Les professionnels de la pêche attendent les annonces du Chef du gouvernement, qui devrait dévoiler des mesures pour la filière dans les prochains jours. Un effort du Groupement des pétroliers au Maroc est également très attendu pour stabiliser le prix du carburant destiné au secteur de la pêche.
Y aura-t-il encore du poisson sur les étals de nos marchés en ce mois de Ramadan? L’augmentation inédite du prix du gasoil pourrait avoir des conséquences palpables sur l’approvisionnement des marchés pendant ce mois sacré. D’après plusieurs échanges avec des professionnels, cette hausse des cours des hydrocarbures menace d’immobiliser un nombre important de la flotte nationale. «On avait déjà un manque à gagner en raison de la diminution des stocks, notamment en ce qui concerne la sardine. Mais le coût élevé du gasoil ne rend plus rentables les sorties en mer. On ne peut plus supporter de travailler à perte», déclarent plusieurs professionnels, qui ne décolèrent pas.
Raison de leur colère: depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la profession de la pêche a vu exploser le prix du gasoil détaxé qui n’était encore que de 7 dirhams le litre deux mois auparavant. Un montant déjà très élevé, déclare à Le Reporter Larbi Mhidi, président de la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC).
11,2 dirhams. C’est à ce prix que le gasoil détaxé est actuellement cédé dans les ports marocains. Même si le carburant de la pêche est subventionné, son prix a augmenté de manière spectaculaire. Avec 11.200 dirhams la tonne de gasoil chaque jour, au lieu de 7000 dirham, on ne s’en sort plus, même si la pêche est bonne, précise le président de la CNPC, également membre de la chambre des pêches maritimes de l’Atlantique nord.
Cette situation a poussé bon nombre de patrons de pêche à réduire leur activité, selon des marins pêcheurs, qui s’inquiètent pour leur salaire. «Les pêcheurs subissent aussi cette augmentation des prix du carburant. Car plus le gasoil est cher, moins les entreprises de pêche pourront assurer les salaires dans les prochains jours, si le problème persiste», expliquent des marins-pêcheurs.
Pour les armateurs dont les navires consomment entre 800 litres et une tonne par jour, cette flambée tient plutôt du cauchemar, comme le relève le président de la CNPC, ajoutant que l’inquiétude est grande dans toute la filière. «La flambée des prix se fait lourdement ressentir. Les professionnels ont vu leurs charges fortement augmenter. Certains navires qui ont déjà atteint leur seuil de rentabilité ont décidé de rester à quai», dit-il, affirmant que le chiffre d’affaires des professionnels du secteur aurait baissé de plus de 70%.
A Agadir, pour ne citer que ce port, plusieurs d’entre eux étaient, samedi 2 avril, contraints de laisser à quai leurs bateaux face à la hausse des prix des carburants. Pour l’heure, la grève n’est pas encore officielle. Mais d’autres, qui craignent pour l’avenir de leur profession, pourraient bien se joindre à ce mouvement de contestation contre l’augmentation du prix du carburant. D’ailleurs, lundi 4 avril, au port de Mehdia, à Kenitra, la colère grondait chez les professionnels du secteur de la pêche, qui se désolent de voir le prix du gasoil détaxé monter en flèche. Ils ont décidé de cesser leur activité à compter de ce lundi 4 avril jusqu’à jeudi 7 avril, apprend-on. Et au nord du pays, on soutient que les patrons de pêche envisageraient également de suspendre provisoirement l’activité.
«Pour l’instant, rien n’est encore décidé. Mais si le gouvernement n’intervient pas pour accompagner la profession de la pêche à faire face à cette hausse du gasoil, il n’y aurait plus beaucoup de pêcheurs à prendre la mer», souffle Karim Lamrabet, membre à la Chambre des pêches maritimes de la Méditerranée. Celui-ci évoque déjà une diminution des captures de 95 %. Conséquence, dit-il, de l’arrêt de bon nombre de navires ne pouvant plus sortir en mer avec la flambée du gasoil.
Le gasoil détaxé, une source d’inquiétude pour la filière !
Les représentants de la filière comptent sur l’intervention du gouvernement pour apporter une aide aux professionnels du secteur, en provoquant une première réunion avec la Secrétaire générale du ministère de tutelle, Zakia Driouch. Ils se sont adressés à elle afin de leur venir en aide et à l’ensemble de la filière halieutique. Une réunion a été tenue lundi 28 mars 2022 au ministère de tutelle pour débattre du sujet.
Première source d’inquiétude pour les pêcheurs côtiers: le gasoil détaxé. «Le gasoil de la pêche est en principe subventionné. Mais on apprend qu’avant l’envolée des cours, les sociétés de distribution le vendaient à seulement 5300 dirhams la tonne aux pêcheurs hauturiers. Alors qu’elles nous le cédaient à 7500 dirhams la tonne. C’est illégal», souligne le président de la CNPC, non sans exacerbation. Il ajoute: «Aujourd’hui, les côtiers achètent le gasoil dédié à la pêche à 11.200 dirhams la tonne et les hauturiers à 8000 dirhams/ tonne». Lors de cette rencontre, les représentants de la filière ont appelé à la création d’un fonds de garantie qui fixe un plafond des prix du carburant. Pour Larbi Mhidi, l’avantage de ce fonds «c’est que lorsque les prix du carburant augmentent, l’Etat soutient la profession et quand les prix diminuent, les professionnels continuent de s’acquitter du même prix, et la différence est versée au fond de garantie».
Au centre des tractations figuraient également les taxes prélevées sur les ventes des produits de mer. «Il est injuste que l’Office national de la pêche (ONP) nous prélève 4,5 % pour des services qu’il ne nous rend même pas», relève Mhidi, soulignant à cette occasion que les professionnels de la pêche côtière doivent payer chaque jour une taxe de 17,5%. Notons que les représentants de la filière devaient rencontrer jeudi 31 mars Faouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget. Mais cette rencontre a été reportée, selon Mhidi, lequel fait savoir que la fédération a déjà adressé des courriers au Chef du gouvernement ainsi qu’au ministre délégué chargé du Budget. Pour l’instant, les pêcheurs optent pour le «dialogue». Mais, ils pourraient hausser le ton si aucune solution n’est trouvée à cette situation, confie le président de la CNPC. Il fait aussi savoir que la profession de la pêche attend les annonces du département du chef du gouvernement, qui devrait dévoiler des mesures pour le secteur dans les prochains jours. Un effort du Groupement des pétroliers au Maroc est également très attendu pour stabiliser le prix du carburant destiné au secteur de la pêche, insiste-t-il.
En moins d’une semaine, les professionnels de la filière ont enchainé les réunions et lancé plusieurs signaux concernant leurs propositions face à la hausse des prix des hydrocarbures. «Nous avons alerté le Chef du gouvernement dès le début du mois de février», rappelle le président de la CNPC, qui défend les intérêts de 1800 navires côtiers. Les prix ont grimpé jusqu’à plus de 11,2 dirhams le litre de gasoil, dit-il, ajoutant que les professionnels demandent un plafonnement du prix du gasoil. «À 5 dirhams le litre maximum, ça peut être acceptable », précise-il.
Un sentiment partagé par Abdellah Lablihi, Président de la Fédération de la pêche artisanale. «Les pêcheurs s’inquiètent pour leur avenir. Ce qu’ils demandent c’est une rémunération raisonnable. Et en ce moment, bon nombre de bateaux de pêche sont laissés à quai à cause de la flambée des prix du gasoil, laquelle vient s’ajouter à la crise liée à la pandémie et à la baisse drastique de la ressource ces dernières années», dit-il à Le Reporter. Et de poursuivre: «Même si le carburant destiné à la pêche est exonéré, il est difficile de sortir en mer. Alors que nous avons demandé que le prix du gasoil soit fixé à 5 dirhams/ litre au maximum, on doit maintenant payer 11.000 dirhams la tonne».
Ce professionnel, qui demande, lui aussi, un plafonnement du prix du gasoil de la pêche, ne mâche pas ses mots. «Les sociétés de distribution demandent aux pêcheurs artisanaux de payer 10% de TVA, alors même que c’est illégal. Puisque le gasoil de la pêche est exonéré de toute taxe. C’est d’ailleurs précisé dans le décret. Pourquoi la pêche artisanale doit payer ces 10 % ? A qui va cet argent ? C’est du vol. L’Etat doit veiller au contrôle des prix du gasoil dans les ports», appelle-t-il. Avant de conclure: «les mesures du gouvernement sont également attendues par les marins-pêcheurs, dont les salaires ne pourront plus être assurés à cause de la situation».
Naîma Cherii