UNOC 3-Océan : Mohamed Naji : «Les décisions issues de Nice représentent autant d’opportunités que de défis pour le Maroc»

Mohamed Naji, Professeur en Economie des pêches à l’ IAV Hassan II
- Publicité -

Entretien avec Mohamed Naji, Expert international et Professeur en Economie des pêches à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II

La Conférence des Nations Unies sur les océans a clos ses travaux  vendredi 13 juin à Nice. A en croire les scientifiques, l’océan est  en état critique.  Il y aurait donc urgence pour agir. Pensez-vous que les décisions de ce Sommet pourraient faire avancer les choses, notamment sur certaines questions comme la pollution plastique, les Aires Marines Protégées, la Haute mer, l’économie bleue,…?

- Publicité -

Le processus des Conférences des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) illustre une remarquable maturation de la diplomatie maritime mondiale, passant d’une logique de mobilisation initiale à une stratégie d’action concrète fondée sur la science. Cette évolution, amorcée à New York en 2017, a trouvé son apogée lors de la troisième conférence organisée à Nice du 9 au 13 juin 2025, co-présidée par la France et le Costa Rica. Le thème général «Accélérer l’action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan» traduisait cette volonté de passer des déclarations aux réalisations tangibles.

La conférence a été le théâtre de débats intenses sur les questions les plus critiques pour l’avenir océanique. Le Traité sur la Haute Mer, connu sous l’acronyme BBNJ (Biodiversité au-delà de la Juridiction Nationale), occupait une place centrale dans les discussions. Ce traité historique, adopté en 2023, fournit le cadre juridique pour protéger la biodiversité dans les 64% de l’océan situés au-delà des juridictions nationales. L’un des succès les plus tangibles d’UNOC 3 a été de servir de «moment de ratifications», créant une dynamique politique qui a permis de faire passer le nombre de ratifications de 32 à 50, rendant l’entrée en vigueur du traité (nécessitant 60 ratifications) imminente. Le Maroc, en étant l’un des premiers pays à ratifier cet accord, s’est positionné comme un leader en la matière, un geste salué à de multiples reprises lors de la conférence.

Directement lié au traité BBNJ, l’objectif mondial de protéger 30% de l’océan d’ici 2030 a constitué un autre axe majeur des débats. La conférence a été marquée par une vague de nouvelles annonces d’Aires Marines Protégées (AMP), la France donnant l’exemple en annonçant la désignation de la plus grande aire marine protégée au monde dans les eaux de la Polynésie française, incluant une vaste zone de non-prélèvement intégral. Ces engagements ont contribué à faire progresser la couverture mondiale des AMP de 8% vers plus de 10%. Au-delà de la quantité, les discussions ont mis en évidence la nécessité cruciale de passer de simples «parcs de papier» à des zones bénéficiant d’une protection forte et d’une gestion efficace, particulièrement dans les eaux internationales qui ne sont actuellement protégées qu’à 1,5%.

Le concept d’économie bleue, promu comme voie de développement durable notamment pour les Petits États Insulaires en Développement et les Pays les Moins Avancés, a fait l’objet d’un examen approfondi. Le «Blue Economy and Finance Forum», organisé à Monaco, a cherché à mobiliser les investissements nécessaires, aboutissant à des promesses de financement de 8,7 milliards d’euros.

La pollution plastique, fléau visible avec environ 8 millions de tonnes de plastique déversées annuellement dans l’océan, demeure une priorité absolue. Bien que les négociations pour un traité mondial juridiquement contraignant se poursuivent dans le cadre du Comité Intergouvernemental de Négociation, UNOC 3 a servi de caisse de résonance politique.

Près de 100 pays, dont la France, ont signé un appel pour un traité ambitieux visant à réduire la production et la consommation de plastique à la source, et non pas seulement à gérer les déchets. Cet appel a renforcé la position des pays plaidant pour une approche couvrant l’ensemble du cycle de vie du plastique.

Qu’en est-il de la question des subventions à la pêche et de l’exploitation minière ?

La question des subventions à la pêche, qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, constitue un dossier de longue date à l’Organisation Mondiale du Commerce. Bien qu’UNOC 3 ne soit pas une enceinte de négociation de l’OMC, la présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement a offert une plateforme politique de haut niveau pour réaffirmer la nécessité de conclure un accord complet, soulignant l’importance d’un traitement spécial et différencié pour les pays en développement afin de protéger la pêche artisanale.

Concernant l’exploitation minière des grands fonds marins, elle représente sans doute la question la plus controversée de la gouvernance océanique contemporaine. Le débat oppose le potentiel d’extraction de minéraux stratégiques à des risques environnementaux inconnus mais potentiellement catastrophiques pour des écosystèmes fragiles. À Nice, une coalition de 37 pays, menée par la France, a réitéré son soutien à une «pause de précaution» ou à un moratoire sur cette activité, mettant en évidence une fracture croissante au sein de la communauté internationale et renforçant le principe de précaution comme pilier central de la gouvernance océanique moderne.

Le Maroc possède l’un des plus grands domaines maritimes. Que fait notre pays  pour protéger l’océan? Est-il à la hauteur ?

Avec ses 3.500 kilomètres de côtes et une Zone Économique Exclusive de 1,2 million de kilomètres carrés, le Royaume dispose de l’un des plus vastes domaines maritimes au monde. Sa stratégie océanique s’articule autour d’un arsenal politique et juridique remarquablement complet, souvent cité en exemple en Afrique. La stratégie Halieutis, lancée en 2009, a transformé le secteur de la pêche marocain en établissant 30 plans d’aménagement des pêcheries pour réguler les stocks selon des bases scientifiques.

La Stratégie Portuaire Nationale 2030 intègre des objectifs environnementaux dans le développement des infrastructures, tandis que la Loi 81-12 sur le littoral, adoptée en 2015, fournit le cadre juridique pour une gestion intégrée, la protection des écosystèmes et la lutte contre la pollution.

L’Initiative Ceinture Bleue, lancée par le Maroc lors de la COP22 à Marrakech, illustre parfaitement cette approche stratégique. Cette plateforme de coopération internationale visant à promouvoir la résilience des océans rassemble aujourd’hui plus de 30 pays et constitue un outil clé de la diplomatie océanique marocaine. Elle se concentre sur le développement de systèmes d’observation côtière, notamment via le programme innovant de «pêche sentinelle» qui intègre les pêcheurs dans la collecte de données scientifiques.

Pour le Maroc, les décisions et dynamiques issues de Nice représentent autant d’opportunités que de défis. Le Royaume dispose indéniablement d’un cadre stratégique et institutionnel remarquable, souvent salué comme exemplaire en Afrique. Son positionnement précoce sur le traité BBNJ, son Initiative Ceinture Bleue, et sa co-présidence du sommet «L’Afrique pour l’Océan» aux côtés de la France témoignent d’une diplomatie océanique proactive et influente. Cependant, le principal enjeu pour le Royaume ne réside plus dans la conception de nouvelles stratégies, mais dans l’accélération de leur mise en œuvre effective, l’amélioration de leur intégration transversale et la gestion transparente des tensions persistantes entre impératifs de développement économique et exigences de protection environnementale.

Le gouvernement marocain est critiqué sur des questions comme la pêche illicite INN, la surpêche…Qu’en dites-vous?

Les critiques concernant la persistance de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) sont documentées par des organisations comme l’Environmental Justice Foundation, qui expose notamment l’usage continu de filets dérivants en Méditerranée par des navires marocains, pratique destructrice pour les dauphins, requins et autres espèces. Les estimations suggèrent que les captures INN représentent près de 30% du total, révélant un système de contrôle qualifié de «laxiste et non persuasif» par les experts. Malgré l’existence de 30 plans d’aménagement dans le cadre de la stratégie Halieutis, le respect des dispositions n’est pas systématique, et l’application effective demeure défaillante sur l’ensemble du vaste domaine maritime national.

Les aires marines protégées c’est là où UNOC 3 était très attendu. Au Maroc, certaines voix pensent que malgré les engagements pris  par le gouvernement ce n’est pas assez. Selon vous, le Maroc respecte-t-il ses engagements en aires marines protégées? Les eaux marocaines sont-elles protégées de la pêche industrielle?

Concernant les Aires Marines Protégées, le gouvernement marocain affiche des ambitions claires avec un objectif national de désigner 10% du territoire maritime comme protégé d’ici 2030. Huit nouvelles AMP ont été récemment officialisées dans le cadre de la Stratégie Nationale de Développement Durable. Cependant, l’expertise technique pointe un décalage préoccupant entre les engagements politiques et leur concrétisation opérationnelle sur le terrain. Les AMP existantes demeurent largement «sur le papier», avec des instruments d’opérationnalisation lacunaires qui suggèrent que la mise en œuvre pourrait être considérablement accélérée.

En dehors des zones spécifiquement protégées, la pêche industrielle reste une activité légale et encadrée dans la ZEE marocaine. Le problème persistant des «parcs de papier» – zones protégées cartographiquement mais insuffisamment surveillées – permet aux navires industriels de continuer leurs activités dans des aires théoriquement interdites. Des études scientifiques montrent que la pêche industrielle tend à se concentrer aux abords immédiats des AMP pour bénéficier de l’effet de «débordement» des populations de poissons, augmentant paradoxalement la pression écologique aux frontières des zones censées être protégées.

Certains pays s’engagent à interdire totalement le chalutage de fond partout. Qu’en est-il du Maroc?  Ces pratiques sont-elles tolérées dans les eaux marocaines?

La question du chalutage de fond illustre la complexité des arbitrages politiques du Maroc. Contrairement à certains pays qui ont adopté des interdictions totales, le Royaume privilégie une approche de restriction ciblée basée sur les avis scientifiques de l’Institut National de Recherche Halieutique. Plusieurs mesures spécifiques ont été adoptées : interdiction pour les navires de plus de 15 tonneaux de jauge brute dans une zone spécifique de la Méditerranée en 2020, bannissement du chalut à grande ouverture verticale pour la pêche au poulpe en 2018, et protection du récif corallien de Cabliers en mer d’Alboran en 2023. Cependant, en dehors de ces zones spécifiquement désignées, le chalutage de fond demeure autorisé et réglementé.

Interview réalisée par Naîma Cherii

 

- Publicité -

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here