Panique à El Hajeb : Les principales sources d’eau contaminées. Plusieurs hospitalisations, cinq décès, enquête sur les causes

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Que se passe-t-il dans la ville d’El Hajeb? Cela fait plus de vingt jours que le Centre hospitalier provincial (CHP) est en alerte. Plusieurs patients présentant un ictère (jaunisse) hospitalisés aux urgences de ce centre hospitalier ont été signalés ces derniers jours. Enquête.

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Les cas diagnostiqués souffrent d’un état grippal, d’une fièvre sévère, de douleurs musculaires, de vomissement, de maux de tête, frissons, insuffisance rénale, etc. Sur les 13 cas diagnostiqués, du 6 au 13 septembre 2025, cinq sont décédés.

Selon des sources médicales autorisées à El Hajeb, difficile de savoir si le nombre de drames diminue. Trois nouveaux malades ont été redirigés, le 18 septembre, vers le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Fès pour leur prise en charge, indiquent nos sources.

Ces dernières, qui ont requis l’anonymat, précisent que des examens sanguins ont révélé une insuffisance rénale, une atteinte hépatique et une baisse des plaquettes (thrombopénie).

L’apparition d’un ictère associé à ces signes ont fait suspecter la leptospirose ictéro-hémorragique, une maladie d’origine bactérienne qui se transmet via l’urine d’animaux porteurs (surtout les rongeurs et les chiens) ou l’eau contaminée, explique une source au ministère de la Santé et de la protection sociale. Celle-ci fait savoir que la délégation régionale de la santé a été alertée par le CHP d’El Hajeb.

Le Reporter y était…

Pour en savoir un peu plus sur cette affaire, nous nous sommes rendus à El Hajeb, vendredi 19 septembre 2025. L’inquiétude était palpable parmi les gens dans cette petite ville de 40.000 habitants. Ceux, qui habitent près des sources d’eau dites Aïn El-Madani, Aïn Khadem et Aïn Boteghzaz, étaient encore plus anxieux.

Selon notre source, l’enquête effectuée auprès des patients présentant un ictère a révélé qu’ils viennent tous de ces zones-là et ont tous bu ou utilisé les eaux incriminées. C’est ce qui explique que les doutes ont très vite porté sur ces sources d’eau qui font la renommée d’El Hajeb.

Pour trouver la source de ces contaminations, une enquête a été déclenchée et un contrôle bactériologique de l’eau est régulièrement effectué par la délégation régionale de la santé.

Les résultats des analyses ont été annoncés le 8 septembre 2025. Ils révèlent que les trois sources d’eau sont contaminées par les urines des rongeurs (leptospirose), confirme à Le Reporter nos sources médicales à El Hajeb. Celles-ci, que nous avons rencontrées ce vendredi 19 septembre, qualifient  la situation de très inquiétante.

Dès lundi 9 septembre, les services du Conseil de la ville d’El Hajeb ont entamé les opérations de nettoyage, de désinfection et de dératisation sur les trois sites, déclare à Le Reporter le président du Conseil de la ville d’El Hajeb, Wahid Hakim. Des panneaux  ont également été placés sur les lieux, interdisant tout usage de l’eau des sources de peur que des gens de passage ou même des riverains ne soient contaminés, précise-t-il.

Ces mesures suffiraient-elles pour un retour à la normale?  Abdesselam Ouhajjou, président de l’association DIR d’irrigation El-hajeb se veut ferme. «Ces mesures demeurent insuffisantes», lance-t-il. «Il faudrait d’abord réfléchir à des mesures concernant le réseau d’assainissement. Car il faut éliminer les raisons de la présence des rongeurs dans les sources d’eau», dit Abdesslam Ouhajjou.

Mais celui-ci pointe un autre problème : Un aménagement ayant été fait au niveau des sources. Selon lui, cet aménagement serait l’une des raisons ayant causé la contamination des sources en question. Les dégâts seraient énormes. «Il y a eu une perte des eaux des sources dans les réseaux d’assainissement à cause de cet aménagement, lequel a été fait sans avoir pris en compte la situation géologique de ces sources-là  et sans même avoir fait une étude géophysique pour préparer le terrain à cet  aménagement», déplore le président de l’association.

Une expertise va-t-elle être commandée pour savoir si ces réseaux d’assainissement respectent-ils les normes ou non. Est-ce qu’il y a eu infiltration des eaux des sources dans ces réseaux-là ? Est-ce qu’il n’y a pas eu mélange des eaux des sources avec les eaux des réseaux d’assainissement? Ces questions restent en tout cas posées parmi les associatifs, mais aussi parmi les habitants. Pour eux, cette affaire de contamination est l’occasion pour tirer au clair ces questions qui restent posée au sujet des sources d’eau et même de la nappe phréatique dans cette ville.

A Ain Al Madani, aucune garde et les gens boivent encore de la source !

Alors que la ville d’El Hajeb peine encore à se remettre d’une contamination à la leptospirose, les habitants riverains des trois sources d’eau s’impatientent. Dans le quartier Ain Al Madani, se trouve l’une des trois sources contaminée : Ain Al Madani. Les eaux de cette source ont fait la renommée d’El Hajeb, depuis plusieurs décennies. Elles offraient aux habitants et aux visiteurs, un havre de paix et des fraîcheurs inestimables. L’eau qu’elle fournissait était utilisée pour la consommation, mais aussi pour l’irrigation des terres agricoles environnantes.

C’est dans ce quartier que plusieurs cas présentant un ictère ont commencé à apparaître. Certains d’entre eux sont même morts. Le premier cas diagnostiqué, un SDF qu’on appelait ici «Sami Allayl», est décédé le 27 août dernier. Samedi 13 septembre, il y a eu un autre mort à cause  de cette eau contaminée, raconte un habitant.

Sur place, un panneau d’avertissement était installé devant la source contaminée, mais sans explication ni campagne de sensibilisation. Il n’y avait aucune garde pour surveiller la source et empêcher son utilisation.

Des enfants jouaient dans l’eau de la source. Plusieurs personnes remplissaient leur bouteille d’eau de cette source. Au marché municipal, cette eau était encore utilisée par certains vendeurs de poisson et de légumes.

«Plusieurs personnes ont été malades à en crever! Pourtant, elles étaient résistantes», raconte un commerçant dans ce quartier. Il dit ne pas être totalement remis de ce qui s’est passé ici ces deux dernières semaines. Ces personnes habitent, toutes, dans ce quartier, dit-il.

Celui-ci indique que les gens, même ceux qui sont raccordés à l’eau potable, ont toujours bu de l’eau de la source Ain Al Madani.

«Une semaine après avoir placé une affiche interdisant tout usage de l’eau de cette source, nous n’avons vu aucune mesure. C’est long », se plaint ce commerçant. On n’est pas informé, dit-il.

Pour ce commerçant, le danger serait toujours là. Ils viennent balayer les alentours de la source, mais sans toucher au bassin. C’est un bassin qui ne sert plus à rien. Mais je peux vous dire que j’ai compté plus de 50 rats dans ce bassin», a-t-il dénoncé.

«Depuis un an et demi, nous sommes raccordés à l’eau potable. Mais on continue de boire de la source», dit un autre habitant, même s’il sait qu’elle est contaminée !

Les gens n’ont pas pris la mesure de la gravité de la situation. «Cette eau là est encore utilisée par certains ménages qui ne disposent pas d’un réseau d’eau potable. Elle est utilisée pour cuisiner et pour la consommation, etc.», dit un associatif.

Aïn El-Madani, Aïn Khadem et Aïn Boteghzaz, va-t-on les fermer?

Interrogé sur le sujet, le président  Wahid Hakim répond: «Il n’y a aucune décision à ce sujet». «Pour l’heure, on ne s’engage pas là-dessus». «On fait tout notre possible pour résoudre la situation dans les meilleurs délais», dit-il. Mais l’enquête se poursuit. Selon Wahid Hakim, des analyses ont été effectuées il y a quelques jours par le bassin hydraulique de Sebou sur la qualité de la nappe phréatique. «Le bassin s’est engagé là-dessus lors de la réunion élargie qui a été tenue à la préfecture, jeudi 18 septembre. On attend donc les résultats de ces analyses pour avoir plus d’information. La décision finale pourra alors être prise», explique-t-il. Pour l’heure, les consignes sont claires: non-utilisation de l’eau des trois sources pendant un certain temps, le temps de trouver le pourquoi du comment», conclut-il.

En attendant,  au CHP d’El Hajeb, l’alerte ne baisse pas d’un iota.  Les patients présentant un ictère continuent d’y affluer. Ils sont tous redirigés au CHU de Fès, selon nos sources médicales, qui déplorent le manque de moyens.

«Un cas diagnostiqué d’ictère dû à la bactérie de leptospirose est une forme grave nécessitant une hospitalisation immédiate et une prise en charge en réanimation urgente après l’apparition des symptômes», expliquent les mêmes sources.

Mais au CHP d’El Hajeb, disent-elles, il n’y a pas une prise en charge en réanimation ! C’est pourquoi, «les cas diagnostiqués sont envoyés au Centre hospitalier universitaire (CHU) Hassan II de Fès», précisent nos sources. Celles-ci critiquent au passage le circuit très lent des urgences au CHU de Fès. «Les cas que nous transférons ne doivent pas entrer dans le circuit normal des urgences de ce CHU. Ils doivent aller directement dans la réanimation. Car c’est une urgence vitale», martèlent-elles, soulignant que 13 cas diagnostiqués au CHP d’El Hajeb sont déjà  hospitalisés au CHU de Fès».

Nos sources alertent que la situation pourrait entraîner une augmentation des cas. «Les symptômes de l’infection se manifestent plus de deux semaines après la contamination. Si on ne trouve pas de solutions à cette contamination des eaux des trois sources, il y aura d’autres cas», préviennent-elles. Elles poursuivent: «le taux de mortalité est élevé. Sur les 13 cas reçus par le HCP, 5 sont décédés. On peut dire que nous sommes là face à une épidémie».

La situation est grave. Selon nos sources, une commission centrale d’inspection de la leptospirose (une équipe de techniciens de l’hygiène et deux médecins épidémiologiques) s’est déplacée ce vendredi 19 septembre au Centre hospitalier provincial Moulay Hassan.

Objectif: s’enquérir des procédures et des actions prises pour faire face à cette contamination infectieuse, indique une source médicale au CHP. Le but c’est aussi de vérifier le respect des règles d’hygiène et de désinfection ainsi que de la bonne application des règles professionnelles, conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur.

L’autre piste, la contamination peut venir de l’agriculture !

A quand le retour à la normale? Difficile de répondre à cette question. Mais à en croire les dires de certaines voix locales de la région  le retour à la normale pourrait prendre un certain temps. Les investigations devraient encore se poursuivre dans d’autres zones de la ville, insistent nos sources. Plusieurs sources d’eaux et des puits, notamment les zones situées dans les environs des terrains agricoles, doivent  être également contrôlés pour tenter de comprendre l’origine de cette pollution, selon nos sources, qui pointent les agriculteurs.

Mais la colère grondait contre les exploitants agricoles dans cette région, depuis un certain temps déjà. Du nitrate pourrait être trouvé dans les eaux souterraines d’El Hajeb. A l’heure où l’affaire de la contamination des sources les plus célèbres d’El Hajeb fait grand bruit, la crainte était que les nappes phréatiques soit contaminées par du nitrate, une substance posant des risques sanitaires à des concentrations élevées, notamment pour les nourrissons.

Pourtant, des signaux d’alerte sur la contamination des eaux des sources et des eaux souterraines de cette région ont été émis depuis plusieurs années. D’après notre enquête, des scientifiques avaient même relevé un taux de nitrate élevé dans les eaux de la région.

Depuis combien de temps les populations d’El Hajeb boivent-elles cette eau polluée? Impossible à dire: aucune information sur les prélèvements d’eau de ces dernières années, relèvent des associatifs locaux.

Pour eux, l’inaction des autorités est d’autant plus grave que «le nitrate n’est pas un poison qui agit immédiatement, comme l’arsenic, expliquent les épidémiologistes. C’est l’exposition à long terme à cette matière qui pose problème. Même si on arrête de boire l’eau polluée, la contamination continue dans l’organisme», selon les mêmes sources.  Mais nos sources associatives assurent que jusqu’ici, les autorités semblent ne pas se préoccuper de ce problème de l’utilisation excessive des pesticides.

Dans la région, des associatifs et des scientifiques tirent en tout cas la sonnette d’alarme. Selon eux, le problème serait grave. La zone est agricole, et  la contamination aux bactéries pourrait provenir de l’activité agricole, confient plusieurs sources concordantes à El Hajeb.

Le directeur de l’Association DIR d’irrigation El Hajeb, Abdesslam  Ouhajjou tient à souligner que l’eau des trois sources contaminées ne devait pas être consommée avant même cette affaire de contamination. C’est l’avis, poursuit-il, «des scientifiques qui avaient réalisé des études sur la qualité des eaux à El Hajeb». Leurs analyses sur l’eau  avaient révélé «des teneurs élevées à très élevés en nitrate», précise-t-il.

«Il y a des centaines d’hectares en amont à El Hajeb où on pratique une agriculture qui utilise des pesticides, de manière très excessive. Il y a donc possibilité d’infiltration de ces produits dans la nappe phréatique», explique encore Ouhajjou.

Ce que confirme le scientifique Hassan Tareq, qui déplore lui aussi l’utilisation des pesticides dans l’agriculture dans cette région. Il relève que, lui-même, avait fait des analyses sur l’eau en 2023 dans le cadre de sa thèse de doctorat. Ces analyses, dit-il, concernent trois sources d’eau, dont Ain Khadem. Elles ont dévoilé la présence du nitrate dans la source d’Ain Khadem (48mg/l). Ce qui reste un  taux élevé, dit-il.

L’associatif Elhoussine Meshet, lui, n’y va pas par quatre chemins. «Toutes les sources d’eau dans la ville d’El Hajeb sont dans un état très critique. Cette situation est la conséquence d’une surexploitation des ressources hydriques de la région par les agriculteurs, en particulier dans la zone située entre El Hajeb et Ifrane», dit-il non sans colère.

Cette zone était pourtant, pendant longtemps, destinée uniquement à l’activité de pâturage, tient à rappeler notre interlocuteur, également membre du secrétariat de la Coalition civile pour la montagne (CCM).

Il affirme que ces agriculteurs cultivent des produits à grande consommation d’eau et utilisent beaucoup de produits chimiques pour améliorer leur production. C’est ce qui a conduit, déplore-t-il, à la pollution des eaux souterraines et ce, depuis plusieurs années».

Inquiet pour l’eau de sa ville, l’associatif attire l’attention contre ces produits chimiques utilisés dans l’agriculture telles que le nitrate qui met en danger les ressource en eau. « Une évaluation des dommages doit être faite pour estimer les effets que cette contamination aura sur les eaux souterraines et les sources d’eau de la région», conclut-il.

Au moment où nous mettions sous presse, les résultats des analyses effectuées par le bassin hydraulique de Sebou sur la qualité de la nappe phréatique n’étaient pas encore annoncés.

Enquête réalisée à El Hajeb par Naîma Cherii

 

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