Canicule : Abderrahim Ksiri «Au Maroc, les records sont en train d’être battus»

Abderrahim Ksiri, Coordinateur national de l'Alliance marocaine pour le climat
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Entretien avec Abderrahim Ksiri, Coordinateur national de l’Alliance marocaine pour le climat

Depuis quelques jours, un dôme de chaleur extrême s’abat sur le pays. Que dire de cette canicule. Comment expliquer cette chaleur extrême?

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Cette chaleur fait normalement partie d’un changement du climat qui est dû à l’effet de serre de certains gaz. Il suffit de savoir que l’on a 120 millions de barils de pétrole consommés chaque jour et des centaines de milliers de tonnes de charbon sans parler du gaz. Cette augmentation de température a été prévue par toutes les études du groupement  des experts du climat (GIEC), à l’échelle mondiale.
Ces études ont prévu que d’ici 2100, le Maroc pourrait connaître une hausse de températures de 2,5 à 4 degrés, selon les scénarios du GIEC, avec multiplication par 4 des vagues de chaleur extrêmes d’ici 2050, sans réduction des émissions. Et d’ici la fin du siècle, le climat de Casablanca pourrait ressembler à celui de Djibouti dont le climat est de type désertique et caractérisé par des températures élevées et un manque de précipitation.
Il faut souligner que ces études sont vraiment en train de se confirmer mais avec une vitesse beaucoup plus rapide qu’auparavant. Il y a eu des records partout à l’échelle mondiale et au Maroc aussi. D’ailleurs, durant ces dernières années, ça n’a pas cessé de s’accélérer.

Quelles sont les raisons de cette accélération?

L’accord de Paris n’a pas été respecté. Et donc il n’y a pas eu diminution des gaz à effet de serre. C’est l’inverse qui se passe. Puisqu’il y a un retour à plus de pollution avec la Chine qui ouvre une station de charbon presque chaque semaine et les USA qui sont sortis de l’accord de Paris et qui vont à fond vers tout ce qui est production. Il y a aussi l’Inde et la Russie qui augmentent la production. Tout ça a donné des effets d’augmentation de températures parfois 3 à 5 fois supérieurs à la normale au niveau des deux pôles. Et d’ailleurs, l’année prochaine, il y aura la COP d’Australie qui sera dédiée aux villes qui vont disparaître.

Selon vous, les records sont-ils en train d’être battus auMaroc ?

Pour le Maroc les températures avoisinent les 40 degrés Celsius voire plus dans certaines régions. C’est d’ailleurs la même chose en Europe où des centaines d’écoles ont été fermées à cause de la canicule. Car il y a un risque d’atteinte à la santé partout en Europe. Au Maroc, on est plus adapté à la chaleur mais on voit que les records sont en train d’être battus : 50,4 degré Celsius à Agadir (11 aout 2023), 49,6 degré Celsius à Sidi Slimane (11 aout 2023). Cette année à Casablanca 39,5 degré Celsius, alors que l’ancien record était de 38,6 degré Celsius en 2011.
Ce record de température a maintenant un effet dévastateur d’abord pour la quantité des eaux qui est tombée, en particulier les eaux superficielles qui sont entrain de subir une évaporation très accélérée. De même, la situation de la nappe phréatique est très difficile. Elle est surexploitée à cause de la non-réussite du «contrat des nappes». Il y a également une transpiration des plantes qui augmente aussi les pertes d’eau.
Cette perte d’eau et cette augmentation de température avec tous les effets qu’elle a sur la santé fait qu’au jourd’hui il faut agir et vite.

Que doit-on faire, selon vous?

Il faut absolument essayer de revoir le modèle marocain. Pendant longtemps, on a essayé de croire que c’était tout à fait normal. Et donc on essayait d’attendre que ça se termine. Mais il faut reconnaître que c’est un phénomène durable, qu’il n’est plus conjoncturel, il est structurel. Et donc il faut absolument revoir toute notre politique. Que faire? Deux choses: l’adaptation et la résilience. Et d’ailleurs, il suffit de savoir que cette hausse moyenne de température que connaît le Maroc de 1,5 degrés depuis 1960 est vraiment assez élevée par rapport à d’autres pays. Même si certains d’entre eux nous ont dépassés. Je dois rappeler que le record mondial absolu est détenu par la vallée de la mort aux USA. En 1913, la température qui y a été enregistrée était 56,7 degrés Celsius, et le record moderne plus fiable est 54,4 degrés Celsius en 2020. Juillet 2023 était le mois le plus chaud jamais enregistré sur terre depuis l’invention du thermomètre.
Le réchauffement est donc là et il faut absolument le reconnaitre. L’accord de Paris prévoyait la température d’ici 2100. Elle doit être maîtrisée pour ne pas augmenter de plus de 1,5 degré Celsius.
On est déjà à 1,2 degrés Celsius. On va dépasser complètement la température fixée pour 2100 dans les mois ou les prochaines années. Ce qui entraînera un chamboulement à cause des perturbations climatiques, des flux d’airs, des mouvements d’air et des océans qui se réchauffent à une vitesse impossible surtout pour la méditerranée qui se réchauffe 20 fois plus vite que le reste des océans. D’ailleurs, on voit que la quantité de pêche halieutique a chuté. Les pêcheurs marocains disent que lorsqu’ils sortent en mer ils n’arrivent pas à couvrir les frais du carburant. Ce sont ces pêcheurs qui sont maintenant favorables à la création des cinq aires marines protégées alors qu’au départ ils étaient totalement contre.
Pour rappel, l’accord Montréal de 2022 souligne que l’océan doit être préservé sous forme d’aires marines protégées. 30% de l’espace de l’océan doit être protégé en aire marine à 100% et la pêche ne peut être faite que dans les 70% restants. Or on est très loin du compte. C’est pourquoi il faut avoir en mer comme sur terre, une capacité d’adaptation et de  résilience.

Comment faire ?

La première chose c’est de commencer par les villes. Nos villes doivent s’adapter aux changements climatiques. Il y a plusieurs solutions qu’il faut mener pour sortir du modèle actuel.
Environ 63% de la population est concentrée dans seulement 3% de l’espace urbain. Ces 3% ont été trop bétonnés avec des normes qui sont totalement dépassées et qui ne sont même pas respectées. Ce béton retient de la chaleur et la libère la nuit. Ça devient vraiment infernal. C’est pourquoi, les normes qui existaient auparavant ne sont plus valables aujourd’hui.
L’Organisation Mondiale de la Santé préconise au moins 10 mètres carrés d’espaces verts par habitant pour un environnement urbain sain. Mais ce chiffre n’est plus valable. Car on a les habitations de plus en plus petites surtout pour ce qui est du logement social. Et donc il y a une difficulté du mouvement de l’air à l’intérieur de la maison. Et la santé des enfants, des vieux et des femmes est totalement touchée.
Les nouvelles normes concernant les espaces verts, notamment dans le contexte urbain, mettent l’accent sur la densité végétale.
Selon ces nouvelles normes, en parcourant 300 mètres à partir du lieu de résidence, il faut absolument avoir deux hectares de parcs naturels avec des arbres, des zones humides, etc.  Et lorsque vous parcourez deux kilomètres vous devez trouver 20 hectares de parcs.
Les solutions fondées sur la nature viennent aussi d’être adoptées par les Nations Unies. Pour toutes les villes, il faut absolument planter partout, pas uniquement le gazon pour améliorer le paysage et l’attractivité de la ville, mais aussi des arbres pour qu’il y ait des zones où il y aurait beaucoup d’ombres près des cafés et dans des places.

Entretien réalisé par N.Cherii

 

 

 

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