Le village de Tighassa dans la commune rurale d’Iknioune à Tinghir vibre ces derniers jours au rythme d’un nouveau scandale écologique. Selon des associatifs de la région, des rejets liquides d’une digue sur le site d’exploitation de la mine d’or de Tiouit s’étaient étalés, ce samedi 4 décembre, sur 50 mètres dans la rivière «Tighssa » et sur des terrains agricoles. Ils contiendraient, disent-ils, du cyanure.
«La situation dans le village de Tighassa dans la commune rurale d’Iknioune dans la province deTinghir devient invivable. Les exploitants de la mine d’or de Tiouit, située dans ce douar, ne respectent pas les clauses des cahiers des charges et continuent d’ignorer les mesures de sécurité sur l’usine d’exploitation». Ce constat nous a été confirmé, ce samedi 4 décembre, par des associatifs locaux, qui soutiennent que la région vibre ces derniers jours au rythme d’un nouveau scandale écologique.
Nos associatifs, qui ont requis l’anonymat, évoquent le déversement, ce même samedi 4 décembre, de «résidus miniers» depuis une digue sur le site d’exploitation de la mine. Selon eux, des rejets liquides de cette digue à problème, qui s’étaient étalés sur 50 mètres dans la rivière «Tighssa» et sur des terrains agricoles, contiendraient du cyanure, matière que les exploitants de cette mine utilisent pour traiter l’or, le cuivre et l’argent. Cet incident s’est produit alors que les villageois pensaient que la société Co-Company qui exploite la mine d’or de Tiouit avait suspendu ses activités depuis trois semaines. Nos associatifs qui semblent bien informés soufflent qu’après une visite des responsables de cette entreprise à capitaux marocains et canadiens, la décision aurait été prise d’arrêter l’exploitation de la mine. Jusqu’à quand ? Pour l’heure, on ignore encore les dessous de cette affaire.
L’usine d’exploitation à l’arrêt depuis trois semaines !
Interrogé sur l’incident, le directeur d’exploitation, Khaled Zaim a refusé de répondre à nos questions. Mais selon des sources proches des autorités, qui se trouvaient sur les lieux samedi 4 décembre, le directeur d’exploitation a souligné aux autorités qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter et qu’il s’agissait de « produits de rinçage».
C’est ce qui nous a été souligné à la commune rurale. Le responsable d’exploitation a déclaré aux autorités que l’usine était à l’arrêt depuis maintenant une vingtaine de jours, nous a indiqué le président de la commune d’Iknioune, Brahim Amraouh, ajoutant que «selon le responsable d’exploitation, le jour de l’incident, les équipes de la société étaient en train de nettoyer l’usine avec de l’eau de rinçage».
Joint au téléphone par nos soins, le président de la commune se dit toutefois préoccupé. «Cela ne devait pas se produire. Déverser cette eau de rinçage sur les terrains agricoles était une erreur. Car, rien ne prouve que cette eau ne contient pas des traces de cyanure». Le président ajoutera: «Seule une Commission d’enquête pourra nous le dire avec certitude».
Au ministère de l’Énergie et des mines, on ne donne pas encore suite à cette affaire. A l’heure où nous écrivions ces lignes, aucune Commission des mines ne s’est encore déplacée sur les lieux pour effectuer des analyses dans la rivière et au niveau du sol afin de savoir si oui ou non les rejets contiennent du cyanure. «Cela fait plusieurs jours que l’incident s’est produit, mais personne n’est venu pour effectuer des analyses», affirme ce jeudi 9 décembre un associatif. Un comité de suivi de la situation devait se rendre ce jeudi 9 décembre sur le site pour mener une enquête à ce sujet, nous a pourtant assuré, lundi 6 décembre, une source à la direction provinciale du département de l’énergie et des mines d’Ouarzazate.
Un oiseau est mort !
La situation est-elle rassurante comme le laissent croire les responsables de la mine? S’agit-il réellement de produits de rinçage ? Ces produits peuvent-ils contenir du cyanure ? …S’interrogent les habitants, lesquels ne sont pas tranquillisés pour autant. D’ailleurs, quelques heures après l’incident, les machines et les équipes de la société Co-Company, qui exploite la mine d’or de Tiouit, étaient à l’œuvre pour finaliser les travaux de curage et de décapage afin de cerner l’étendue de ces produits dans la rivière. Chaux, eau de javel et sulfate de fer étaient utilisés dans le cadre de cette opération, dont le but était justement de faire en sorte que ces matières ne puissent pas continuer leur avancée, indiquent nos associatifs, ajoutant qu’«une telle opération est généralement entreprise lorsqu’il y a des doutes quant à la dangerosité des rejets miniers».
Les riverains sont, eux-aussi, convaincus que des traces de cyanure pourraient être trouvées dans les terrains agricoles jouxtant la mine et dans la rivière qui fournit de l’eau aux populations du village « Tighassa ». «Les rejets issus de l’usine d’exploitation ont été trouvés dans l’oued et dans le terrain agricole de ma famille. Ces rejets étaient de couleur bleue», témoigne Houceine, fils du propriétaire du terrain ayant été touché par ces rejets miniers. Dans un entretien téléphonique, celui-ci assure que ces rejets contiennent du Cyanure. D’ailleurs, «juste après l’incident, un oiseau est mort sur le terrain agricole de ma famille, immédiatement après avoir bu de cette eau bleue», dit ce jeune homme.
La situation dans la région est actuellement très tendue et a amené les riverains de cette mine à manifester leur colère contre la société qu’ils soupçonnent de dégradation de leur environnement. «Notre maison est perchée juste à quelques mètres de l’usine d’exploitation», témoigne notre jeune homme Houceine. Nous continuons, poursuit-il, d’avaler la poussière et d’être forcés de supporter le bruit des machines de la société qui sont juste à côté de nos maisons. Un jour, nous serons obligés de quitter notre village, ajoute Houceine. Mais, poursuit-il, non sans colère: «Nous demandons une indemnisation pour tous les préjudices que nous avons subis à cause des travaux de cette mine», insiste ce jeune homme.
Un autre incident s’est produit en 2015
L’incident de ce samedi 4 décembre n’est pas le seul dans le village de Tighassa. Une forte explosion s’était déjà produite fin novembre 2015, au niveau de la même digue sur le site d’exploitation de la mine d’or «Tiouite». Des traces de cyanure avaient été trouvées, dans 13 puits dans la zone mitoyenne au site d’exploitation. Par précaution, les autorités locales avaient alors demandé aux riverains de ne plus boire l’eau de leur puit ni celle de la rivière, qui va jusqu’au barrage Al Mansour Eddahbi dans la province de Ouarzazate. Car la pollution s’était étirée sur plus de 600 mètres. Elle aurait pu être grave si au moment de l’incident il pleuvait. C’est ce que nous avait déclaré l’un des membres de la commission provinciale, ayant été mise en place pour évaluer les dégâts de l’accident.
Suite à un rapport accablant établi par une Commission provinciale, et qui confirmait les dires des populations et des associatifs, les autorités provinciales de Tinghir ont demandé, le 17 décembre 2015, aux exploitants de la mine de suspendre leur activité minière sur le site jusqu’à ce que la pollution soit totalement dissipée et que les exploitants redressent tout au niveau technique. C’est-à-dire qu’ils respectent les mesures sécuritaires demandées par la Commission provinciale dans son rapport. Dans un communiqué, le ministère de l’Énergie et des mines avait annoncé l’incident et promis la publication des résultats de la commission interministérielle réunie pour les besoins de l’enquête. Mais, à ce jour, les résultats de cette commission n’ont pas été publiés, selon nos sources bien informées !
Six ans après ce scandale écologique, il semble que la société exploitante, Co-Company SA n’aurait toujours pas respecté les cahiers des charges et les mesures sécuritaires, critiquent nos associatifs de la région. Un dossier à suivre.
Enquête réalisée par Naîma Cherii