La pêche débarque au Parlement. Pluie d’alertes des politiques, experts et professionnels

La situation est catastrophique. Les prises ont fortement baissé. Il n’y a presque pas de poisson. Et si on ne fait rien, la situation sera encore plus grave pour les prochaines générations. C’est le constat dressé par les intervenants lors d’une journée d’étude organisée mardi 9 juillet au Parlement.

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Réunis au Parlement à l’initiative du groupe parlementaire du PJD, experts, politiques et professionnels ont parlé d’une seule voix pour interpeller le département de la pêche et le gouvernement sur une crise aiguë que connait actuellement le secteur de la pêche au Maroc.

Dans un contexte de crise sans précédent, Mohamed Naji, Expert international et Professeur en Economie des pêches à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, n’y va pas par quatre chemins. «Cela fait 33 ans que j’exerce en tant que chercheur dans ce secteur de la pêche maritime, on n’a jamais vécu une telle situation, à l’exception de la période où les pêcheries de poulpe ont connu un assèchement en 1999. Le secteur de  la pêche maritime dans notre pays n’avait jamais connu une telle crise. Malgré les discours officiels rassurants, la situation est critique», s’inquiète le scientifique. Et de poursuivre : «L’année 2022 était très difficile pour les ressources halieutiques. D’ailleurs, les professionnels se plaignent de la baisse  de poisson. Sans compter les changements climatiques».

Le Maroc a certes réalisé les objectifs de la stratégie Halieutis, en termes de production et d’exportation, mais en parallèle, on a détruit nos ressources halieutiques, regrette cet expert, qui a travaillé sur plusieurs rapports devenus une référence scientifique en matière de pêche maritime,

Selon Naji, les preuves sont d’ailleurs incontestables: Certaines pêcheries (Méditerranée, nord d’Agadir…) sont dans un état très inquiétant. «Malgré les plans d’aménagement, les indicateurs sont très préoccupants. Notre destruction de la ressource a atteint des niveaux qui menacent notre richesse halieutique. La situation est on ne peut plus urgente. À tel point que plusieurs bateaux sont actuellement en arrêt et ne peuvent plus sortir en mer», explique-t-il.

Ce dernier ne mâche pas ses mots. Selon lui, il n’y a aucune harmonie entre les plans d’aménagement et ce qui se pratique sur le terrain. «Il y a un effort qui a été fait par le département de la pêche. Mais je peux vous dire que sur le terrain,  la réalité est autre chose. Rien à voir avec les plans d’aménagement des pêcheries. D’ailleurs, aucun segment de pêche n’est à l’abri de violation de la loi», affirme Naji, qui pointe surtout un «faible contrôle».

Entre 70 et 80% de la production halieutique va à l’étranger !

Le scientifique a critiqué aussi les exportations. «Nous exportons presque la totalité de notre production à l’étranger. Entre 70 et 80% de la production halieutique va à l’étranger. Selon les chiffres officiels, quelque 880 mille tonnes ont été exportées en 2022. Mais si on tient compte de la matière première, ce chiffre grimpe à 1,8 millions tonnes de poisson qui a été exporté. Ce qui représente 120% de ce que nous produisons en réalité et qui atteint plus de 2 millions de tonnes. Ce n’est pas normal», dit-il. Ce que l’expert a critiqué face au défi de la souveraineté alimentaire du pays. «Quand notre pays a 3500 km de côtes et qu’il a un problème de sécurité alimentaire, ce n’est pas normal que près de la totalité de notre production est destinée à l’exportation», fait remarquer l’expert.

Franchement, lance-t-il, qu’on nous dise qu’est ce qu’on veut exactement de ce secteur de la pêche maritime. Est-ce qu’on veut toujours de la pêche pour le marché local? «Car si on cible encore l’exportation, cela est déjà fait. Le plan Halieutis a atteint ses objectifs en ce qui concerne les exportations. Mais on n’est pas gagnant au niveau consommation interne. Il faut donc réfléchir à une politique proactive pour le marché local», précise encore l’intervenant.

Ce dernier tient à rappeler qu’avant le plan Halieutis, le département de la pêche parlait de trois objectifs: la consommation locale, l’emploi et la balance commerciale. Mais avec la mise en vigueur de cette stratégie, ces objectifs ont été ratés, même s’il y a une vision sectorielle correcte, notamment en ce qui concerne la durabilité, l’efficacité et la compétitivité, insiste-t-il. D’ailleurs, explique encore le scientifique, «l’emploi a été sacrifié. Aujourd’hui, on ne parle plus de 300 mille postes d’emploi par an. La majorité des bateaux sont en arrêt et donc on parle maintenant d’emploi partiel. On a aussi sacrifié le marché national. Aujourd’hui, le consommateur marocain n’a plus accès au poisson».

Un autre message que veut faire passer ce scientifique. L’informel est un autre danger qui menace le secteur. Une grande quantité de produits halieutiques ne passent pas par la halle, mais par le circuit illégal sans que les contrebandiers ne soient inquiétés. Ces derniers vendent leurs produits à des mareyeurs opérant dans le circuit informel, mais aussi à ceux du secteur organisé. Un problème qui prend en otage plusieurs ports du pays. Le scientifique évalue les quantités de poisson transitant par l’informel à plus de 30% de la production globale capturée au niveau des pêcheries des différentes régions. Ces captures non déclarées ne passent pas par la criée, déplore Naji. «Ce problème doit être pris au sérieux. Car il s’agit d’un phénomène qui prend de l’ampleur et qui prive les ressources de l’Etat des taxes que l’ont doit normalement payer sur ces prises qui n’ont pas été déclarées. Sans compter que le produit en question n’a pas été soumis à un contrôle sanitaire», soutient l’expert, soulignant que ce poisson transitant par le circuit illégal est actuellement servi sur le marché national. Selon Mohamed Naji, sur les 400 000 tonnes de poissons qui vont au marché local, une grande quantité viendrait de l’informel non déclaré.

Le scientifique pointe une autre anomalie: l’utilisation de certains engins de pêche est nocive  pour l’environnement. Durant les 30 dernières années, ces outils ont détruit notre écosystème et nos ressources halieutiques», dit-il, appelant le ministère à adopter une «approche écosystémique» des pêches, comme cela se fait ailleurs.

Mais il y a aussi le problème des chalutiers qui ont ravagé la mer. Ces chalutiers ne respectent pas les normes légales. Ils pêchent dans des zones interdites, à moins de 1,5 miles, et pêchent donc le juvénile. Pour le chercheur, il faudrait interdire ces chalutiers qui détruisent nos ressources halieutiques. «En principe, ces chalutiers ne doivent pas continuer d’exister au Maroc. Disons qu’on pourrait passer par une étape transitoire de 20 à 30 ans avant qu’ils soient interdits dans notre pays. Mais il faut rappeler que dans les pays qui se respectent on a interdit le chalutage, car il porte un grand préjudice aux ressources halieutiques», conclut le scientifique, lors de cette journée d’étude.

Naîma Cherii

 

 

 

 

 

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