A Safi, un vent de colère essaime parmi les ouvrières de la conserve de poissons agacées de voir leur condition de travail et de vie dégringoler. C’est en tout cas, ce que ces sardinières ont crié, lors d’un sit-in de protestation tenu ce dimanche 1er décembre 2024.
Ce dimanche 1er décembre, la ville de Safi s’est emplit des cris de ces ouvrières qui, pour la première fois, osent à déplorer l’injustice dont elles font objet dans les unités de traitement de poissons.
«Mécontentement» et «désarroi» : c’est en ces termes que les sardinières ont exprimé leur ressenti lors de leur mouvement de protestation, face à des conditions de travail qu’elles jugent dégradées et un manque de reconnaissance. Selon des sources syndicales, celles-ci reviendront à la charge jusqu’à ce qu’elles obtiendront gain de cause.
Ces mêmes sources confient que le mouvement de contestation des sardinières devrait encore se faire l’écho dans les jours qui viennent si «les responsables ne sont pas au rendez-vous».
Mais en attendant, la Fédération démocratique du travail (FDT) –Union local Safi a adressé ce mercredi 4 décembre une lettre au nouveau gouverneur de la province de Safi dans laquelle ce syndicat demande une rencontre pour examiner la «réalité de la souffrance» des ouvriers et des ouvrières du secteur de la conserve de poissons à Safi. Dans cette lettre, dont Le Reporter détient copie, le syndicat critique l’Union nationale des industries de la conserve de poisson (UNICOP) et l’accuse d’être responsable de la situation.
Comment expliquer le «désarroi» de ces femmes? Joint par nos soins, l’adjoint du secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT)-Union local Safi, Elmostafa Sandia dénonce les pratiques de certains employeurs.
«Ces femmes travaillent de longues heures sans s’arrêter. Elles peuvent travailler même le soir. Ces sardinières peuvent faire jusqu’à 98 heures de labeur en sept jours pour un salaire qui suffit à peine à couvrir leurs besoins fondamentaux. Ce qu’elles vivent dans ces usines est une véritable exploitation. Elles demandent justice et que leurs voix soient entendues», dit l’adjoint du secrétaire général.
Les femmes sardinières travaillent entre12 et 14 heures, précise-t-il, mais les employeurs ne comptent que 7 heures de travail. Les ouvrières ne sont donc rémunérées que pour 7 heures de travail. Elles sont prises à la gorge. « Par cette manifestation, ces femmes sont venus exprimer leur ras-le-bol et déplorer cette injustice en appelant à ce qu’elles soient payées pour toutes les heures de travail qu’elles effectuent», déclare-t-il à Le Reporter. Il ajoute : «cette pratique injuste aggrave la crise sociale de ces femmes. Nous demandons que toutes les heures de travail effectuées réellement par ces femmes soient comptées et déclarées».
Selon Elmostafa Sandia, une campagne a été lancée par la FDT-Union local- Safi pour la signature d’une pétition afin de rendre justice à ces femmes. Cette pétition, signée par 10.000 personnes, a été présentée au ministre de l’emploi et aux autorités locales, fait-il savoir.
«Dans cette pétition, nos appelons les autorités et les responsables à intervenir d’urgence pour mettre fin à la situation misérable de ces ouvrières, et surtout de compter toutes les heures de travail que celles-ci accomplissent dans ces unités de traitement de poisson», dit-il précisé.
Les femmes souhaitent une protection sociale, dit-il. «Nous demandons également que ces femmes puissent bénéficier d’une couverture médicale, d’allocations familiales et d’une pension de retraite. Car, elles n’ont rien. Les heures de travail qu’elles effectuent réellement ne sont pas, toutes, déclarées à la CNSS, et ne bénéficient pas du salaire minimum (60%) pour profiter d’une couverture médicale», précise-t-il.
Ces femmes, poursuit-il, quand elles auront atteint l’âge de retraite elles n’auront aucune pension. «Elles n’arriveront pas à vivre, tout simplement. Comment pourrait-on vivre quand on n’a rien?», dira notre interlocuteur de syndicaliste.
Ce dernier dénonce également le non respect de la liberté syndicale. «Lorsqu’elles revendiquent leurs droits, ces ouvrières de la conserve de poissons sont menacées d’expulsion», déplore la même source. «Elles sont interdites du droit d’adhérer au syndicat de la FDT. D’ailleurs, chaque fois qu’un bureau est constitué, ses membres sont automatiquement expulsés, ce qui est contraire à la constitution et à la loi», dit encore le responsable syndical.
Si la question du salaire et des heures de travail effectuées par les sardinières n’est pas à négliger, la grogne des sardinières s’explique aussi par certains actes, notamment l’insulte et les diffamations envers certaines d’entre elles, comme le confirme notre source syndicale. «Certaines ouvrières sont victimes de ces actes d’une façon répétitives. Nous les avons encouragées à intenter une action en justice pour insultes et diffamations. Un dossier est actuellement devant la justice, et concerne un directeur d’unité, lequel est poursuivi pour insultes sexistes. Les chefs d’unité, communément appelées «Cabranates»,sont également complices de ces responsables. Une d’entre-elles est également poursuivie pour chantage, pots-de-vin, insultes et diffamation », tient-il à souligner.
A l’époque, Safi se vantait d’abriter l’un des plus importants tissus industriels exportateurs de sardines sur le plan international. Mais, depuis près d’une quarantaine d’années, la zone industrielle de la conserve de poisson est presque abandonnée, avec des fabriques fantômes à pertes de vue. Plus de 60 unités de traitements de poisson ayant définitivement arrêté leur activité dans les années 80 du siècle dernier. Pourtant, la ville n’aura pas perdu sa vocation de conserverie du pays. Elle demeure la première productrice de sardine en conserve du pays, avec une production globale de 90.000 tonnes par an.
L’industrie de la conserve de poisson est le principal employeur de Safi avec plus de 7.000 emplois directs et 30.000 emplois indirects. Cette industrie exporte plus de 90% de sa production vers plus de 100 pays à travers le monde, selon l’Association des Industries de Poisson de la cité de l’Océan.
Reste à dire que la ville de Safi doit ce positionnement à la qualité de son produit fini et à un savoir-faire qui reste propre aux femmes sardinières safiotes.
Naima Cherii