Protection de la Méditerranée: Yassine Ramzi Sghaier «Un effort très important a été fait au Maroc pour la création d’aires marines protégées»

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Entretien avec Yassine Ramzi Sghaier, expert en biodiversité marine et  chargé de l’approche écosystémique et du programme de suivi au Centre d’activités régional pour les aires spécialement protégées (SPA-RAC) 

 

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Un atelier régional sur la protection de la Méditerranée a été organisé à Tunis, du 10 au 12 décembre 2025. Pensez-vous qu’il y a vraiment urgence pour les pays méditerranéens de protéger cette mer?

La Méditerranée c’est la chose qui unit tous les Méditerranéens. C’est une petite mer comparée aux autres mers du globe terrestre. Mais de manière générale, malgré sa petite taille, cette mer abrite 18 % des espèces marines connues à l’échelle mondiale. En termes de biodiversité, on a énormément d’espèces endémiques qui n’existent nulle part qu’en Méditerranée. On voit donc l’importance de cette mer. Mais elle est sous pression à cause des activités humaines (transport maritime, tourisme, etc).

Il faut rappeler que 1,5 millions d’habitants vivent dans les 21 pays de la mer méditerranéenne. Et ça génère énormément de pression sur les espèces existantes dans le bassin méditerranéen. C’est pourquoi, les habitats marins et certaines espèces sont actuellement en déclin ou menacées par ces activités humaines.

La Convention de Barcelone est cruciale parce qu’elle fournit un cadre juridique régional pour justement protéger la Méditerranée de ces menaces. Elle est complétée par plusieurs protocoles qui couvrent différents aspects de la protection de cette mer, notamment les sources de pollution, les déchets dangereux, la gestion intégrée des zones côtières, les aires spécialement protégées et la biodiversité, etc.

L’un des protocoles les plus importants est celui relatif aux aires marines spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée (Protocole ASP/DB), adopté dans le cadre de la Convention de Barcelone. Ce protocole ASP/DB est décliné sous plans d’action et de stratégies. Il contient trois annexes. La première annexe, est un label spécial pour les aires marines protégées. Ce sont des aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne et pas seulement d’importance locale. L’annexe II concerne des espèces en danger en Méditerranée. Il existe 177 espèces inscrites dans cette liste. Les pays méditerranéens contractant la convention de Barcelone sont convaincus que ces espèces sont en danger et qu’il faut les protéger. L’annexe III, quant à elle, porte sur des espèces dont l’exploitation est réglementée. Si on continue dans la même façon de gérer nos ressources, on risque d’avoir des problèmes avec ces espèces en Méditerranée. C’est pourquoi l’exploitation et la consommation de ces espèces doivent être réglementées.

Qu’en est-il des espèces qui sont actuellement en danger en Méditerranée ?

Jusqu’à maintenant, en Méditerranée, il n’y a pas vraiment d’espèces qui ont complètement disparu. Mais d’une manière générale, la liste des espèces qui sont en danger est actualisée fréquemment. Certaines espèces ne sont pas en danger, mais il faut les exploiter d’une façon raisonnable. Il s’agit surtout des plantes marines, des algues, des éponges, des mollusques, des cétacés, des mammifères marines et des espèces ciblées par la pêche. Des espèces qui sont souvent importantes et cruciales pour la Méditerranée mais dont on a vu une forte régression. Malheureusement, les exemples ne manquent pas, notamment en termes de pression sur les habitats et les espèces. Le phoque moine de Méditerranée, par exemple, était normalement une espèce très fréquente sur nos côtes méditerranéennes. Mais maintenant ils sont localisés uniquement entre Chypre, la Turquie et la Grèce.

La grande nacre de Méditerranée est aussi une espèce menacée. C’est un des plus grands mollusques bivalves de Méditerranée. Cette espèce endémique a subi d’immenses pertes dues à une maladie. Mais on ne peut pas dire que c’est une espèce qui a disparu. Des individus sont d’ailleurs observés en Tunisie dans certaines zones et en Lybie notamment. On essaie d’avoir des plans d’actions de restauration de ces espèces. Une fois qu’une espèce est menacée, on fait des programmes de surveillance et de restauration. De même, les habitats marins sont également menacés tels que les herbiers de posidonies et les coraux qui sont cruciaux en Méditerranée.

Notons enfin qu’en plus des plans d’actions pour la conservation des espèces et des habitats, il y a un autre plan d’action. Il s’agit d’un protocole qui concerne les espèces invasives en mer Méditerranéenne. C’est l’une des problématiques les plus importantes dans le bassin Méditerranéen.

A quand le prochain rapport de surveillance et de suivi de l’état actuel de la mer méditerranéenne ?

Un travail est en cours pour avoir un nouveau rapport de l’état de la mer méditerranéenne. Ce prochain rapport va être finalisé en 2029. Il va inclure les programmes de surveillance et de suivi. Rappelons que le dernier grand rapport de suivi (QSR MED) a été publié en 2023. Les chiffres montrent qu’il y a toujours une régression au niveau des herbiers de posidonies. On a des espèces qui sont malheureusement encore sous pression. Mais il y a aussi des résultats positifs. Pour les tortues marines, par exemple, on a remarqué qu’ils étaient en danger. D’ailleurs, ils sont toujours inscrits dans la liste II de la convention de Barcelone pour les espèces menacées. Mais les dernières évaluations ont montré que grâce à 30 ans de conservation on a pu avoir des résultats positifs pour cette espèce. D’ailleurs, il y a une augmentation de la population de tortues marines et actuellement, ils ne sont plus en danger selon la classification de la dernière liste de la UICN. Je pense que c’est un exemple à suivre pour les autres espèces.

Sur les 87% d’aires marines dans la Méditerranée seuls 18 % ont un plan de gestion et 0,4% sont des zones vraiment protégées. Quelle lecture faites-vous de ces chiffres?

Ces chiffres montrent qu’il y a un déséquilibre géographique, aussi bien en termes de chiffres qu’en termes de répartition. Mais protéger les espèces marines et les habitats et créer des aires marines sur la rive nord de la Méditerranée, c’est important pour tous les pays méditerranéens. Car, d’une manière générale, la biodiversité ne reconnaît pas les frontières nationales. La majorité des espèces, ce sont des espèces mobiles. Créer des aires marines dans n’importe quel pays est donc bénéfique pour toute la Méditerranée.

Un déséquilibre, ça veut dire qu’on est en train de protéger des espèces qui sont plus présentes dans la côte nord de la Méditerranée. Alors qu’il y a d’autres espèces qui sont très importantes pour la Méditerranée et qui sont aussi présentes sur les côtes sud de la Méditerranée, lesquelles sont très riches en termes de biodiversité et en termes d’habitats marins. Jusqu’à maintenant, ces côtes de la rive sud n’ont pas subi une très grande régression. Malgré la surpêche, on a encore des zones qui sont magnifiques en termes de biodiversité. Personnellement, j’ai plongé au Maroc, en Algérie, en Lybie et en Tunisie, je dois dire que nous avons encore de la richesse. C’est vrai que nos côtes sont sujettes à différentes pressions. Et l’’activité humaine y est en train de grignoter et de faire pression. Mais jusqu’à présent on a encore un très grand potentiel en termes de création des aires marines protégées. Je sais qu’au niveau de ces pays on a des programmes nationaux de création d’aires marines protégées ou de programmes de suivi. Notre centre SPA-RAC a beaucoup appuyé les pays de la rive sud pour identifier, créer et gérer les aires marines protégées. C’est un processus assez long. Car il nécessite des compétences scientifiques, en termes de localisation, d’inventaires et de cartographie. A noter que l’on prend toujours les aspects humains et socio-économiques. Lorsqu’on va créer une aire marine protégée, on doit être sûr que cette création ne va pas impacter la vie des gens, notamment des pêcheurs. On doit leur expliquer qu’on n’est pas en train de les priver de leur activité.

Comment évaluez-vous le travail du centre d’activités régional pour les aires spécialement protégées (SPA-RAC) au Maroc?

Au Maroc, un effort très important a été fait pour la création d’aires marines protégées sur la côte méditerranéenne. Une stratégie nationale y a été mise en place. En tant que SPA-RAC, on a beaucoup travaillé avec le Maroc pour la création d’aires marines protégées. Et jusqu’à maintenant, le centre y travaille pour l’identification d’aires marines protégées. Depuis 2000, notre centre a travaillé sur le parc national d’Al Hoceïma. C’est la première aire marine protégée au Maroc, une désignation écologique de la convention de Barcelone reconnaissant ses paysages uniques et sa biodiversité exceptionnelle, notamment sa zone marine qui est la seule intégrée à un Parc National sur la façade méditerranéenne marocaine, protégeant des espèces rares comme le balbuzard pêcheur. A noter qu’au niveau de ce parc, on a refait une deuxième cartographie en 2019 afin de comparer les changements qu’il y a eu depuis 2002 afin de l’utiliser comme première base pour le plan de gestion. Le centre a également travaillé à Cap des Trois Fourches sur les côtes marocaines, près de Nador et à DJebel Moussa, au nord du pays. L’objectif était de faire les inventaires et les cartographies des fonds marins afin de créer de nouvelles aires marines protégées au Maroc.

Entretien réalisé à Tunis par Naima Cherii

 

 

 

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