lutte contre les incendies, il n’y a aucun blocage. Il y a juste des concertations. Car il s’agit d’un territoire très particulier. Les interventions qui sont faciles à faire, nous les avons déjà mises en place avec tous nos partenaires. Celles qui nécessitent encore de la concertation et l’aval de la population, elles vont être mises sur place au fur et à mesure. Mais on est sur la bonne voie.
Il est à signaler que depuis que nous avons commencé ce travail de concertation, je peux vous dire que le nombre d’incendies a énormément baissé. Et c’est valable aussi ailleurs. Parce que ce sont des expériences qui se basent sur la formation, la sensibilisation et l’implication de la population. Et à partir du moment où l’implication est garantie de la part de la population, les dégâts des incendies sont atténués.
Le Conseil d’administration de l’ANDZOA avait aussi décidé la création d’une agence locale à Tata pour gérer les projets destinés à Tata. Qu’en est-il de ce projet?
En fait ce n’est pas une agence locale. C’est un bureau de l’ANDZOA à Tata. Effectivement, c’est au niveau du dernier Conseil d’administration que la décision a été prise. Etant donné que l’intervention de l’ANDZOA est très importante à l’échelle de ces territoires, notre Conseil d’administration a validé la proposition qui lui a été faite pour qu’on soit le plus proche possible de ces territoires, de leur population et des acteurs locaux. C’est un département qui va être installé au plus tard au cours du mois de novembre prochain. Nous avons déjà l’aval du ministère des finances pour la création de ce bureau et l’affectation, dans un premier temps, d’un ou de deux cadres à ce département, avec la possibilité également de pouvoir inscrire dans le futur toutes les actions à l’échelle de Tata au niveau de ce département. Il y aura donc un suivi régulier et un suivi de proximité. Mais ce qui est important également, c’est une remontée d’informations. Tata dépend de Guelmim et donc pour qu’un cadre de Guelmim puisse se déplacer à Tata, la distance est très importante et ça ne permet pas d’être à proximité de la prise de décision. Je crois que c’est une question qui va se faire assez rapidement.
Interview réalisée par Naima Cherii